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Grèce, l’exercice de la souveraineté

Publié le par Albert Ogien

Grèce, l’exercice de la souveraineté

Dans l’attente d’élections législatives anticipées, le nouveau pouvoir grec est loin d’avoir capitulé : il cherche à conserver l’euro, et sa place au sein de l’Europe, en faisant un pied de nez à ceux qui œuvrent pour le lui interdire.

Le feuilleton de la dette grecque vient de nous livrer son nouvel épisode : la démission d’Aléxis Tsípras et le retour des citoyens aux urnes.

Le premier enjeu de ces élections sera de savoir si une politique alternative peut être conduite de façon pragmatique, sans sacrifier à des points de doctrine désuets et en se servant des armes de l’ennemi. Car loin d’être financier, le problème de la dette est avant tout moral et politique. Moral, au sens où il s’articule autour du principe de réciprocité qui veut qu’on doive rembourser ce qu’on a emprunté. Et politique, au sens où il pose publiquement le problème de savoir si la population d’un Etat peut être tenue pour responsable de milliards dépensés en son nom pour assouvir des besoins - ceux des banques et des milieux d’affaires - qui n’étaient pas toujours les siens ; ou si elle doit assumer le risque de défaut de paiement pris par des prêteurs peu regardants ou englués dans la vulgate économique.

Ce problème a quelque chose d’inédit : il s’inscrit dans le cadre d’une relation entre Etats qui partagent une monnaie commune sans qu’aucun mécanisme ne permette de décréter l’insolvabilité de l’un d’eux et de lui appliquer de façon autoritaire des mesures de redressement.

C’est ce fonctionnement un peu bancal de l’union monétaire qui alimente la partie de poker menteur qui se joue au sein de l’Eurogroupe depuis la victoire de Syriza. Du coup, la question de la souveraineté politique prend une allure particulière : comment la Grèce peut-elle s’opposer à des partenaires qui réclament l’application de règles qu’elle a admises ?

Une façon de répondre à cette question consiste à l’envisager en termes de rapport de forces. Ce sont alors les catégories de la domination, de la victoire ou de la défaite, de l’humiliation ou de la trahison qui organisent le jugement porté sur les agissements des uns et des autres.

L’autre consiste à considérer la crise en termes de relations entre membres de l’union monétaire. Et ce sont alors les catégories de la civilité qui guident le jugement sur la manière dont les choses se passent.

Les représentants de Syriza ont eu à subir le mépris et l’arrogance de leurs pairs au sein de l’Eurogroupe. Ce qui ne les a pas empêchés de se rendre à la table des puissants sans cravate, en tee-shirt et à moto, voire en habits de travail et sac à dos. Cet accroc délibéré aux convenances a manifesté le fait que la décision n’était plus le monopole d’une élite évoluant dans le monde clos de ses mœurs et de sa rhétorique. Cette attitude exprimait un nouvel air du temps politique : tant qu’à être illégitimes, autant l’être à fond. Et le fait que ces va-nu-pieds débraillés entendaient en plus donner des leçons d’humanité, de démocratie et d’économie a attisé la répugnance à leur égard jusqu’à exiger leur exclusion de ce cénacle.

Les amis de la Grèce ont réussi à faire valoir la nécessité de corriger cette attitude insolente (dont la décision de recourir au référendum a été considérée comme l’acmé). Rester à sa place et afficher ostensiblement la modestie et l’humilité qui sied au faible : tel a été le premier prix que le gouvernement grec a souverainement accepté de payer pour ne pas devoir quitter la table.

Ce que les négociations ayant conduit aux trois accords entre la Grèce et les «institutions» ont ensuite mis en évidence, c’est le degré de détail dans lequel les décisions politiques entrent à l’ère de l’assujettissement des gouvernements à la quantification de l’action publique.

Comme ils en ont pris l’habitude, les politiques ont délégué la responsabilité de la définition des mesures à prendre à des techniciens. La partie grecque a pu constater qu’il ne suffisait pas de présenter des projets d’allégement de la dépense publique remplissant les exigences des créanciers, mais qu’il fallait encore qu’elle le fasse selon les normes et les algorithmes imposés par les auditeurs chargés de la besogne. Impossible de taxer les riches, de choisir des formes plus justes de redistribution, de soutenir l’activité économique locale, de favoriser la coopération plutôt que le marché.

Un des objectifs - partiellement atteint par le recours au référendum - du nouveau gouvernement grec a été de «re-politiser» les choix budgétaires en imposant le fait que la souveraineté politique exige de soumettre leur logique au débat public. Le plus étrange est que les accords se sont conclus dès lors que les négociateurs grecs se sont résolus à fermer les yeux sur les décisions irrationnelles et irréalistes que les experts leur ont imposées - et dont tout le monde sait qu’elles ne seront jamais réalisées.

Le second prix à payer pour obtenir un refinancement de l’économie et l’allégement de la dette a été de se couler dans la langue gestionnaire et de ne plus moquer l’absurdité des formes de raisonnement qu’elle véhicule - sans exclure pour autant de la dénoncer.

Tel est le jeu de dupes auquel les dirigeants grecs ont fini par se prêter afin de ne pas renoncer à la monnaie unique. Cette option, dont rien n’assure qu’elle ne sera pas adoptée en fin de compte, n’a pas été retenue par le nouveau pouvoir grec. Et pourtant, il aurait pu le faire en se prévalant de la large victoire du non au référendum. Il a, au contraire, décidé que cela aurait été aller contre le souhait des Grecs - et l’esprit de démocratie veut que ce souhait vaille tout autant qu’un vote majoritaire ou que les dogmes d’une idéologie.

Parler de capitulation (comme le font les mélancoliques qui exècrent la démocratie) est ignorer le fait que tout ce qui permet à la Grèce de conserver l’euro et sa place au sein de l’Europe est un pied de nez fait à ceux qui œuvrent pour le leur interdire. C’est là le second enjeu des législatives qui, dans une autre manifestation de l’esprit de démocratie qui devrait forcer le respect mais déconcerte tant les commentateurs, viennent d’être annoncées.

Et pendant que ces jeux de la puissance et de l’honneur se déroulent, les migrants fuyant la guerre débarquent tous les jours sur les îles quand d’autres sont installés dans un parc d’Athènes ; et les retraités et désœuvrés grecs sans toit et sans ressources dorment dans les rues ou mendient pour pouvoir s’acheter des médicaments.

Et ceux-là savent que des jours plus sombres encore les attendent.

Publié dans Grèce

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