Congrès extra 2018 : intervention de Frédéric Boccara au CN des 2 et 3 juin

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Congrès extra 2018 : intervention de Frédéric Boccara au CN des 2 et 3 juin

Nous sommes à la croisée des chemins. Notre parti est dans une situation extrême d’effacement et de manque de visibilité. Il vient de vivre une alliance mortelle pour lui. C’est dire l’importance de notre congrès.

- La gravité de la situation

Du point de vue de la visibilité et du manque de sens, nous venons de vivre les rassemblements du 26 mai. Nous y étions pour dire quoi : Union ? Affirmation d’une « fierté communiste » ? Certes. Mais quel contenu original, positif, visible et porteur de sens s’agissait-il de porter ? Sans parler de la situation dans laquelle on met le mouvement social et la CGT ; sans parler de la décision soudaine ― et quasi personnelle de Pierre Laurent ― d’aller à la manifestation du 5 mai.

Face à l’opération Macron sur la dette de la SNCF, on se devait d’avoir une Direction nationale qui aide à monter les contenus. Or, une pétition a été adoptée par le C.N sur ces questions de l’argent, portant des propositions précises sur la dette, élargissant à l’ensemble des services publics et mettant en cause jusqu’à la BCE. Or, cette pétition n’a pas été portée par l’exécutif national ― le C.E.N. Heureusement que le secrétaire général de la CGT des cheminots a proposé, lors d’une rencontre avec l’équipe d’Economie & Politique, de faire un appel-pétition national sur une orientation similaire.

Celle-ci, initiée avec une grande diversité d’économistes et avec des syndicalistes enracinés dans des secteurs très divers, prend certes un caractère populaire, avec 5.000 signataires, mais c’est très loin des 100.000 qu’il faudrait ― et que nous pourrions avoir si nous nous donnions les moyens que chaque communiste la signe et gagne ne serait-ce qu’une signature autour de lui ! Or par exemple, dans Communistes, pas un mot sur cet Appel !

L’importance de notre congrès, c’est aussi parce que la crise mondiale, française et financière frappe à nos portes, et parce qu’il faut anticiper les souffrances des gens comme il faut anticiper le désarroi politique et les fausses solutions. Or le texte n’est pas à la hauteur. Il propose de mieux faire ce qu’on essaie de faire depuis 20 ans. Où est la ré-orientation ? Où est la prise en compte du bilan ? Non pas seulement le bilan lui-même mais les leçons qu’on en tire et sa prise en compte pour proposer une réorientation.

Ce sont bien évidemment des questions difficiles, mais le congrès doit donner des éléments de réponse … tout en ouvrant une posture de recherche, d’apprentissage et de progrès des réponses par la suite.

- Il faut une ré-écriture profonde du texte, pour une unité réelle des communistes

Nous avons besoin de faire le choix d’une orientation, d’une direction (au deux sens du terme : sens et collectif militant). Nous n’avons pas besoin de patchwork !

On parle de fenêtres. Mais il y a une cohérence dans le texte. Le texte actuel a une forte cohérence. Quel est le but des fenêtres : faire des choix ? Mais comment faire en sorte que ces choix dans différentes fenêtres soient ensuite cohérents ? On ne peut pas recommencer avec un « collage » d’opinions différentes. Cela ne construit pas une unité solide du Parti.

Des fenêtres pour témoigner d’un débat ? Mais c’est surtout donner l’impression qu’il est pris en compte, par une direction nationale dont le rôle est d’une part d’indiquer l’orientation qu’elle propose et d’autre part assumer l’orientation passée, son bilan en quelque sorte.

Nous avons la responsabilité d’affronter les débats qui nous traversent. L’unité du P.C.F ne se construit pas par un collage d’idées différentes. L’unité du Parti se construit à la fois par des décisions d’orientation et dans l’action communiste au service des luttes. Une réécriture profonde est nécessaire.

A l’inverse des amendements, comme le montrent les modifications faites et incluses dans la seconde version de base commune proposée au C.N, renforcent l’aspect patchwork du texte, sans en changer la cohérence. Je veux illustrer cela sur deux points : la stratégie et la crise.

- Stratégie

Notre stratégie doit allier Rassemblement, luttes et bataille d’idées, avec une visée et une pratique politique jusque dans les institutions. Or, nous avons vécu une forme d’entente au sommet se limitant à un plus petit commun dénominateur. Cette entente paralyse et interdit de travailler à une cohérence transformatrice et rassembleuse dans les luttes comme dans la bataille d’idées. Il nous faut au contraire viser des objectifs sociaux audacieux et faire prendre conscience de la nécessité de bouleverser la logique du système aussi bien sur les moyens financiers que sur toutes les institutions. Cela renforce le rôle du P.C.F avec des propositions originales et l’importance d’une toute autre analyse de la situation.

Est-ce que cela veut dire un « cavalier seul » du P.C.F ? Je ne le crois pas. Il s’agit de marcher sur deux jambes : les luttes et la construction politique.

- Cela exige des initiatives autonomes du P.C.F politisant les luttes, avec une constante ouverture au débat d’idées. Nous devons nous outiller et nous affûter pour cela, ce qui demande d’aller au-delà de rencontrer les salariés en lutte en étant identifiés comme communistes. Ce doit être au congrès d’affirmer cela et ce doit être une posture permanente du parti de se demander si nous politisons les luttes et comment, ce doit être une orientation nouvelle structurant notre travail et notre activité pour après le congrès.

- Dans le même temps, cela exige la formulation d’une « proposition stratégique » à toute la gauche pour ouvrir une perspective vraiment alternative à Macron. Quel que soit le nom qu’elle prendra elle doit être une « Union populaire et politique agissante pour sortir de la crise ». Il s’agit de tendre la main à toutes les forces de gauche, sans partenaire privilégié a priori, et de mettre ces forces au défi sur les réponses aux questions précises posées par les luttes, avec nos propositions. Les marchés financiers constituent un obstacle majeur dans les consciences comme dans les réalités sur laquelle une telle Union populaire, comme la politisation des luttes, doit impérativement avancer.

C’est tout autre chose qu’un cadre généraliste, ou une Entente au sommet ―telle que proposé dans le texte de base commune avec la formule de « Forum politique permanent » ou de « Front social et politique », qui propose de plus d’y « soumettre » nos campagnes communes.

C’est mener la campagne permanente, structurante et transversale que le parti doit avoir sur le coût du capital et l’utilisation de l’argent. Cela implique d’analyser l’économie tout autrement dans la première partie de la base commune, et de lui donner une autre place. Mais aussi de l’articuler véritablement avec « l’anthroponomie », au lieu du collage qui prévaut actuellement.

Nous ne sommes pas seulement dans une société de classe avec en plus le système du patriarcat. Notre société a un triple aspect : société de classes, société de rôles et société d’assignation à des identités plaquées ou supposées, tout en niant les singularités évolutives de chaque personne. Bref une dualité entre capitalisme et libéralisme avec la domination d’une « aire » géographique de référence donnée, l’Europe de l’ouest et les Etats-Unis d’Amérique du Nord.

Cela ne peut être fait par un ou deux amendements, mais conduit de fait à réécrire profondément le texte dans toute une série de thèses : par exemple, la thèse pour « un Front social et politique » ; la thèse sur le bilan, évacuant le fait que notre presse prétendait que le programme porté par Jean-Luc Mélenchon était prétendu reprendre des pans essentiels de l’Humain d’abord.

La récente prise de position de Pierre, notre secrétaire national, sur LCP concernant les européennes donne l’interprétation de notre démarche stratégique : « nous y cherchons l’union de la France insoumise, de Génération.s de Hamon et de nous », ce qu’indique l’Huma de vendredi. Au contraire de mettre en avant tel ou tel périmètre d’union, en niant de plus les différences importantes, voire fondamentales, les idées originales que nous devons porter ― et auxquelles nous devons travailler à être identifier ― dans la campagne des européennes sont la question décisive de cette élection.

- La crise

Il n’y avait rien sur la crise systémique. Une thèse a été ajoutée qui en parle en 6. Mais c’est toute la série de « thèses » de la première qu’il faut modifier dans la base commune pour avoir une cohérence articulée. Ainsi, au total, la dimension économique reste à la fois profondément refoulée et minorée, son lien profond avec l’écologie est absent, mais en même temps la dimension anthroponomique (patriarcat, relations parentales, travail, identités des personnes, ...) est minorée aussi, car tout est juxtaposé.

Rien non plus sur les enjeux politiques posés par le moment actuel de la crise, avec la nouvelle crise financière qui va venir. Rien sur la bataille d’idées sur nos propositions et notre analyse. Quelle bataille d’idées et quel débat majeur à mener avec les différents réformistes, Jean-Luc Mélenchon, ATTAC, ou encore le PS ? Un débat pour avancer et progresser, mais un débat quand même...

Compenser et réclamer l’intervention de l’Etat, en promouvant un simple « l’anti-libéralisme » ou dénoncer l’utilisation actuelle de l’argent pour réclamer une tout autre intervention de l’Etat et d’autres pouvoirs sur l’utilisation de l’argent, avec de tout autres buts sociaux et sociétaux ?

Or, ce type de débat doit conditionner toute notre action. D’ailleurs il n’y a pas une seule fois le mot « chômage » dans le texte. Pas une seule fois. Même pas dans la thèse qui est consacrée pourtant à « l’abîme » vers lequel la crise nous amènerait.

En cohérence avec tout cela, une autre thèse parle de « péremption » du capitalisme, comme si on était dans l’automatisme de sa disparition ! La révolution dite seulement numérique ne fait « qu’amplifier » la dynamique de développement de la société. Alors que les contradictions sont aveuglantes, car cette révolution amplifie aussi la crise et il nous faut en pointer l’enjeu politique. En outre cette caractérisation par le « numérique » chosifie la révolution technologique, à partir d’un seul aspect et de la phase actuelle, sans voir le caractère profondément humain et anthropologique de l’information qui pourrait permettre de souligner les enjeux révolutionnaires : le développement des capacités des femmes et des hommes devient posé de l’intérieur même de la logique du système économique, et pas seulement en principe, ou par les luttes ou de façon « morale ».

Dans ces conditions, notamment l’absence de contradictions (sauf dans l’ajout récent sur la crise systémique), on ne sait pas pourquoi le communisme serait nécessaire ni pourquoi maintenant. Sans parler du fait que cette visée du communisme n’est pas définie. Une thèse cantonne même le communisme à une vision très réductrice majorant la propriété et le pouvoir d’Etat, au détriment du contenu et des aspects autogestionnaires, totalement absents. Ce recul sur le marxisme est un tournant très profondément inquiétant.

Prendre au sérieux la crise nécessiterait aussi de modifier la partie sur le bilan, dans la mesure où il s’agit d’analyser pourquoi, au lendemain de la crise financière de 2008-2009, nous n’avons rien fait pour porter de façon tenace et populaire nos propositions communistes pour travailler de façon ouverte et avec toutes les forces, comme avec les gens, la prise conscience de ce qu’il s’agissait de faire.

- En conclusion

Au total, « l’ambition » globale proposée par ce texte est « refaisons mieux ce que nous cherchons à faire depuis longtemps ».

Je crois qu’il en faut une réécriture profonde, donnant de la cohérence et proposant un choix suffisamment clair et assumé d’orientation. Sinon c’est l’effacement du PCF qui peut se produire à très brève échéance.

Publié dans Congrès extra 2018

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