Grèce, Pierre Laurent répond à Marianne...
Marianne : Quel regard portez-vous sur la crise que l’Europe a connue ces derniers mois au travers des négociations entre la Grèce et ses créanciers. Que ce soit sur l’attitude du Premier ministre grec que sur celle des autres dirigeants européens ?
Pierre Laurent : Lorsque l’on revient sur ces six derniers mois, nous avons assisté en direct à une mobilisation impressionnante du peuple grec derrière Syriza et Tsipras. Nous avons pu également constater la violence avec laquelle une partie des dirigeants européens — notamment le gouvernement allemand — a été capable de répondre à toute velléité de sortir des rails de l’austérité qu’ils ont fixé. La conclusion que j’en tire est que tout pays qui veut sortir de l’austérité a besoin d’un mouvement de solidarité européen encore plus puissant qu’il ne l’a été ces derniers mois.
Cela nous met, nous les Européens qui voulons sortir de l’austérité, devant l’exigence d’installer un véritable rapport de force favorable à l’émergence d’autres solutions. Provisoirement, les dirigeants allemands ont renfermé les Grecs dans la prison de l’austérité, mais l’impasse et l’autoritarisme de leurs solutions intensifient encore plus la crise européenne. Le débat est devant nous et le combat ne fait que commencer.
Que pensez-vous du choix d’Alexis Tsipras, alors même qu’il bénéficiait d’une légitimité démocratique et populaire, d’accepter cet accord et son lot de mesures d’austérité ?
Pierre Laurent : J’ai rencontré Alexis Tsipras et des dirigeants de Syriza lundi dernier à Athènes. Je pense que la responsabilité de ce qui s’est passé repose entièrement sur les épaules des dirigeants européens. Ils ont enfermé la Grèce et ses dirigeants dans une alternative qui était soit le Grexit — souhaité par les Allemands de manière ouverte, Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, a plaidé jusqu’au dernier moment auprès des Grecs pour une sortie ordonnée —, soit le plan d’austérité qui a finalement été imposé. Le choix qu’a fait Tsipras est un choix qui évite la banqueroute bancaire de son pays, une situation qui aurait été terrible pour les Grecs. Je crois qu’il n’avait pas d’autres alternatives.
D’ailleurs, s’il garde encore aujourd’hui le soutien de son opinion publique, c’est bien pour cette raison. C’est que les Grecs craignaient énormément cette hypothèse.
Maintenant, le véritable problème de cette situation est qu’il nous est impossible, que ce soit pour les Grecs ou pour les Européens, de rester dans une situation qui soit celle-là. Il y a une exigence pour l’ensemble des Européens d’alléger la dette européenne et de permettre la relance des politiques sociales et d’investissement dans toute l’Europe.
Evidemment, le choix de Tsipras provoque, c’est normal, des débats au sein de Syriza. Mais je partage l’opinion qui a été celle de la direction de Syriza de ne pas vouloir assumer, eux, une banqueroute de la Grèce qui aurait été catastrophique. Même si cette solution, dans laquelle on les a enfermés, n’est pas acceptable dans la durée. Ni pour eux, ni pour les Européens.
Mais l’expérience Syriza ne met-elle pas en lumière l’impasse des programmes des formations de gauche anti-austéritaire qui défendent l’idée que l’on peut faire une autre politique économique tout en restant dans la zone euro ? C’était le pari d’Alexis Tsipras…
Pierre Laurent : C’est un débat qui existe dans la gauche européenne et dans la gauche française, c’est évident. Je crois que la leçon qu’il faut tirer de ce qui s’est passé, c’est qu’il n’y a pas de solution à la crise avec le maintien des politiques européennes actuelles.
Et une sortie de la zone euro laisserait n’importe quel pays qui la pratiquerait devant la même pression des marchés financiers, voire une pression décuplée et une dévaluation nationale plus grave encore. Une sortie de la zone euro, sans changement des politiques européennes de manière générale, risquerait aujourd’hui de déboucher pour un peuple, à la fois sur la sortie et à la fois sur des politiques d’austérité. Il y a d’ailleurs des pays aujourd’hui qui, en dehors de la zone euro, sont également frappés par des politiques d’austérité. Car la pression des marchés s’exerce partout et sur tous les pays.
L’enjeu pour pouvoir mener des politiques de gauche est donc de pouvoir retrouver des marges de manœuvre sur les pouvoirs financiers.
La reconquête de ce pouvoir financier passe par une mobilisation des ressources nationales mais aussi par une bataille à l’échelle européenne qui est de toute façon incontournable. Il est certain que si, pas un, mais deux ou trois pays s’engageaient dans cette voie, le rapport de force serait profondément modifié. Il ne s’agit pas de faire basculer une majorité, voire la totalité des pays européens, mais que plusieurs pays européens engagent ce combat et fédèrent autour d’eux les forces sociales et syndicales qui aspirent au changement. Et le poids de la France est fondamental dans cette bataille.
Un pays du poids économique de la France qui s’engagerait dans cette bataille changerait à l’évidence le rapport de force. Et c’est ce que n’a pas voulu faire et ne veut pas faire pour le moment François Hollande qui a empêché le Grexit certes, mais en laissant les Allemands dicter leurs conditions ce qui n’a rien changé sur le fond.
Il y a des pays qui, justement parce qu’ils ne sont pas dans la zone euro, s'en sortent très bien. Même mieux, comme c’est le cas pour l’Islande qui en 2008 a refusé de renflouer les banques responsables de la crise, tout en sauvant l’argent des petits épargnants et retrouve aujourd’hui un PIB supérieur à celui d'avant crise…
Pierre Laurent : Oui, mais aujourd’hui, la différence est que tous les avoirs détenus par les Grecs sont en euros. Et le transfert de ces avoirs dans une monnaie nationale qui serait dévaluée par les marchés financiers conduirait, dans un premier temps, à un affaiblissement considérable du potentiel de ressources des Grecs. Alors que pour reconstruire leur pays, ils ont besoin d’un niveau d’investissement important.
Bien évidemment, le plan actuel n’est pas la solution puisqu’il va les empêcher de mobiliser les ressources nécessaires. Il faut donc progressivement et à terme changer profondément le plan qui leur a été imposé.
Sauf que l’entêtement des dirigeants européens, les Allemands en tête, a montré que même avec les meilleurs arguments économiques et l’appui de tout un peuple, il est impossible de battre en brèche l’exigence des mesures d’austérité inhérentes aux traités constitutifs de la zone euro...
Pierre Laurent : "Les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables. Ce n’est pas la zone euro qui les empêche"Mais ça, c’est justement la bataille politique qui est engagée depuis le 25 janvier ! D’autant qu’on l’a vu, les débats n’ont jamais été sur le terrain économique entre la Grèce et ses créanciers. Puisque les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables et elles restent praticables dans la zone euro. Ce n’est pas la zone euro qui les empêche mais la décision politique prise par les dirigeants allemands et un certain nombre d’autres dirigeants européens de rendre impossible l’expérience politique de Syriza.
Aujourd’hui, ils en ont même rajouté dans la punition financière, économique et politique, pour continuer à faire cette démonstration. Une des grandes leçons de ce qui s’est passé est que la France, lorsqu’elle a mis tout son poids dans la balance pour empêcher le Grexit qui était ouvertement réclamé par les Allemands, a réussi son entreprise. Le problème est que le président de la République n’a pas utilisé cette capacité de faire bouger les lignes pour impulser une véritable alternative.
Il aurait dû refuser non seulement le Grexit, mais aussi les conditions réclamées par le gouvernement allemand, et il aurait dû en profiter pour lancer un grand débat européen sur les politiques économiques européennes.
En parlant de cet accord imposé aux Grecs, reprendriez-vous le terme de « diktat » pour le qualifier ?
Pierre Laurent : Oui, absolument. C’est une mise en cage de la Grèce. Nous sommes dans la situation où un pays a essayé de se libérer de la prison de l’austérité et a été rattrapé par les dirigeants européens et allemands pour être remis dans sa cellule. Cet accord est en tout point scandaleux : il est contreproductif, socialement et économiquement, et proprement scandaleux, démocratiquement et politiquement.
Finalement, cette séquence grecque plaide-t-elle, selon vous, pour plus d’Europe ou moins d’Europe ?
Pierre Laurent : Elle plaide pour une Europe radicalement différente de celle qui existe aujourd’hui. Et qui a été progressivement transformée, avec une accélération en 2008, non pas en une union de coopération et de solidarité, mais en une zone de contrôle économique et politique par les pouvoirs financiers.
Donc, cette Europe doit être totalement remaniée. C'est une nécessité qui date déjà depuis dix ans, depuis le référendum de 2005, où il était déjà question de cela. Le débat de 2005, c’est le choix de constitutionnalisation ou non d’une certaine logique économique libérale.
Ce débat est donc ouvert depuis dix ans et il n’oppose pas des anti et des pro-Europe. Il y a aujourd’hui trois options en débat. L’option d’une Europe de l’ordre libérale, celle qui existe aujourd’hui. Il y a l’option d’une destruction de l’Europe et d’un retour à la compétition, voire au choc des nations dans la crise que traverse l’Europe, c’est l’option du Front national et des forces qui l’appuient.
Et il y a l’option qui est la nôtre, celle de Tsipras, la mienne, celle que nous défendons, qui est l’option de la reconstruction d’une Europe de coopération, de solidarité, d’une Europe de souveraineté qui doit laisser plus de place aux pouvoirs de chaque nation de négocier démocratiquement son insertion dans cette Europe de solidarité. Nous parlons d’une Europe à géométrie choisie, c’est-à-dire une Europe où la participation au projet européen doit, à chaque fois, être librement consenti par les pays.