Femmes et hommes de science, entrez dans le débat politique ! par Amar Bellal
Peu de scientifiques exercent aujourd’hui des responsabilités politiques. Il est vrai que leur formation ne les favorise pas vraiment dans la maîtrise du discours, à la différence de ceux qui ont suivi une formation en histoire, littérature, économie ou journalisme, et qui sont largement avantagés dans les organisations politiques. Il y a toujours les exceptions qui confirment la règle, mais on peut tout de même s’étonner de cette faible représentation quand on sait tout ce que doit la société au progrès technico-scientifique et à la recherche.
Nous vivons dans des sociétés d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation, n’ont qu’une vague idée du fonctionnement. C’est étonnant à l’heure des grands enjeux et défis planétaires qui demandent de plus en plus de culture scientifique pour bien les appréhender : eau, énergie, climat, biodiversité, santé, agriculture…
Peut-être est-ce aussi une des causes qui contribuent à sous-estimer l’importance stratégique de l’industrie dans notre pays et favorisent son délitement. N’a-t-on pas fait souvent remarquer que l’Allemagne, ce pays qui a su remarquablement bien préserver et moderniser son appareil productif ces dernières années, est dirigée par une femme titulaire d’un doctorat de physique ?
Mais il y a peut-être aussi une autre raison. Les scientifiques, voyant l’état du débat et le niveau catastrophique des connaissances sur tous ces sujets, rechignent à prendre la parole. Il n’y a en effet que des coups à prendre, moqueries et mépris, dans des débats où l’avis d’un animateur de blog ou d’un collectif de citoyens, bien rodés à la prise de parole, sera mis au même niveau d’expertise que celui de centaines d’équipes de recherche sur un sujet précis. Donc, ne vaudrait-il pas mieux se tenir à l’écart de tout ce vacarme et se concentrer sur ses recherches, ce qui est bien plus gratifiant, avec ce petit air de « vivons heureux, vivons caché »? C’est le dilemme de l’astrophysicien qui se demande s’il doit vraiment perdre de précieux moments – qu’il ne consacrera pas à ses recherches – pour contredire les croyances en astrologie.
C’est un calcul dangereux, et de plus en plus de scientifiques comprennent cela. Laisser s’installer un débat sur la base de contrevérités défiant toute rationalité, laisser une ambiance perdurer qui dénigre les résultats scientifiques les plus solidement établis, voilà qui menace le monde scientifique lui-même. L’obscurantisme détourne de nombreux jeunes des filières scientifiques ; de plus, des décisions politiques importantes, à contresens des recommandations établies par la communauté scientifique mondiale, se prennent au plus haut niveau, ce qui a des conséquences pour la société tout entière.
Il devient urgent que les scientifiques entrent dans le débat politique, même si c’est difficile. Quelques figures scientifiques ont eu le courage de le faire, pensons notamment à l’astrophysicien André Brahic qui se moquait, lors de ses passages médiatiques, de l’astrologie et valorisait la démarche scientifique, la recherche, ne cessait de rappeler tout ce qu’on leur devait : il avait compris de son vivant qu’il fallait descendre dans l’arène et l’importance politique d’agir en ce sens.
La revue Progressistes, prend sa part dans cette difficile bataille, et continuera d’ouvrir ses pages à ces femmes et à ces hommes de progrès : vous pouvez compter encore longtemps sur nous !
Amar Bellal est rédacteur en chef de la revue Progressistes
Auteur de "Environnement et énergie", aux éditions Le Temps des cerises, Enseignant chez IUT Rennes