Nucléaire, le député André Chassaigne saisit le parlement sur l'arrêt du programme Astrid

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Nucléaire, le député André Chassaigne saisit le parlement sur l'arrêt du programme Astrid

Monsieur le Président,

Le 30 août 2019, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a confirmé l’abandon du chantier du prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération baptisé Astrid. Le Ministère de la Transition écologique et solidaire a justifié sa demande d’arrêt du projet sur la base « des orientations du gouvernement en matière de politique nucléaire […] présentées dans le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en janvier dernier », précisant que dans ce rapport le besoin d’un démonstrateur et le déploiement de réacteurs à neutrons rapides n’étaient pas utiles « au moins jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle ».

Selon le Ministère, « la France reste engagée dans la politique de fermeture complète du cycle du combustible » et « le gouvernement a demandé aux industriels d’engager les actions de R&D nécessaires avec le CEA pour approfondir la faisabilité industrielle des solutions de multi-recyclage du combustible dans les réacteurs de troisième génération, solution transitoire qui contribuera à la recherche sur la fermeture du cycle et la quatrième génération de réacteurs » tout en soulignant « l’abondance d’une ressource bon marché en uranium. »

Les études de conception et de faisabilité de ce prototype avaient été validées par convention du 9 septembre 2010 entre l’État et le CEA, avec des financements inclus dans le Programme d’investissements d’avenir (PIA) lancé en 2010, couvrant la période 2010-2019 et prévoyant un jalon fin 2018 pour décider des suites du programme après 2020.

Les dépenses engagées sur le programme ASTRID s’élevaient à 738,7 millions d’euros à la fin de 2017, financées par le PIA à hauteur de 497,4 millions d’euros, par la subvention accordée au CEA à hauteur de 184,8 millions d’euros et par des recettes externes.

Le choix soudain de l’arrêt par le CEA de ce projet de démonstrateur, et par conséquent d’une véritable recherche et développement sur les réacteurs à neutrons rapides, interroge quant aux motivations, aux finalités et aux objectifs poursuivis.

Suite à cette décision, beaucoup de chercheurs et de scientifiques mettent en avant le fait qu’un organisme de recherche n’est pas un acteur industriel, qu’il doit préparer l’avenir, anticiper et développer une vision de long terme. Ils demandent qu’une véritable évaluation de ce choix soit conduite, en toute transparence.

Ils avancent tout d’abord le fait que, dès la fin des années 1960, a été retenue pour son efficacité économique la technologie des réacteurs à neutrons thermiques, qui constituent le parc actuel conçu et développé sous la responsabilité d’EDF. En parallèle, il avait été demandé au CEA d’assurer toutes les recherches nécessaires à la maîtrise du cycle nucléaire pour disposer dès que possible de la technologie des réacteurs à neutrons rapides. Seuls ces réacteurs sont en effet capables d’utiliser l’uranium naturel et de fissionner du même coup les transuraniens produits lors du fonctionnement du réacteur, qui deviennent des déchets si on ne sait pas les fissionner.

Cette technologie minimise drastiquement la production de déchets ultimes et permet de ne pas gaspiller l’uranium naturel.

Certes, cette vision et le développement de la filière nucléaire, réacteurs et usines du cycle associées, ont été régulièrement contestés, jusqu’à un arrêt de Superphénix en 1997 avec comme perspective l’abandon de la filière des réacteurs à neutrons rapides. Cependant, en 2006, la loi sur la gestion des matières et des déchets radioactifs a remis le sujet au premier plan avec la demande d’un prototype d’une telle technologie, se fondant sur les lois de la physique : seul un neutron rapide peut fissionner tous les isotopes de l’uranium et les transuraniens.

Parallèlement, ils soulignent que l’avancée des connaissances sur le plan de la lutte contre le réchauffement et les dérèglements climatiques justifie de plus en plus la nécessité d’inclure un recours au nucléaire pour produire massivement une électricité décarbonée permettant à l’humanité de contenir et d’abaisser les émissions de gaz à effet de serre.

Les derniers rapports du GIEC ont repris ce besoin dans les scénarios et trajectoires d’émissions compatibles avec la limitation du réchauffement global à + 2°C ou + 1,5°C.

Au regard de ces données scientifiques, toujours plus affinées et exigeantes en matière de trajectoires de réduction des émissions, le recours accru à l’énergie nucléaire fait désormais quasiment consensus comme un des leviers d’action efficaces.

De tels constats posent la question des recherches et développements dans la filière nucléaire, pour évaluer les meilleures voies technologiques à développer dans les décennies à venir. Compte-tenu de l’histoire de son programme électronucléaire, la France tient une place stratégique et a un rôle majeur à tenir, avec ses savoirs, ses savoir-faire et ses compétences.

En parallèle, les volumes de matières radioactives énergétiques, dont notre pays dispose du fait de son histoire nucléaire civile et militaire, conféraient jusqu’à présent un rôle majeur au CEA, en tant qu’organisme de recherche, pour préparer cette filière nucléaire du futur et développer une vraie stratégie dans le domaine des réacteurs dits « de quatrième génération » permettant de recycler les combustibles usagés.

C’est bien dans ce contexte que l’annonce de l’abandon du projet ASTRID suscite incompréhension et désapprobation dans le milieu scientifique, en particulier au regard des justifications du recours aux études papiers ou aux simulateurs. Les chercheurs des organismes à missions finalisées le disent : l’étape de conception et de calculs doit être suivie de l’étape d’expérimentation jusqu’à l’échelle 1 d’un prototype.

A l’image d’Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences et ancien Haut-Commissaire à l’énergie atomique, qui a récemment qualifié cette décision « d’ânerie         historique » dans la revue Progressistes, cette désapprobation semble largement partagée dans la communauté scientifique, aussi bien au plan national qu’international.

Les acteurs des coopérations dans lesquelles le CEA joue un rôle déterminant se demandent si la France n’est pas purement et simplement en train de renoncer à sa place historique dans le domaine de l’électronucléaire.

Sur la base de ces observations et de l’importance des conséquences envisageables pour la recherche de notre pays et son développement technologique, je demande la saisine de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST).

L’Office doit pouvoir conduire son expertise et réévaluer la pertinence scientifique et technique de ce choix et ses conséquences au regard des enjeux climatiques, énergétiques et industriels de notre pays.

Cette évaluation devrait pouvoir s’attacher notamment à répondre à plusieurs interrogations fondamentales soulevées par les chercheurs :

– L’enjeu climatique est-il bien mis au premier plan des urgences concernant l’ensemble de l’humanité, avec pour notre pays la responsabilité d’y contribuer au maximum de ses possibilités ?

– La place de la filière électronucléaire et son évolution technologique sont-elles prises en compte pour l’atteinte de la neutralité carbone, comme le préconisent les scénarios de baisse des émissions du GIEC afin de suivre a minima les objectifs de l’Accord de Paris ?

– Les moyens que la France doit consacrer à la R&D pour conserver son avance, ses compétences et savoir-faire en matière de recherche dans le domaine de l’énergie nucléaire et pour valoriser son stock considérable de matières énergétiques sont-ils correctement évalués 

Très préoccupé par l’avenir de notre pays, par sa place dans le monde de la recherche et des technologies, et par le rôle moteur qu’il doit à notre sens jouer pour participer pleinement à la résolution du défi climatique et énergétique mondial, je demande que la représentation nationale se saisisse ainsi sur le fond de la question de la place de l’énergie nucléaire du futur.

L’objectif national « d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six », fixé dans la loi « Energie et Climat », ne doit pas rester qu’un slogan.

Il doit s’appuyer sur des engagements forts tant en matière de réduction des consommations énergétiques que de production décarbonée. Cet objectif peut-il être raisonnablement envisagé sans un apport durable de l’énergie nucléaire ?

Il apparaît donc indispensable d’évaluer la nécessité pour le CEA de poursuivre un programme de recherche préparant le nucléaire du futur, en prenant pleinement en compte les apports potentiels d’un démonstrateur comme ASTRID.

Certain de l’intérêt que le Bureau de l’Assemblée nationale pourra porter à cette saisine, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.

André Chassaigne

Article publié sur le blog de la revue Progressistes

 

 

 

                                                 

 

 

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