Grèce, l'enjeu des négociations, accord ou Grexit ?

Publié le par Jean Chambon

La chancelière allemande Angela Merkel et le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, le 1er juillet.

L’Allemagne, contrairement à la France, ne veut pas d'un accord mais la sortie de la Grèce de la zone euro.

Dans la lutte des classes, la guerre idéologique a pris une tonalité nouvelle avec le poids des médias libéraux placés sous la tutelle des grands groupes médiatiques et financiers. Il s'agit pour eux de convaincre les opinions publiques que les positions des dominants et des puissants sont toujours les plus justes et qu'il n'existe pas d'autre alternative.

Nous devons prendre garde à ne pas prendre argent comptant ni répéter comme des perroquets ce qu'ils disent sans vérifier les données objectives qui conduisent à une décision qui peut apparaitre d'autant plus difficile voire incompréhensible que les médias libéraux orchestrent une campagne pour la faire apparaitre comme telle aux yeux de l'opinion et plus encore aux yeux de ceux qui luttent aux cotés du peuple grec et qui sont pleins d'espoir à juste raison.

En tout état de cause, quoi qu'ait pu faire Tsipras, il leur faller par tous les moyens accréditer l'idée qu'il était battu et que l'Eurogroupe sortait vainqueur d'une bataille de 6 Mois au cours desquels lesquels ce dernier n' a rien proposé, laissant la situation se dégrader sous l'effet de la décision de la BCE de réduire les apports de liquidités dont l'économie avait besoin pour fonctionner.

Comme beaucoup, dès que j'ai su que les propositions du gouvernement grec étaient remises aux créanciers, j'ai attendu de les connaitre précisément pour me faire une opinion. Dans l'attente, j'ai écouté les commentaires des médias. Tous n'avaient qu'une grille de lecture, "Tsipras acceptait les propositions des créanciers rejetées par 61% des grecs au référendum, Tsipras capitulait, trahissait le peuple grec et abandonnait le programme de Syrisa sur la base duquel il a été élu le 25 janvier." De ce point de vue, l'émission "C dans l'air" de vendredi où n'étaient présents que des convaincus de l'orthodoxie libérale a battu tous les records de malhonnêteté, de comportements abjects et du nombre de mensonges déversés.

Le rouleau compresseur était en marche avec trois arguments répétés en boucle : "Tsipras acceptait de porter la retraite à 67 ans, il acceptait de passer le taux de TVA à 23% et s'engageait dans un programme de privatisations." De quoi ébranler plus d'un convaincu ne faisant pas l'effort suffisant de rentrer dans les détails des propositions et de se replacer dans le contexte politique actuel.

A la lecture des propositions, j'ai découvert que la retraite, avant de parler de 67 ans, sera portée à 62 ans pour 40 années de cotisations et sera relevée graduellement d'ici à 2022, sur la TVA j'ai découvert que les produits de base, l'électricité et les hôtels, la TVA restait à 13% et pour les médicaments, livres et places de théâtre à 6%. En effet, si les demandes des créanciers apparaissent comme en partie satisfaites voyons aussi que le gouvernement grec tient compte des urgences sociales et limitent donc leurs effets les plus négatifs.

Ce que ne disent pas les médias libéraux et qui a mon avis, sont des questions centrales :

  1. C'est la question des excédents primaires, Initialement Athènes s'était aligné sur les propositions des créanciers pour réaliser un excédent primaire budgétaire (hors service de la dette) de 1% en 2015, 2% en 2016 et 3% en 2017 mais jeudi soir le gouvernement a indiqué que ces objectifs devaient être revus car la situation économique s'est aggravée ces derniers jours, surtout après l'imposition du contrôle des capitaux et la fermeture des banques découlant des décisins inadmissibles de la BCE qui a coupé l'apport des liquidités aux banques grecques provoquant une asphyxie financière d'une terrible gravité.
  2. C'est la question de la restructuration de la dette. C'est pour le gouvernement grec une question majeure que les créanciers et les chefs d"état européens, Allemagne en tête, refusaient de discuter. Le réfrendum a mis cette question au coeur du débat et des discussions à venir. Il ne s'agit donc plus d'une question tabou. Il est enfin possible de voir s'ouvrir "un débat sérieux sur la restructuration de la dette grecque", qui atteint 180% du PIB du pays, soit 320 milliards d'euros. Le sujet divise les Européens mais Athènes insiste sur la question, avec le soutien affiché de la France, du FMI, du président du Conseil européen Donald Tusk et de nombreux économistes. Berlin a vu vendredi "très peu de marge de manoeuvre" pour restructurer cette dette. C'est une avancée par rapport à jeudi, lorsque la chancelière Angela Merkel affirmait qu'une réduction de la dette grecque était "hors de question". Le nouveau ministre grec des Finances Euclide Tsakalotos a estimé pour sa part que "beaucoup des demandes de la Grèce sur la dette vont être acceptées", citant notamment un échange de 27 milliards d'euros d'obligations entre la BCE et le Mécanisme européen de stabilité (MES), prôné de longue date par les Grecs, qui lui permettrait d'éviter l'écueil des plus de 7 milliards d'euros à rembourser à la BCE en juillet et août.
  3. C'est un paquet de 35 milliards d'euros consacré à la croissance en accord avec la Commission européenne, Il s'agit de mettre à la disposition des entreprises et des collectivités publiques grecques l’argent nécessaire aujourd’hui pour rendre durablement l’économie efficace et la société plus juste. Cet argent doit servir à des investissements efficaces et à une expansion des services publics pour permettre aux 25 % de chômeurs d’exercer des emplois qualifiés, construire une administration et un système fiscal modernes, remettre le système de santé en état de marche, relancer l’éducation et la recherche, rénover les services publics.

A la lecture de tout cela, il apparait que la proposition faite ce jeudi est meilleure que celle de la semaine dernière. Le NON au referendum à permis l'introduction de la dette et du plan d'investissement. En permettant au peuple de s'exprimer dans la négociation, Tsipras a rempli ses objectifs. Si l'accord est adopté, le gouvernement assure la stabilisation financière pour 3 ans et un début de relance de l'économie grecque avec des concessions certes, mais il s'agit d'une négociation qui a vu le FMI, la BCE et la commission européenne mettre le pistolet sur la tempe de Tsipras et en lui demandant d'actionner lui même la gâchette!

Alexis Tsipras, tout en défendant le paquet de mesures proposé par le gouvernement a admis devant les parlementaires qu'elles étaient "difficiles", loin des promesses électorales de la gauche radicale mais qu'au global le texte proposé était finalement le meilleur possible,

La balle est dans le camp des créanciers et de l'UE. Vont-ils accepter de discuter de la dette et du plan de développement et respecter la volonté du peuple grec affirmé avec le réferendum. La responabilité d'un accord ou d'un échec est sur leurs épaules!

S'ils ne le font pas, le risque est grand de voir la Grèce sortir de la zone euro. Cette issue est le choix du ministre des finances allemand mais il n'est pas partagé ni en Allemagne ni en Europe ni par les USA qui depuis quelques jours mettent la pression afin que l'on ne débouche pas sur cette issue lourde de dangers pour la Grèce, pour l'Europe et l'économie mondiale. Enfin, une sortie de la zone euro aurait des conséquences géopolitiques majeures avec une Grèce qui pourrait se rapprocher de la Russie et s'éloigner de l'OTAN.

Rappelons que le gouvernement grec n'a pas été élu pour sortir de l'euro, ce n'est pas le choix du peuple grec. C'est la signification profonde du référendum et du mandat donné à Tsipras par la Vouli.

Pour apprécier la proposition grecque, il nous faut tenir compte du contexte économique et financier de la Grèce mise à mal par la BCE qui limite les liquidités aux banques grecques depuis février dernier et qui les a encore réduites au minimum. La situation est telle qu'elle a conduit au contrôle des capitaux et à la fermeture des banques, qui dure depuis plus de dix jours, au point que le crédit est bloqué et toute l'économie grecque est au ralenti. La fermeture des banques grecque est prévue jusqu'au lundi 13 juillet mais le vice-ministre des Finances Dimitris Mardas a laissé entendre vendredi qu'elle pourrait encore se prolonger, avec des aménagements.

Il y avait donc urgence à faire des propositions qui tiennent bien fermes sur les questions de fond notamment la restructuration de la dette et le plan de développement.

Dans ce contexte, et avec une asphyxie financière terrible, le texte du gouvernement grec apparait  comme le compromis pouvant déboucher sur un accord. Il ne s'agit pas du programme de Thessalonique, ça n'a jamais été l'idée ! Aucun gouvernement ne met son programme en négociation comme le rappelle Anne Sabourin !

Beaucoup va être fait pour la justice fiscale et la lutte contre la corruption sans que cela soit discuté à l'eurogroup et heureusement..

Voilà qu'elle est mon appréciation au moment où se déroulent les négociations ce week-end.

Plutôt que de faire le procès de Tsipras de façon irrationnelle, nous devons porter nos efforts pour faire percevoir que la crise grecque a permis de mettre sur la table un problème plus général au niveau de l'Europe, celui des dettes des états membres qui pour beaucoup, au delà du cas de la Grèce, s'avèrent insoutenables.

La bataille de la Grèce a permis d'ouvrir ce débat et ce n'est pas rien. Comme nous l'avons affirmé, il y a urgence à organiser une conférence européenne sur cette question afin de permettre que les richesses créées soient utiles au dveloppement et non pus gâchées dans le paiement d'une rente aux banquiers. C'est  une question urgente pour l'Italie, l'Espagne, le Portugal ou la France où la dette s'élève maintenant à 2000 milliards d'euros!.

Nous devons porter plus fort cette exigence. La BCE en a les moyens. Depuis le 22 janvier, elle crée chaque mois 60 milliards d’euros par son nouveau programme de quantitative easing avec l’objectif d’aller jusqu’à 1.140 milliards. Au lieu de les injecter sur les marchés financiers, elle devrait ─ comme Pierre Laurent l’a proposé au Forum européen des alternatives le 31 mai ─ mobiliser son formidable pouvoir de création monétaire à travers un Fonds de développement économique, social et écologique européen, démocratiquement géré pour financer des investissements ciblés sur la sécurisation de l’emploi et sur le développement des services publics. Ce Fonds intercalé entre les États nationaux et la BCE serait créé pour financer les déficits des États s’ils développent leurs services publics. Il recevrait pour cela les euros de la BCE qu’il prêterait aux États à un taux quasi-nul.

Les traités l’y autorisent, car il serait une institution financière publique. Face à la prochaine crise financière qui se prépare, la politique monétaire de la BCE devrait décourager sévèrement le gonflement des opérations financières et inciter au contraire les banques à financer les projets répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée), sociale (création et sécurisation des emplois et de la formation) et écologique (économies d’énergie et de ressources naturelles). La Grèce, mais aussi l’économie de la zone euro et tous les Européens qui souffrent de l’austérité, en bénéficieraient.

Le rôle et le statut de la BCE, tout comme les règles de fonctionnement de l'Europe sont également mises en débat à la lumière de la crise grecque et du comportement des ministres des finances de certains états. Ces questions ne pourront plus être éludées et devront être traitées rapidement.

Tout cela est maintenant sur la table. Un pas de recul, mais deux ou trois pas en avant qui ont permis de placer des questions de fonds qui touchent toute l'Europe.

L'Eurogroupe y consentira t-il ou au contraire va t-il rajouter des exigences pour ne pas perdre la face et créer les conditions d'une sortie de la Grèce de la zone euro comme le souhaite le ministre allemand qui ne supporte pas des gouvernements remettant en cause l'orthodoxie libérale ni des homologues qui lui font la leçon dans les domaines économiqes et financiers.

La confiance a été très mise à mal par la BCE, l'Allemagne et les faucons de l'Europe. La défiance vis à vis d'eux est légitime de la part de la Grèce.

Comment négocier en confiance avec eux alors qu'ils ne sont pas là pour obtenir un accord mais pour durcir leurs exigences afin qu'elles deviennent inacceptables par la Grèce. Wolfgang Schäuble cherche par tous les moyens à créer les conditions d'un Grexit pour "mettre les choses au clair, d'une façon ou d'une autre". Il ne cesse de manoeuvrer, de mentir, de provoquer en pratiquant un chantage humiliant. Il s'agit pour Schauble de susciter une crainte chez les Français et leur faire accepter son modèle d'une zone euro disciplinaire."

Vendredi, le Parlement français - deuxième puissance économique de la zone euro - a adopté des réformes destinées à relancer l'économie moribonde du pays, qui fait face à une faible croissance et à un chômage élevé, ainsi qu'à un important endettement public, source de tensions avec Bruxelles.

Ainsi l'Allemagne, bailleur de fonds et chantre de l'orthodoxie budgétaire en Europe, veut faire de la Grèce un exemple pour faire entrer les Français dans le rang révèle Varoufakis.

"Soudainement, l'insoutenable dette publique grecque, sans laquelle le risque de Grexit se serait estompé, a acquis une nouvelle utilité pour Schäuble", affirme de son côté Varoufakis. Selon lui, lorsque la Grèce est devenue insolvable en 2010, au lieu d'une restructuration de la dette et d'une réforme de l'économie, c'est l'option "toxique" qui a été choisie : "L'octroi de nouveaux prêts à une entité en faillite tout en prétendant qu'elle restait solvable."

Depuis que Syriza est arrivé au pouvoir, ajoute l'ex-ministre des Finances, "une large majorité au sein de l'Eurogroupe - sous l'influence de Schäuble - a adopté le Grexit comme solution privilégiée ou comme arme de choix contre notre gouvernement."

Il estime que si la Grèce finissait par quitter la zone euro, cela prendrait plus d'un an. "Le Grexit serait l'équivalent de l'annonce d'une forte dévaluation plus de 18 mois à l'avance: une recette pour liquider tout le stock de capital grec et le transférer à l'étranger par tous les moyens possibles", écrit-il.

Tels sont les enjeux actuels qui nécessitent sang froid, esprit de résistance et détermination à ne pas céder aux sirènes des médias libéraux et à l'hystérie de l'Allemagne et des faucons vis à vis de la Grèce qui convergent avec l'extrême droite.

Il faut continuer à faire pression sur le gouvernement français afin qu'il impose un accord permettant à la Grèce de rester au sein de l'Europe sans chantage ni exigences supplémentaires qui humiliraient une nouvelle fois le peuple grec.

 

Jean Chambon le 11 juillet 2015

Publié dans Grèce

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article