Pourquoi la presse aux ordres sort-elle une affaire Benalla maintenant ?

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Pourquoi la presse aux ordres sort-elle une affaire Benalla maintenant ?

Les dessous « lutte de classe » d'une affaire d'Etat. Comment se fait-il que des grands médias qui nous ont plutôt habitué à faire les louanges de Macron, quoi qu'il arrive, sont-ils passés soudainement à un quasi lynchage du même Macron et son « système » avec l'affaire Benalla ?

Jacques Chastaing a livré son opinion dans Médiapart. Elle n'engage que lui mais beaucoup de ses réflexions sont pertinentes.

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Tout d'un coup la révélation des violences d'un barbouze au plus proche des sommets de l'Etat a paru scandaleux à cette presse et à bien des hommes politiques alors que c'est une constante de la Vème République depuis De Gaulle et que les violences transgressives de la part des forces de police et de nervis qui leur sont proches ont marqué toute l'actualité de ces deux dernières années et de manière bien plus dramatique.

Ce revirement brutal en a surpris plus d'un : que se passe-t-il ?

Une presse indépendante ? Allons donc !

Chose étonnante, l'information sortie par Le Monde a été aussitôt reprise par l'essentiel des grands médias qui en ont fait le "scandale Benalla/Macron". Étonnante, parce que c'est cette même presse qui a fait Macron. 

Alors pourquoi cette pirouette ?

Bien sûr les professionnels de la presse n'ont guère apprécié le projet  de Macron au début de l'année 2018 de s'attaquer au "Fake News", y voyant une atteinte à la liberté d'expression, une censure possible sur leurs propres publications.

Est-ce suffisant pour déclencher soudain une telle campagne et de risquer pour les faiseurs d'opinion de décrédibiliser en profondeur celui qui a fait sa campagne sur la transparence, la République exemplaire, le rétablissement de la confiance contre les scandales qui ont émaillé les régimes de ses prédécesseurs, et, surtout, au delà de lui, affaiblir l'ensemble de l'ordre établi, au risque d'encourager les résistances sociales ? 

Probablement pas. 

D'autant que la presse n'a guère bronché lorsque Macron est passé par dessus les élections avec son hold up électoral ou par dessus le Parlement avec les ordonnances. 

Alors, serait-ce la tentation de faire un scoop parce que l'affaire touche à l'Elysée, à Macron et ne touche pas seulement un invisible syndicaliste ou étudiant anonyme ? 

Mais à ce niveau, ce n'est pas seulement vendre du papier, c'est se battre pour la démocratie comme d'autres médias l'ont fait aux USA avec Nixon ou Clinton. Étant donné le peu d'indépendance de la presse française, pour ne pas dire sa servilité proverbiale qu'a encore renforcé le phénomène récent de concentration aux mains de quelques milliardaires et le fait qu'elle ne l'a jamais fait auparavant quand elle en a eu de multiples occasions, on la voit mal tout d'un coup imiter sa consœur américaine. 

Et si cela pouvait peser au moins en partie, cela relancerait de toute façon la question : pourquoi maintenant ?

Encore alors parce que l’État « profond » a horreur des barbouzes, que ce serait le dérapage de trop, parce qu'il reste un vague fond hérité d'une lointaine Résistance, que les résistances contre la Lepenisation de la société française s'expriment là, bref que l'appareil d’État se rebiffe  ou résiste comme pourrait en donner l'impression la CIA ou le FBI aux USA face à Trump ?  Allons donc ! 

La CIA a encore plus de crimes à son actif que Trump et la police française de la collaboration, des guerre coloniales, de la Françafrique a un tout aussi joli passé. Celle de 1968 cognait tout aussi fort que celle de 2018 et sans plus d'état d'âme. Et des indics aux barbouzes, la benallisation avancée de l’État et la société française n'a jamais provoqué  un  tel tollé même au temps de De Gaulle.

Plusieurs de ces différents aspects ont pu jouer, de manière additionnés, ce qu'on peut  résumer dans le vieux combat entre le législatif associé au judiciaire et aux corps intermédiaires d'un côté et l'exécutif de l'autre, mais un problème qui n'a jamais existé que sur fond d'un autre problème bien plus important qui régit ce combat, celui de la lutte de classes.

Et donc pourquoi maintenant ?

Un lien avec le projet de réforme constitutionnelle de Macron

La première question est de se demander s'il n'y a pas un lien avec le projet de réforme constitutionnelle que Macron voulait faire passer cet été et dont l'examen au Parlement commençait au moment où a éclaté l'affaire Benalla.

Cela pourrait être accrédité par les remarques d'un certain nombre de députés du PS ou des LR  affirmant que le seul moyen pour Macron d'arrêter le scandale Benalla serait de renoncer à sa réforme constitutionnelle.

Cette réforme – au milieu d'un fourre tout des plus variés qui va des attaques contre la Sécurité Sociale à la diminution d'un tiers des membres du Conseil économique et social - prévoie surtout de diminuer de 30% le nombre de parlementaires, députés et sénateurs, en même temps que leurs prérogatives, tout en instaurant deux types de députés, certains grands élus directement et d'autres petits élus car indirectement à la proportionnelle, diminuer le temps d'examen des réformes, les possibilités d'amendements, bref globalement réduire le rôle du Parlement. 

C'est une logique en cours depuis longtemps  mais une diminution drastique telle que n'y en a pas eu depuis... Napoléon III, bref un changement qualitatif. 

Or Les Républicains avaient prévenu que cette réforme serait la ligne rouge qu'il ne fallait pas dépasser sous peine de déclencher la guerre. 

En effet, non seulement, le projet diminue leurs avantages mais aussi et surtout les divise gravement. Pour que cette réforme passe, le gouvernement a besoin d'une majorité des 3/5ème des parlementaires au congrès qu'il ne peut atteindre qu'avec une partie des députés ou surtout sénateurs LR (majoritaires au Sénat). 

Or si l'ensemble des parlementaires LR de l'Assemblée s'est opposé violemment dans un premier temps à la réforme, Macron avait obtenu il y a peu une attitude plus conciliante des sénateurs et de leur porte parole G. Larcher, au point que Macron pouvait en espérer sérieusement le soutien. Aussitôt 78 députés des LR signaient une tribune parue dans le JDD du 7 juillet qui dénonçait une "attaque au bazooka" contre le Parlement, une diminution de ses pouvoirs avec deux types de députés, pour confier tous les pouvoirs au président et son entourage. Cela signifiait immédiatement de graves conséquences pour Les Républicains qui pouvaient éclater  en deux morceaux durant l'été et donc disparaître du paysage politique. 

Cerise sur le gâteau, ces mêmes parlementaires apprennent le 9 juillet 2018, le jour du Congrès - que  Macron veut réunir chaque année - que le président pourrait s'y exprimer, ce qui était jusque là la prérogative du 1er ministre. 

Cela peut paraître peu de choses. En fait, les députés y voient encore un renforcement direct du rôle du président qui tend vers une diminution du poids du 1er ministre au profit du président et un pas vers la fusion des deux fonctions au profit du seul président.

Il y avait donc depuis mars un combat du Parlement et plus particulièrement des LR contre l'exécutif qui s'aggrave avec l'annonce par G. Larcher qu'il pourrait bien soutenir la réforme constitutionnelle, aubaine que saisit Macron au Congrès pour tenter de renforcer encore ses pouvoirs.

Le 10 juillet commence l'examen du projet en débat au Parlement, la partie la plus intense devant commencer autour du 17 juillet. Les débats avancent avec lenteur au vu de l'ampleur des amendements ; le gouvernement envisage même de reporter le débat en septembre ou octobre  pour faire passer rapidement la loi "asile et immigration" qui est paralysée par le débat constitutionnel. C'est alors, qu'éclate l'affaire Benalla, le 18 juillet, ou plutôt, que ressort l'affaire Benalla, puisqu'elle date du 1er mai, vieille donc de deux mois et demi, que les réseaux sociaux et certains journaux avait relayé en mai, mais à l'époque sans grand bruit puisque, a priori, seule la police et l ‘Elysée, connaissaient l'identité de l'auteur des violences.

La réforme constitutionnelle a donc du jouer un rôle sur le choix du moment mais probablement pas sur le fond, sur ce qui doit diviser actuellement les sommets, sur les choix politiques qu'ils ont à faire pour la période.

Si la droite s'est soudain ressaisie au travers de cette affaire, plutôt que de continuer à se coucher derrière un homme qui au fond applique son programme, c'est qu'elle doit avoir l'espoir de reprendre une place, qu'elle comprend qu'elle peut se rendre à nouveau utile au patronat, que Macron n'est peut-être plus tant en grâce que par le passé, bref qu'il y a des hésitations du côté du Medef. 

Pour la droite, il ne s'agit pas que de perspectives électorales, européennes ou municipales, d’espérer doubler Macron sur ce terrain, en le faisant chuter dans un scandale peu auparavant.

La droite  - encore moins la gauche – ne s'y risquerait au risque de décevoir le patronat.

Non, la vraie raison est qu'il y a une place à prendre parce que Macron n'est plus tant en grâce. Mais pourquoi, lui qui a tant servi et si bien les membres du CAC 40 depuis un an et demi ?

Pourquoi le Medef a choisi Macron

Pour le comprendre, il faut comprendre pourquoi le Medef l'a choisi, car Macron a été le candidat du Medef.

Bien  sûr, Macron a bénéficié d'une situation. 

Il a profité des déboires des scandales Fillon après que ce dernier ait éliminé Juppé alors que le PS était lui-même discrédité par la politique du gouvernement Hollande promettant de se battre contre la finance et qui avait fait tout le contraire.

Mais surtout, Macron, homme seul, sans parti ni clan, a été fait président par le Medef et les journaux des milliardaires qui d'un médiocre ministre quasi inconnu du gouvernement Hollande en font soudain un jeune homme moderne, entreprenant, ni de droite ni de gauche, prêt à redonner un nouveau souffle à la France par dessus partis et corps intermédiaires : un Bonaparte. 

Seulement, Macron, contrairement à Louis Napoléon Bonaparte est très mal élu, le plus mal élu de la Vème république, avec des taux d'abstention record. Il n'est finalement élu que par défaut ; les médias ayant ressorti comme d'habitude à la veille des élections l'épouvantail Le Pen, les électeurs qui se sont déplacés n'ont  pas vraiment voté pour Macron, mais plutôt contre M. Le Pen.

C'est donc un régime relativement fragile dés le départ.

Fragile par son hold up électoral, fragile par l'absence de parti et de personnalités de poids autour de Macron. Il n'a que l'argent et la presse.

Pourquoi  donc le Medef a-t-il fait ce choix, pourquoi avait-il besoin d'un tel homme plutôt que d'un dirigeant classique de la droite dans l'alternance habituelle gauche-droite qui a si bien marché pour ses intérêts jusque là?
C'est en comprenant cela qu'on se donne les outils pour démêler les fils de ce qui se passe aujourd'hui.

Face à la concurrence internationale pressante des puissances occidentales comme de certaines économies émergentes et dans un contexte qui n'est guère à l'investissement, le grand patronat français a besoin de s'attaquer très rapidement aux acquis des salariés pour faire baisser le « coût du travail », comme ils disent, c'est-à-dire les salaires directs ou indirects avec les protections sociales et les services publics.

Hollande a déjà bien avancé les choses mais ça ne va pas assez vite, d'autant que l'alternance vers la droite ralentit traditionnellement ce genre d'évolution - aussi paradoxal que cela puisse paraître - car la gauche par son influence sur les syndicats a plus les moyens de faire accepter les reculs aux salariés ou tout au moins de mieux les paralyser.

On ne sait pas bien sûr, si les fuites sur le scandale Fillon, viennent du Medef, mais ce dernier veut aller vite pour détruire au maximum et le plus rapidement possible les acquis ouvriers. Il ne veut plus s'embarrasser des débats qui traînent au Parlement et des lenteurs de ces vieux partis et députés implantés dans les terroirs qui craignent de ne pas être réélus par des électeurs qu'ils malmèneraient de trop.

Se passer du Parlement et ses débats qui peuvent alerter le mouvement social, renforcer le pouvoir du président, de l'exécutif, sans contrôles ou avec le moins de contrôles possibles, se passer du dialogue social avec les syndicats ouvriers et de ses lourdeurs, voilà ce que veut le Medef dans les plus brefs délais.

Plutôt qu'un retour de Juppé après le scandale Fillon, le produit nouveau Macron « ni droite, ni gauche » est rapidement lancé par la presse des milliardaires.

Et dans la foulée de Hollande, il fait merveille : en peu de temps, en ayant obtenu la passivité des directions syndicales, le patronat engrange la liquidation ou presque du code du travail, de l'inspection du travail, de la médecine du travail, des CHSCT, de la représentation syndicale avec les CSE, des effectifs syndicaux, du dialogue social, de l'Université, de la Sécurité Sociale, du droit à la santé, au chômage, à la retraite... 

Mais un Macron qui peut être gênant à terme sur fond de résistances sociales qui durent

Mais, malgré la collaboration ouverte ou quasi ouverte des directions syndicales, les salariés, les jeunes ne se laissent pas faire et se battent.

Cela avait commencé sous Hollande mais ça continue. Les combats sont certes émiettés, ceux organisés par les  syndicats en journées saute mouton sont sans plan de bataille et ne servent à rien, mais malgré une répression inimaginable même sous Sarkozy où il était plus tranquille d'aller manifester, il y a une forte résistance : résistance des salariés, des étudiants et des lycéens, des migrants et leurs défenseurs et surtout, face à la démission des directions syndicales, un esprit du « tous ensemble », qui commence à se développer au point d'occuper de plus en plus tout l'espace social.

Macron fanfaronne : la « coagulation » ne se fait pas.   

Certes, mais avec la durée de ce mouvement social rampant qui ne s'arrête pas, avec la politisation qui l'accompagne, notamment de la jeunesse, avec la détermination et l'autonomisation de secteurs militants,  il y a risque qu'un jour où l'autre, cette « coagulation » se fasse. C'est ce que Rosa Luxembourg en son temps appelait une période de « grève générale ». Elle peut durer dix ans, passer de multiples conflits économiques locaux, à des conflits plus généralisés, puis retomber en des émeutes dans une ville ou un quartier, glisser sur un scandale politique, revenir à un mouvement d'ensemble... et à chaque fois avec une politisation grandissante, menant dans une spirale accélérante à une explosion politoco-sociale généralisée.

Il y a eu plusieurs  avertissements en ce sens dont l'apparition du Front Social au moment des élections de 2017. Et les avertissements se sont multipliés au printemps 2018, au point qu'on a pu croire un moment que la convergence cheminots et étudiants en lutte pouvait se faire. En tous cas, on était passé pas loin. 

Alors, avec la durée, la « grève générale », le mai rampant que nous connaissons depuis février 2016, pourrait bien se transformer un jour où l'autre en explosion ouverte, à l'occasion d'un incident fortuit, d'un décès dans une manifestation, d'un scandale, d'un fait divers qui choque largement, d'une mesure de trop qui exaspère et cette goutte d'eau pourrait faire déborder le vase.

Or cette goutte d'eau pourrait être Macron lui-même. 

Immature, seul, croyant au miroir que lui renvoie la presse, il croit qu'il doit ses succès à sa personnalité. Jupiter, il se rêve en nouveau monarque et il tend à s'autonomiser de ses créateurs. Au point qu'il a son propre service de police privée... Et pourtant, si on y réfléchit sérieusement, si peu de choses par rapport à l'océan de dérives réglementaires de la police, seulement un Benalla, peut-être deux ou trois... qui ont fait le coup de poing dans une manifestation.

C'est une « Société du dix décembre » comme celle de Napoléon III, un ramassis de voyous pour faire le coup de main contre ses opposants, mais une « Société du dix décembre » de faible envergure, comparée à la benallisation rampante de l'administration d'Etat qui trouve dans sa police suffisamment d'agents pour frapper, torturer, tuer ou dans ses cadres de la fonction publique ou ailleurs suffisamment de tortionnaires aux petit pieds pour brutaliser sans état d'âme les grévistes, harceler les employés bien au delà des lois, au point que 500 000 salariés font des dépressions ou des burn out chaque année et que des centaines se suicident, sans parler des 40 000 personnes qui meurent chaque année du fait d'avoir été mis au chômage.

Macron n'est qu'un épisode choisi et assumé d'une lente dérive générale, mais ses provocations permanentes, les « rien, fainéants, alcooliques, fouteurs de bordels... », son envie de faste, chasses à courre, Versailles, Jet privé, piscine à Brégançon, vaisselle de luxe... si utiles au début pour affirmer la décomplexion et la nouvelle domination de classe pourraient être la goutte d'eau... si « l'idiot utile » du Medef  croyant en sa surpuissance personnelle voulait en faire trop et prendre la mesure de trop, la contre-réforme de trop.

Il faut donc l'arrêter ou le contrôler un peu plus.

Il y a eu les avertissement sociaux auxquels Macron est resté sourd. Il y a eu aussi les avertissements patronaux, toujours dans cette période, qui, pour leur part sont inquiets de cette mobilisation permanente des salariés.

Des patrons, des associations de DRH, des organisations patronales l'ont déjà fait entendre de manière plus ou moins sourde : est-ce si utile d'en rajouter encore au risque de provoquer une explosion généralisée, vu ce qui a déjà été obtenu et qu'il reste à faire passer de la loi dans la vie, ce qui n'est pas gagné d'avance ?

Puis, il y a eu l'avertissement du 5 juillet où le Conseil Constitutionnel, dominé par les anciens partis, a dénoncé le « délit de solidarité » avec les migrants qui était entré dans les mœurs avant Macron mais dont Gérard Collomb, ancien PS, était un défenseur acharné.

Il y a eu encore, à la même date, la bronca autour du retrait de la constitution de la Sécurité Sociale qui a fait reculer Macron.

Et puis, plus important, il y a eu les 11 et 17 juillet, deux réunions significatives : le 11 une rencontre patronat syndicats et la constitution  d'un front commun Medef/CGT et de l'ensemble des organisations syndicales patronales et ouvrières pour défendre le paritarisme contre Macron ; le 17, un mini sommet social avec syndicats et Macron où ce dernier  a reconnu, en tous cas en apparence, qu'il avait été peut-être un peu vite et que désormais il s'appuierait plus sur les syndicats et les corps intermédiaires pour faire passer ses contre réformes.

Mais en même temps, hasard du calendrier ou emballement de la machine lancée par Macron, le 17 juillet, le projet CAP 22 et ses lourdes attaques brutales sans concertation sur les budgets de la fonction publique, vient percuter cet apparent retour du « dialogue social » et peuvent faire penser à une certaine duplicité de Macron.

Alors le 18 juillet, l'affaire Benalla sortait. 

Et depuis, devant une commission d'enquête parlementaire quasi publique, le ministre de l'intérieur, le préfet de police de Paris, le directeur de l'ordre public sont mis sur le banc des accusés, ce qui n'est jamais arrivé avec une telle publicité... et ceux-ci refusent de servir de fusibles - ce qui n'est jamais arrivé non plus sous la Vème République - et montrent du doigt l'Elysée...  certainement parce qu'ils se sentent soutenus.

Bien sûr, l'affaire reste dans le cadre institutionnel - JL. Mélenchon en tête malgré ses promesses d'une suite à la manifestation marée du 26 mai - et sert même à réhabiliter les forces de police et leur action dans la situation qu'on vient de vivre, au point que même F. Ruffin déclare que jamais la police ne serait laissée aller à la violence de Benalla, ce qui est littéralement hallucinant alors qu'on sort de plus de deux ans de violences incroyables de cette même police avec torture ou mort d'homme et plus de 6 000 poursuites ou  condamnations en deux ans, de manifestants, militants ou grévistes.

La CGT et les autres directions syndicales sont absentes et les citoyens sont seulement appelés à être spectateurs ; aucun grand parti ou syndicat n'appelle à la mobilisation dans la rue. Seul  le Front Social appelle à un front des organisations démocratiques et sociales dans la rue, faisant le lien entre la violence d'Etat et ses dérives avec la violence sociale qui détruit les vies en licenciant en masse, détruisant le Code du travail, la Sécurité Sociale, l'avenir des jeunes en particulier dans les quartiers mais, bien sûr,  aucune des plus importantes organisations politiques ou syndicales ne répond et ne le veut.

Car bien sûr, si les gens ne voient pas d'un mauvais oeil, que Macron s'en prenne plein la tête, personne de tous ceux qui subissent les violences sociales et policières depuis des années, ne croie aux cris indignés de la presse et des hommes politiques et se demande donc ce que cache cette drôle d'affaire.

Or les initiateurs de la campagne contre le scandale Benalla/Macron ne veulent surtout pas que ce pseudo combat démocratique puisse renforcer le combat social. Leur initiative a justement pour but d'empêcher la colère sociale de trouver, unie, le chemin de la rue. Ils gardent donc le scandale dans le cadre institutionnel.

La situation ressemble à celle de l'année 1967, avec le scandale des élections législatives. De Gaulle est affaibli, il utilise les ordonnances pour réformer rapidement l'économie française et multiplier à toute vitesse les contre réformes, tout comme Macron aujourd'hui, avec l'obligation de le faire avant l'ouverture totale à la concurrence du marché commun au 1er juillet 1968. Mais face à lui, le mouvement social est très présent depuis 1963 (la « grève générale » déjà), ce qui fait que De Gaulle met en place une  répression féroce, aussi féroce qu'aujourd'hui où il y gagne la détestation générale et la réputation de dictature. De facteur d'ordre, de Gaulle devient aux yeux de la bourgeoisie un facteur de désordre pouvant unifier toutes les révoltes économiques et locales en une seule révolte générale à caractère politique : « dix ans c'est trop ».

En 1967, il perd les législatives, mais au dernier moment, avec les résultats des Dom Tom où les urnes ont été bourrées à mort, vieille habitude, il emporte finalement le suffrage d'extrême justesse, d'un seul député. Ça fait scandale, la presse dénonce la tricherie... et les étudiants relancent à l'automne/hiver avec succès la contestation contre la sélection – déjà - à l'université, ce qui débouchera sur le printemps 68.

Vivra-t-on à nouveau un scénario semblable ? 

L'histoire ne se répète jamais, dit-on et les dirigeants politiques et syndicaux font tout pour qu'il en soit ainsi,  probablement pas pour éjecter Macron mais simplement le contrôler un  peu mieux afin que la droite traditionnelle et peut-être une nouvelle gauche autour de Mélenchon  ainsi que les directions syndicales puissent reprendre toute leur place dans le paysage.

Mais personne ne maîtrise la logique du scandale Benalla, ni même les réactions de Macron qui comme son ancêtre en bonapartisme, Napoléon III, peut tenter encore plus la carte personnelle contre ses anciens mentors. Ce scandale n'en finit pas et devient de plus en plus un scandale de l’Elysée, de Macron et de l’Etat, dont personne ne contrôle les effets sur la conscience de ceux qui subissent au quotidien et à une bien plus grande échelle, la violence policière, judiciaire et les violences économiques et sociales. Il pourrait bien échapper à tous.

Sur fond de lutte de classes, le scandale de 1967 et l'explosion de mai 68, ont montré que contrairement aux coups bas dans les alcôves du pouvoir, personne ne maîtrise rien. 

Jacques Chastaing, le 24 juillet 2018

Publié dans Libertés Démocratie

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Ce qu'il y a de tragique et d'inquiétant dans cette affaire d'une exceptionnelle et inédite gravité (mettant en cause directement l'autorité de l'Etat)c'est que M.le président s'exprime ou ne s'exprime pas cela revient au même.Mes premières inquiétudes se trouvent confirmées:nous nous orientons vers une crise de régime,vers une vacance du pouvoir.Le parlement que ceux qui nous gouvernent veulent amputer deviendra vraisemblablement le centre,le cœur véritable du pouvoir.Cela est d’ailleurs prévu par la constitution.La commission du Sénat commence à jouer plus ou moins ce rôle d’ultime instance de légitimité du pouvoir national.Tout indique que le pouvoir exécutif,littéralement tétanisé,réduit à avancer ou bredouiller de prétendues « explications » toutes plus ridicules et grotesques les unes que les autres (je ne savais pas,je n’étais pas au courant,ce sont des fake news,personne n’en parle,tout le monde jalouse M.Macron,c’est le feuilleton de l’été…etc),à diffuser des mensonges d’Etat,se trouve condamné à perdre le contrôle de la situation.Le processus de délégitimation du pouvoir exécutif est en route,en marche.Un processus qu’il paraît impossible d’enrayer.
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