Une vraie réforme ferroviaire de la CGT en sept propositions clés
Tels des hussards, Macron et son gouvernement veulent imposer à coups d'ordonnance la réforme de la SNCF. Avant de se précipiter par pur calcul politicien, ne faudrait-il d'abord écouter les principaux acteurs qui connaissent très bien la SNCF et notamment les syndicats.
Le gouvernement ferait preuve de pragmatisme plutôt que de dogmatisme autoritaire en ne s'en tenant qu'au rapport Spinetta dont la compétence en matière de transports et de développement durable reste à démontrer. M. Spinetta est surtout réputé par son ultralibéralisme de l'économie et de la société, ce qui conduit à fortement douter d fondement, de la pertinence et de la justesse de ses préconisations. Le gouvernement devrait vérifier cela au minimum, avant de payer la facture de M. Spinetta.
Il est donc important de prendre le temps d'écouter les acteurs du ferroviaire afin de débattre des alternatives qu'ils portent.
A la veille de la grande manifestation du 22 mars, la Fédération CGT des cheminots a voulu éclairer ce débat politique et citoyen qui va définir l'avenir de 150 000 salariés, conditionner les voyages de 66,9 millions d'usagers et impacter des territoires avec leurs 9 000 km de petites lignes dont on se demande comment elles seront financées lorsque la SNCF sera mise en concurrence.
Le gouvernement sans le dire, laisse entendre qu'elles pourraient être financées par les Régions. Celles n'ayant pas les moyens prendraient la décision de les fermer ! En Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine, la rénovation de petites lignes, pour certaines vieilles de 70 ans, coûterait respectivement 350 et 600 millions d'euros. Qui paiera pour elles ?
Aux Français de juger : selon la ministre des Transports, Elisabeth Borne, la concertation doit être bouclée le 24 avril. Deux mois, c'est court, beaucoup trop court, mais c'est la course de vitesse que veulent imposer le chef de l'Etat et le gouvernement.
En provoquant ainsi les Français, ils prennent le risque d'un conflit social majeur dont ils ont sous-estiment la puissance, la durée et la portée. Un récent sondage interne à la SNCF évalue cette semaine à 93% le taux de cheminots disposés à faire grève. De nombreux cadres auraient indiqué qu'ils ne suppléeraient pas les conducteurs grévistes.
La CGT n'a pas été prise de court
La CGT premier syndicat de la SNCF, elle, n'a pas été prise de court et a tenu à présenter son " Rapport sur l'avenir du service public ferroviaire et contre le statu quo libéral " , afin que le débat comme les mobilisations, ne se déroulent pas uniquement selon les termes du rapport Spinetta par ailleurs très contesté.
Face à la « feuille de route des libéraux » et au « démembrement » à venir de la SNCF, autrement dit face à la vaste transformation de la SNCF, qui sera présentée sous forme de projet de loi en conseil des ministres mercredi 14 mars, la CGT Cheminots a mis sur la table ses propositions pour une vraie réforme du rail français.
La CGT porte comme ambition le développement du service public, en reprenant le problème du ferroviaire à l'endroit : c'est-à-dire à partir des besoins des usagers et des enjeux environnementaux, industriels, d'aménagement du territoire. Et de mobiliser pour ce faire des moyens en cohérence avec des objectifs politiques clairs.
La CGT propose donc un retour à une entreprise unique, une intégration complète de la production et un renforcement de la maîtrise publique ; ainsi qu'un respect des contraintes européennes réduit à ce que prévoient les textes en matière de séparation de la gestion comptable et d'indépendance…
Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots a présenté l'ensemble des propositions de la CGT intitulé « Ensemble pour le Fer » et sous-titré « Rapport sur l'avenir du service public ferroviaire et contre le statu quo libéral ».
Le document de 45 pages sera transmis à Edouard Philippe dans le but de « réorienter les décisions du gouvernement ». M. Philippe s'est engagé à recevoir la CGT pour en discuter.
Que contient ce rapport de la CGT ?
D'abord un constat qui prend le contre-pied de ceux du rapport publié par Jean-Cyril Spinetta, sur lequel le gouvernement s'appuie pour réformer la SNCF.
- Non, la concurrence n'a pas partout permis une augmentation des trafics et une amélioration de la qualité de service ;
- Non, le rail n'est pas très subventionné si on le compare à la route ;
- Non, la SNCF n'est pas inefficace, citant la société de conseil Boston Consulting Group ;
- Non, ajouter une dose de privé dans le système et recourir à la sous-traitance ne fait pas baisser les coûts;
Pensées à partir de questions financières, les réformes engagées à la SNCF en 1997 puis en
2014 ont désorganisé notre production, renchéri nos coûts à force de segmentations internes, de sous-traitance. Le statut quo, c'est la poursuite de cette fuite en avant !
Découle de ces réalités étudiées par la CGT une série de propositions radicalement contraires à celles du rapport Spinetta.
Huit mesures fortes préconisées par la CGT
1) Renoncer à la concurrence dans le ferroviaire. Cela est possible d'autant que l'argument d'un passage obligatoire à la concurrence imposé par Bruxelles est contestable. Si le syndicat ne nie pas que le quatrième Paquet ferroviaire européen prévoyant la concurrence a bien été adopté, mais les textes communautaires prévoient des clauses techniques, économiques et sociales permettant de s'en affranchir. Ces clauses ont été invoquées pour retarder au-delà de 2023 la concurrence dans le transport ferroviaire francilien.
2) Lancer un effort national pour augmenter la part du train dans les transports." Nous sommes effarés que le premier ministre ne fasse plus aucune référence à une ambition publique de report modal" a déclaré Laurent Brun. "Le tout routier se confirme dans cette omission " La CGT propose donc un plan extrêmement volontariste que l'on pourrait appeler « plan 25 % ». La part du train dans le transport devrait atteindre 25 % partout : 25 % pour les marchandises, 25 % pour les voyageurs sur longue distance, 25 % pour les trajets courts.
3) Faire un effort considérable pour le fret (il implique une hausse de 330 % des marchandises transportées en train) mais aussi sur les voyages de courte distance pour lesquels le rail occupe moins de 12 % du marché. Une telle ambition nécessite 3 milliards d'€ supplémentaires annuels, pour financer cet effort national.
4) Désendetter la SNCF en utilisant une structure de défaisance. La première piste pour dégager des marges de manoeuvre financières serait une reprise de la dette de la SNCF 54,5 milliards d'€ au total par l'Etat. Cela soulagerait l'entreprise de 1,7 milliard d'euros d'intérêts annuels. Cette transformation en dette publique ne serait pas une reprise pure et simple mais un transfert vers une structure dédiée, comme cela a été fait avec le Crédit Lyonnais. La CGT appelle cette structure de défaisance : la Cadefe (Caisse d'amortissement de la dette ferroviaire de l'Etat).
5) Nationaliser les autoroutes pour financer le désendettement. Afin d'abonder cette nouvelle caisse, la CGT propose de renationaliser la « rente » sur laquelle sont assises les sociétés concessionnaires d'autoroutes issues de la privatisation de 2007 et d'affecter cette ressource à l'apurement de la dette ferroviaire cantonnée dans la Cadefe, « afin de ne pas faire supporter au seul contribuable le poids de la dette ferroviaire de l'Etat ».
6) Réserver la TICPE aux infrastructures de transport. Payée essentiellement par les automobilistes et camionneurs lorsqu'ils font le plein de leur véhicule, la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est l'une des principales ressources de l'Etat. La CGT propose de la sanctuariser et de consacrer l'intégralité des 28 milliards d'euros qu'elle rapporte au financement des infrastructures de transport (routier, ferroviaire, portuaire et fluvial), dont 6 milliards directement pour le réseau ferré national.
7) Revenir à un groupe public unique et intégré. Pas question pour la CGT d'accepter la proposition du gouvernement de transformer la SNCF en une société anonyme. Elle ne souhaite pas non plus pérenniser l'actuel éclatement en plusieurs entités : une branche réseau et une branche mobilité sous-divisée en une branche Voyageurs, une branche TER, une branche Fret, une branche Ile-de-France Sans compter les centaines de filiales de la SNCF. Surtout, la CGT ne veut plus d'une séparation juridique entre la gestion du réseau et la circulation des trains.
8) Pérenniser et renforcer le statut de cheminot « L'affirmation maintes fois assénée par les partisans de la fin du statut de cheminots que celui-ci coûterait 30 % de plus que les salariés de la concurrence n'est pas démontrée », dit le rapport. La CGT estime que ce statut est « consubstantiel au service public » et le garant de la continuité du ferroviaire sur le territoire national. La CGT va plus loin, considérant qu'il y a eu des attaques contre ce statut en particulier par des embauches de plus en plus nombreuses de contractuels (environ 30 % aujourd'hui). « Le statut de cheminot, non seulement je vais le défendre mais je veux le renforcer », a expliqué Laurent Brun. ■