Ecole : les neurosciences cachent-elles un choix libéral de société ? Les citoyens doivent s'en mèler !

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

La Bellevilloise, 24 mars 2018

A l’initiative de l’Association pour la psychanalyse (APLP) et de quelques autres associations dont le collectif des 39 mais aussi d’enseignants (travaillant notamment au sein des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés) et de parents d’élèves, une soirée d’échanges réunissant plus de 150 personnes s’est tenue à la Bellevilloise le samedi 24 mars autour du maniement des diagnostics concernant les enfants dans le cadre de l’appareil scolaire.

Diagnostic dont le TDAH est une figure emblématique soutenue par quelques options cognitivistes et neuroscientifiques oubliant les déterminations sociales de tout type qui président pour une large part à cette opération majeure de la classification des enfants. Sur ce point le Pr. Hochman rappelait il y a peu que les enfants issus des ghettos noirs des Etats-Unis sont par exemple surreprésentés parmi les enfants diagnostiqués et donc susceptibles d’être traités pharmaco-logiquement.

D’où l’on voit que l’origine de classe (sociale) détermine pour une part le classement scolaire (en échec) et le classement scientifique qui légitime l’opération de classement médico-psychologique ouvrant de mille manières à la ségrégation des enfants de l’Ecole publique orientés vers telle ou telle classe ou dispositif spécialisé .

Gérard Pommier a rapidement ouvert la soirée par une critique bien documentée de la problématique cherchant à systématiquement localiser les causes des « troubles » des enfants (et des autres) dans quelques fonctionnements neurologiques plus ou moins déficitaires, étant entendu que pour cette option les ressorts de la pensée résideraient dans l’organisation neuronale.

A partir de cet envoi les acteurs de terrain invités à la table, dont des enseignants et des pédopsychiatres sont intervenus pour préciser à la fois l’omniprésence de cette option dans le champ scolaire et exprimer leurs craintes comme leur rejet de cette naturalisation des classements scientifiques opérée au sein de l’Ecole publique obligatoire.

D’où aussi la pertinence d’entendre à cette occasion le point de vue de citoyens non spécialisés (mais vigilants) comme il en fut de Guy Scarpetta situant clairement l’analyse de la ségrégation comme objectif de cette soirée où nous avons aussi eu le plaisir d’entendre de jeunes chercheurs défendant l’option neuroscientifique, confirmant du même coup que le débat est lancé par des psychanalystes mais bien au-delà de leur champ.

Le débat avec la salle fut assez vif mais courtois. En ce sens il s’agit d’un événement relevant de l’intervention exigible des freudiens au cœur de l’actualité du malaise dans la culture et particulièrement des freudiens laissant de côté toute tentation d’enrôlement socialement adaptatif de notre discipline. D’où la bonne idée de Guy Scarpetta de rappeler que de ce point de vue l’enseignement de Lacan est une coupure épistémologique dans le champ psychanalytique.

J’ai moi-même alors rappelé que tout n’est pas scientifique dans le champ scientifique et que s’il n’était pas question de nous ériger comme contrôle scientifique de l’option neuroscientifique ou de toute autre option de recherche, il nous revient d’examiner de près les déterminants sociaux de la ségrégation des enfants et de leurs familles au plan des masses, et de la distinguer le cas échéant de ce qui relève des symptômes ou des souffrances de l’enfance au plan du cas. Affaiblir ou aggraver la première relève d’éminents enjeux politiques et d’engagements du même type, la seconde peut relever de l’expérience psychanalytique répondant à une demande subjective étant entendu que les deux registres ne sont pas séparés, tant il est vrai que la ségrégation sociale notamment est lourde de souffrances subjectives.

Ce qui marque cette soirée c’est aussi le témoignage parmi les intervenants non pas du rejet des neurosciences ou encore celle de la nomination d’un de ses représentant au plus haut niveau du conseil scientifique de l’éducation nationale mais la présence très vive des références psychanalytiques des praticiens non psychanalystes.

Ceci doit encourager aussi à la poursuite de ce qui pourrait être un mouvement éclairé par les sciences sociales (dont la psychanalyse) et par la clinique psychanalytique, bien au-delà des cercles freudiens qui doivent s’unir pour s’ouvrir maintenant à d’autres secteurs, combattre la ségrégation scolaire et sa naturalisation scientifique, scientifiquement peu soutenable et tout à fait ruineuse au plan de ce que Freud appelait la psychologie des masses .

Markos Zafiropoulos

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