Les malversations d'un ambassadeur du sport français à Rio

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Les malversations d'un ambassadeur du sport français à Rio

Ancien président de l'UNSS et de la Fédération internationale du sport scolaire, Jean-Louis Boujon a été poussé vers la sortie en 2010 après avoir détourné des subventions à son profit. Lourdement condamné en appel il y a un an, il représente pourtant le sport français aux Jeux olympiques de Rio et participe à la campagne pour la candidature de Paris 2024.

Voilà une drôle d'« affaire privée » qui éclabousse la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques en 2024. L'un de ses promoteurs, Jean-Louis Boujon, actuel vice-président de la Fédération française de rugby (FFR), a été lourdement condamné en 2015 par la cour d'appel de Paris pour des faits de malversations alors qu'il dirigeait l'Union nationale du sport scolaire (UNSS).

L'information, évoquée par le journal sportif Midi olympique début mai, est passée jusqu'ici quasi inaperçue ; Jean-Louis Boujon soutenant qu'il s'agissait là d'une simple « affaire relevant de la sphère privée », « jugée et classée », qui ne regarde donc pas les citoyens.

Pourtant, alors que l'ancien patron du sport scolaire parade à Rio, où il représente notamment la délégation de rugby à VII, des documents consultés par Mediapart montrent comment il a détourné plusieurs subventions à son profit et favorisé une entreprise dans l'attribution d'un marché public de plus de 3 millions d'euros.

Fédérations et pouvoirs publics tardent à réagir.

La FFR, le comité d'organisation Paris 2024 (son président, Bernard Lapasset, a accessoirement présidé la FFR de 1991 à 2008), la mairie de Paris (le conseiller sport d'Anne Hidalgo est l'ancien rugbyman professionnel Pierre Rabadan) et le ministère de Patrick Kanner bottent tous en touche quand il s'agit d'évoquer le passif de cet ambassadeur du sport français, qui animait encore en juin une réunion de campagne pour que la France accueille les JO en 2024.

Les éternelles « valeurs de l'olympisme » en prennent une nouvelle fois un sacré coup. Jean-Louis Boujon a longtemps fait la pluie et le beau temps sur le sport scolaire. Mais en mai 2011, après qu'il a été poussé en interne vers la sortie de l'association, deux enquêteurs de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche) découvrent de possibles détournements de fonds à l'occasion de la rédaction d'un rapport à l'intitulé équivoque : « Manière de servir de l'ancien directeur de l'Union nationale du sport scolaire ». Le document, transmis dans la foulée au parquet de Paris, établit en effet comment, quelques mois avant de céder sa place à la tête de l'UNSS, Boujon a grossièrement siphonné les caisses de la fédération pour arrondir ses fins de mois et régaler son entourage.

Ni vues ni connues, deux subventions destinées au sport scolaire se sont ainsi volatilisées dans les poches du président de la fédération en juillet 2009. Les versements (15 000 euros et 4 330 euros) étaient initialement destinés à l'UNSS au titre de sa participation à l'International School Federation (ISF) – fédération que Boujon présidait également – mais ont transité par un compte « Boujon-ISF », ouvert quelques mois plus tôt pour son usage personnel.

Dans le même temps, cet enseignant agrégé d'éducation sportive s'est subitement reconverti en concessionnaire automobile pour racheter à prix d'ami la Citroën C5 qui lui servait de véhicule de fonction. L'UNSS avait déboursé 30 000 euros un an plus tôt pour acquérir le véhicule, mais Boujon le récupère miraculeusement pour 10 000 euros tandis que sa cotation Argus est à l'époque de 18 325 euros. Trop gros, le cadeau est habilement justifié par une « estimation de reprise » calculée par un garagiste professionnel. Sauf que, révéleront les enquêteurs, le document a été maquillé pour tirer la valeur du véhicule vers le bas. Du travail de pro !

Le président de l'UNSS n'a pas non plus oublié de profiter de sa position pour faire voyager ses proches. En octobre 2009, parmi les 92 passagers d'un séjour à Doha financé par l'UNSS dans le cadre des « Gymnasiades » (Jeux olympiques du sport scolaire), figure curieusement le nom de M. D., qui ne participe pas aux épreuves mais se trouve être la fille de la compagne de Jean-Louis Boujon.

Scolarisée en classe de première internationale, cette dernière servait d’interprète en langue anglaise pour les athlètes, osera prétendre le patron de l'UNSS devant les enquêteurs, sans présenter le moindre justificatif de cette mission en or.

En creusant la très originale « manière de servir » de l'ancien président de l'UNSS, les enquêteurs sont aussi tombés sur un modèle de marché public bidonné. La Cour des comptes s'était aussi interrogée sur ce contrat signé en 2007 entre l'UNSS et la société d'informatique Sirtem, une PME de Reims, dont le chiffre d'affaires dépendait en grande partie des contrats avec la fédération. Celle-ci lui a délégué la gestion de son site internet, l'envoi des licences ainsi que le renouvellement du parc informatique pour la modique somme de 3 612 328 euros sur cinq ans. Des « prestations anormalement élevées », selon les enquêteurs, pour un contrat passé directement entre Jean-Louis Boujon et la Sirtem sans mettre en concurrence la PME rémoise avec d'autres entreprises, ni même informer le conseil d'administration et l'assemblée générale de l'UNSS de la signature du contrat.

Reconnu coupable des faits d'abus de confiance et d'atteinte à la liberté d'accès à l'égalité des candidats, Jean-Louis Boujon a été condamné en première instance à 15 mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 30 000 euros et à verser 32 874,56 euros de dommages et intérêts à l'UNSS. Une peine confirmée en appel le 11 mai 2015.

L'éthique en question

« Bénéficiant de l’intégralité de ses droits civiques », Jean-Louis Boujon reste « éligible sans aucune interdiction de gérer ni d’administrer » une autre fédération, a-t-il rappelé à juste titre, le 11 mai 2016 devant le comité directeur du Comité Ile-de-France de rugby (CIFR) qu'il préside depuis 2004, et qui le soutient.

Mais quid de l'éthique ? Interrogation d'autant plus pertinente que le même Boujon proposait d'imposer une « charte de l’éthique des dirigeants » (sic) lorsqu'il candidatait à la présidence du Conseil national olympique du sport français (CNOSF), et qu'une fois élu administrateur de l'instance, celui-ci sera notamment président, cela ne s'invente pas, de la « commission de prévention des déviances ».

Nous étions alors en avril 2009, année de tous les dérapages à l'UNSS… Sollicité par Mediapart, M. Boujon n'a pas retourné nos questions. Les responsables de la candidature de Paris aux Jeux olympiques n'ont pas été plus diserts pour se prononcer sur la pertinence de son rôle dans la candidature de Paris aux jeux 2024.

Le 20 juin dernier, l'ancien président de l'UNSS participait notamment à la soirée de lancement des actions de mobilisation pour Paris 2024 en Ile-de-France, en animant une table ronde sur « l’organisation de la mobilisation, notamment des jeunes Parisiens, autour de la candidature ».

Bernard Lapasset, qui l'a côtoyé pendant des années à la Fédération française de rugby, s'est contenté de rappeler que cet événement de promotion « a eu lieu dans le cadre d'une initiative d’un comité régional olympique et sportif », antenne régionale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Et le président du CNOSF, Denis Masseglia, sans non plus se prononcer sur le fond, assure lui ne « pas avoir connaissance d’un rôle officiel d’animateur pour le comité régional ».

Même mutisme à la mairie de Paris et au ministère des sports, où Patrick Kanner ne « souhaite pas commenter cette affaire », signifiant uniquement que la « participation de M. Boujon aux Jeux olympiques de Rio relève du choix de la fédération concernée ».

À la FFR, justement, la condamnation de son vice-président – par ailleurs candidat à sa réélection à la tête du comité Ile-de-France (CIFR) – ne semble pas troubler le quotidien des hautes instances du rugby français. Le 11 mai, Michel Dubreuil, président du comité d’éthique du CIFR, se livrait ainsi à un long plaidoyer en défense de Jean-Louis Boujon : « La chose a été jugée et la sanction exécutée. La plus élémentaire des choses, après le jugement, est de ne pas rejuger et de ne pas s’autoriser à reprononcer un jugement. Le juge se prononce par rapport au droit, la discipline se prononce par rapport à la règle. L’éthique, elle, ne juge pas et ne sanctionne rien, elle invite à la réflexion sur les actes et les abstentions. Et c’est là qu’il ne faut surtout pas se fourvoyer et mélanger les regards. »

Certes, mais l'éthique n'implique-t-elle pas des individus, fédérations et pouvoirs publics qu'ils fassent des choix éthiques, justement ?

12 août 2016 | Par Antton Rouget

Publié sur le site de Médiapart

 

Publié dans Finances-riches

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