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Bernard Thibault : En 2019 comme en 1995, le tous ensemble reste moderne

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Bernard Thibault : En 2019 comme en 1995, le tous ensemble reste moderne

Marianne : Selon deux sondages Elabe pour BFM-TV et le Huffington Post publiés ce mercredi 4 décembre, 58% et 60% respectivement des Français approuvent les grèves et manifestations du 5 décembre contre la mobilisation des retraites. Et seuls 13% y sont complètement hostiles. Surtout selon Elabe, 43% des sondés considèrent qu'il s'agit d'abord d'une mobilisation globale d'opposition à la politique menée par Emmanuel Macron, tout particulièrement lorsqu'ils sont employés ou ouvriers.

Bernard Thibault vous avez été, à la tête des cheminots, le leader des grandes grèves et manifestations de 1995. Comment jaugez-vous le climat social, à la veille de la mobilisation du 5 décembre ?

Bernard Thibault : J’observe que plus le temps passe, plus l’inquiétude grandit du côté du gouvernement. Et pour cause. Selon les enquêtes d’opinions, les Français non seulement sont majoritairement opposés à la réforme de la retraite par points portée par l’exécutif, mais encore, ils soutiennent les mobilisations et les futures grèves. Preuve que la tentative de division orchestrée par le président de la République et le Premier ministre qui visait à réduire l’opposition à la réforme au pré carré des cotisants des régimes spéciaux, a complètement échoué...

Quelles similitudes, quelles différences voyez-vous entre les mobilisations qui se lèveront cette semaine et celles déjà anciennes de 1995 ?

En 1995, la mobilisation de novembre décembre a prospéré peu après l’élection de Jacques Chirac parce que ce dernier, pour conquérir l’Élysée, avait fait campagne sur le thème de la fracture sociale. Or stupeur, quelques mois plus tard, son Premier ministre Alain Juppé nous présentait un plan drastique s’attaquant à la sécurité sociale et aux retraites, qui se doublait d’un plan consacrant la fermeture d’un tiers des lignes de la SNCF.

Cette volte-face complète a donc assuré un soutien massif aux revendications des cheminots qui certes étaient à l’avant-garde des grèves, mais n’étaient pas seuls. Puisque la RATP déjà, des fonctionnaires des hôpitaux, des centaines de milliers de salariés du privé participaient massivement aux grèves et manifestations interprofessionnelles.

Fin 2019, en revanche, l’élection d’Emmanuel Macron est déjà loin. Cependant le malaise social qui depuis un an s’est diffusé dans tout le pays, est bien plus large qu’en 1995. Au point que deux tiers des Français désapprouvent la façon dont ce président décide de tout, ce qui n’était pas le cas de Jacques Chirac qui laissait une marge de manœuvre réelle à Alain Juppé.

Dans ce climat déjà tendu, le chef de l’Etat veut nous imposer de changer notre système de retraites, pilier de notre contrat social depuis des décennies. Pour le coup, ce mode « je sais ce qui est bon pour vous » me rappelle le Juppé de 1995.

Or à mon sens, ses arguments s’effondrent les uns après les autres. Un exemple. On nous assène : les Français ont voté pour cette réforme. Mais combien d’entre eux ont glissé, au second tour de la présidentielle face à Marine le Pen, un bulletin Macron pour avoir une retraite à points ? On n’en sait rien ! Pire, ce slogan faussement égalitaire ressassé « 1 euro cotisé donne les mêmes droits pour tous », c’est précisément l’inverse du principe de solidarité ! Ceux qui n’ont pas beaucoup d’euros auront des pensions de peu...

Depuis 18 mois pourtant, Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux retraites a tout de même organisé une large concertation avec les partenaires sociaux...

Vous conviendrez qu’une concertation au début de laquelle on dit que par principe, il faut changer de système plutôt que de chercher à améliorer ce qui existe, est sérieusement biaisée.

Nous ne sommes pas coupés du monde ! Des syndicalistes de pays comme la Suède où ce système universel a été développé nous ont prévenus : « Ne mettez jamais le doigt dans cet engrenage de la retraite à points ! » En Suède d’ailleurs, après la crise de 2008, les pensions se sont effondrées.

En outre, le projet de l’exécutif est si flou qu’il nourrit l’incertitude des salariés, lesquels veulent savoir, à juste titre, selon quelles conditions et sous quelles modalités, ils vont acquérir leurs droits à retraite. Mais si le gouvernement met autant de temps à abattre ses cartes, c’est parce qu’il ne souhaitait pas fournir d’éléments chiffrés choquants avant les municipales de mars 2020 ! Je suis même persuadé qu’il ignore encore aujourd’hui, comment il pourra atterrir. Dans le même temps, la conviction s’installe dans le pays, que c’est un mauvais projet de réforme.

Vous anticipez donc un élargissement des mobilisations ?

Oui, si le gouvernement persiste, dans le climat actuel c’est le schéma le plus probable. Le gouvernement ne parviendra pas à démontrer, et pour cause, que la retraite par points apporte un plus aux citoyens. Et il aura du mal à leur prouver que dépendre d’algorithmes dans un système à cotisations définies, et non plus à prestations définies - ce qui constitue un changement radical puisqu’on ne vous assurera plus un montant de retraite à un âge de départ connu -, constitue un progrès social.

L’exécutif inéluctablement se heurtera au principe de réalité selon lequel plus de la moitié des plus de 55 ans sont déjà hors du marché du travail. Que leur dira-t-il ? Désolé, vous n’êtes pas parvenus à travailler plus longtemps, vous aurez donc moins de retraite.

Je pense aussi que le 5 décembre, d’autres revendications vont s’agréger, au-delà des retraites. Le choix de certains gilets jaunes que l’on disait hostiles aux syndicats, de participer à la mobilisation, démontre que les choses évoluent ; que les syndicats ne sont pas aussi dépassés que d’aucuns le claironnaient.

Et si le débat s’élargit sur les choix économiques et sociaux du gouvernement, il y aura beaucoup à dire. Quid de sa politique fiscale déjà sur le tapis ? Faut-il continuer à distribuer des milliards d’aides aux entreprises sans contreparties ? Car c’est aussi le sentiment répandu que ses politiques sont injustes sur le plan social, déconnectées des réalités des Français, qui alimentent leur mécontentement. Qui sont les vrais privilégiés aujourd’hui ? Désormais c’est une partie du peuple qui s’oppose au président.

A votre sens, le président Emmanuel Macron se retrouve donc plus exposé que Jacques Chirac en 1995...

La configuration n’est plus la même. En 1995, les partis politiques, de droite comme de gauche, structuraient encore le débat politique. Emmanuel Macron n’a pas eu d’opposition structurée efficace. Il a contourné les syndicats pour faire avancer à marche forcée ses réformes. Tout en assurant la promotion-dénonciation du Rassemblement National comme seul adversaire. Un jeu dangereux qui peut renforcer les chances de succès de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle. Tout de même, répondre au mouvement des gilets jaunes, en imposant un coup de rabot brutal sur l’indemnisation des chômeurs : cela ne peut qu’attiser les braises !

Revenons au 5 décembre, plutôt au 6, 7, 8 et au-delà. Qu’imaginez-vous ?

En matière de mouvement social, il n’y a jamais rien d’écrit d’avance. Tout dépendra du comportement d’une part du gouvernement, d’autre part des syndicats, des salariés, des indépendants mobilisés. Sauront-ils, tout en débattant sur la stratégie, rester unis sur un objectif, le retrait du projet de retraite par points ?

En 2019 comme en 1995, le « Tous ensemble » reste moderne ! Le gouvernement d’Edouard Philippe sera peut-être plus sensé que celui d’Alain Juppé, en n’attendant pas trois semaines pour annoncer qu’il renonce.

Interveuw publié dans Marianne.

 
 
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