Philippe Martinez à la Réunion : "Le président se comporte comme un monarque"

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Philippe Martinez à la Réunion : "Le président se comporte comme un monarque"

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, sera en visite à La Réunion les 9 et 10 juin pour fêter le demi-siècle d'existence de la CGTR (Confédération générale du Travail de La Réunion). L'occasion pour le numéro 1 de la CGT de demander une nouvelle fois l'application des conventions collectives sur notre territoire et d'égratigner la politique d'Emmanuel Macron.

La CGTR fête ses 50 ans début juin. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Philippe Martinez : "50 ans, c’est un moment important dans la vie d’une organisation syndicale. Ça mérite d’être célébré. Mais en réalité, c’est une histoire beaucoup plus longue puisque, à sa création, la CGTR prend la succession de l’Union départementale des syndicats CGT de La Réunion lancée à l’initiative des travailleurs réunionnais bien avant que La Réunion ne devienne département, en juillet 1938, alors que l’île était encore une colonie. En 1936, deux ans plus tôt, c'est la Fédération réunionnaise des travailleurs (FRT) qui avait vu le jour. Vous voyez là que la CGT et la CGTR ont une longue tradition de solidarité. J’ajouterai
que cette création résulte d’une volonté commune de la CGT et des unions départementales des Dom : c’est un congrès de la CGT qui a décidé, au nom de la responsabilité, de la transformation des unions départementales en confédérations. Il était donc normal qu’à l’occasion du 50e anniversaire de la CGTR, le secrétaire général de la CGT soit là pour célébrer l’événement et confirmer ces liens qui remontent au début du syndicalisme cégétiste.

Cela a aussi été le cas pour la célébration du 50e anniversaire de la CGT de Guadeloupe.
L'application des conventions collectives à La Réunion n'est toujours pas automatique. Quelle est votre position ?

P. M : Cette affaire nous renvoie bien loin en arrière. Pour nos camarades de la FRT, puis de l’UD CGT de La Réunion en 1937, derrière la revendication principale qu’était "La Réunion département français", il y avait aussi la demande d'appliquer à La Réunion les lois sociales appliquées en métropole. Après la départementalisation en 1946, cela a été une longue bataille pour l’application à La Réunion des lois sociales en vigueur : La Réunion a droit au même SMIC qu’en métropole que depuis 1996 ! Pareil pour le montant des allocations familiales et des autres prestations. Pour l’application des conventions collectives nationales, on est revenu à plus de 50 ans en arrière ! Il est impensable qu’au sein de la République, des salariés et des citoyens n’aient pas les mêmes droits. Il y a donc communauté de vues entre la CGT et la CGTR sur l’application des collectives nationales à La Réunion. C’est d’ailleurs le sens de notre lutte pour la suppression de l’article 16 de la loi Perben de 1994 (*) qui exclue les territoires d'Outre-mer.

L'application de la convention collective nationale des services de l’automobile patine depuis des années à La Réunion. Pourquoi ?

P. M : Vous avez parfaitement raison de dire que cela "patine". À qui en incombe la responsabilité, sinon au patronat réunionnais. Je suis informé régulièrement de l’évolution des négociations sur ce sujet. La CGT et la CGTR ont mené une bataille lors de la loi El Khomri, notamment sur l’obligation de la couverture conventionnelle en outre-mer. La loi est claire, il y a obligation de négocier, soit reprenant ou en adaptant des stipulations des conventions collectives nationales. En cas d’échec, c’est au ministère du Travail de prendre ses responsabilités. Le temps nous est compté.

Selon le dernier état mensuel de syndicalisation de mai 2018 relayé dans la presse nationale, la CGT a perdu quelque 30 000 adhérents en 4 ans. Quelles en sont les causes selon vous ?

P.M : La CGT a perdu 24 636 adhérents sur ces 4 dernières années. Les causes sont multiples. D’abord, ce sont les conséquences de nombreuses fermetures de sites, notamment industriels, où la CGT est fortement implantée. Pour diverses raisons, nous avons du mal à fidéliser ces syndiqués lorsqu’ils changent d’entreprises, ou comme c’est souvent le cas, quand ils se retrouvent au chômage. Nous devons aussi faire des efforts pour conserver les syndiqués lorsqu’ils partent en retraite. On a aussi besoin de la CGT à la retraite car les revendications ne manquent pas. C’est le sens de l’existence de notre Union Confédérale
des Retraités. Enfin, nous devons convaincre plus de salariés de se syndiquer notamment parmi la jeunesse frappée par le chômage et la précarité.

De moins en moins de personnes participent aux cortèges les jours de grève. Faut-il maintenir les défilés ?

P. M : La période que nous traversons montre qu’il y a beaucoup de mécontentement dans notre pays. Des travailleurs agissent sous des formes diverses pour faire aboutir leurs revendications. Il y a bien sûr la SNCF ou Air France, mais il y a de nombreux conflits dans d'autres entreprises du public comme du privé. Tous ne participent pas pour autant aux manifestations. Celles-ci sont pourtant indispensables pour donner de la visibilité aux luttes et les faire converger.

Comment mobiliser salariés et agents de la fonction publique quand même les centrales syndicales n'arrivent plus à s'entendre ?

P. M : Cette journée du 22 mai a montré le contraire car tous les syndicats sont unis dans l’action pour la défense d’une conception du service public. Avec un principe : celui de l’égalité des citoyens dans notre République qui fait que, quel que soit le territoire où vous habitez, vous avez accès aux mêmes droits en matière de santé, d’éducation ou de culture…

Sur France Info, vous avez dit récemment : "Il n'y a pas de dialogue social. Le président de la République se moque des syndicats". Est-ce votre sentiment profond ?

P. M : Monsieur Macron considère que lui seul a raison. En conséquence, il n’a pas besoin de l’avis des syndicats qui sont pourtant l’émanation du monde du travail au sens large. Le président de la République se comporte un peu comme un monarque, loin des réalités du quotidien de millions de citoyens et en dehors de la vraie vie."

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Propos recueillis par E.M pour Clicanoo

(*) Article 16 de la loi du 25 juillet 1994 (dite loi Perben): "les conventions et accords collectifs de travail dont le champ d’application est national précisent si celui-ci comprend les travailleurs d’outre-mer".

Publié dans syndicats

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