Liban : lettre ouverte au Président Macron

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Liban : lettre ouverte au Président Macron

"Monsieur le Président vous êtes allé le 6 août dernier dans un des quartiers les plus touchés de la capitale à la rencontre d’une foule exsangue et insurgée. Vous avez brisé tous les obstacles protocolaires, sécuritaires, sanitaires, et pour un instant vous avez été l'un des nôtres.

Ce courage dans la posture n’a malheureusement pas été suivi par un discours politique cohérent et par des propositions de sortie de crise claires et compatibles avec l’intérêt général.

Depuis le 17 octobre 2020 et le déclenchement de l’insurrection populaire, le Président de la république, Michel Aoun, l’ancien Président du conseil, Saad Hariri, ainsi que l’actuel Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, ont déclaré à maintes reprises qu’une grande partie des deniers public avait été pillée par la classe dirigeante aux affaires depuis la fin de la guerre civile.

Ces aveux publics venant des plus hautes autorités de l’État sont plus que suffisants pour jeter une présomption de culpabilité sur la totalité de cette classe dirigeante qu’elle soit pro-occidentale ou pro- iranienne ou à cheval entre les deux.

Ce constat de corruption généralisée de la classe dirigeante rend impropre votre proposition visant à redéfinir un nouveau pacte entre cette classe présumée corrompue et le citoyen libanais. En effet serait- il possible en France de demander à des dirigeants soupçonnés de corruption, de fraude fiscale ou de blanchiment d’argent d’être les acteurs d’un nouveau pacte avec les citoyens français ? Serait-il pensable de leur demander d’initier et de conduire dans un souci de transparence des audits financiers qui pourraient les incriminer ?

Parier sur le fait que la classe dirigeante, sous le poids des pressions extérieures va initier un processus de transparence qui pourrait dévoiler ses propres turpitudes, équivaudrait à mettre des lunettes roses pour voir la réalité.

Même si l’histoire nous montre que les puissances étrangères ne rechignent pas à traiter avec des dirigeants corrompus des pays du tiers monde, parfois prêts à toutes les servilités au détriment de l’intérêt de leurs pays, cette classe dirigeante médiocre avide et mafieuse a littéralement scié la branche sur laquelle elle était assise et veut entraîner dans sa chute les institutions de l’État .

Il est évident que la seule solution drastique et pérenne au problème endémique de la corruption et du trafic d’influence au Liban, c’est la solution judiciaire. Sans ça point de salut, après viendront les réformes que la France et la communauté internationale appellent de leurs vœux.

Ainsi toute aide ou initiative ou investissement à l’endroit du Liban devra être subordonnée, condition nécessaire mais pas suffisante, à la réalisation du chantier législatif suivant :

- Promulgation d’une loi sur l’indépendance judiciaire dans le but de garantir aux juges la sérénité, la sécurité et l’indépendance dans l’exercice de leur fonction en empêchant le pouvoir politique d’interférer de quelle que manière que ce soit dans les affaires judiciaires. La nomination des juges devra se faire par les juges eux-mêmes selon des critères de compétence et de probité édictés par cette loi, le modèle italien pourrait fortement inspirer une telle réforme.

- Promulgation d’une loi visant à constituer un parquet financier centralisé et spécialisé qui aura pour compétences et mission d’investiguer sur tous les dossiers de corruption et de trafic d’influence liés aux fonctionnaires et aux représentants des pouvoirs exécutifs, législatifs et municipaux. Il devra être doté de moyens matériels et humains conséquents et être assisté par une section de la police judiciaire financière dont les éléments relèveraient directement du pouvoir judiciaire et non du ministère de l’intérieur, les officiers et gradés de cette section devront avoir des notions poussées en matière de finances publiques, de comptabilité, de droit des affaires, de droit bancaire, et de droit fiscal. Ce parquet devra être en lien avec des juges d’instructions hautement qualifiés pouvant instruire avec précision des dossiers relatifs à des crimes financiers complexes et sophistiqués.

- Promulgation d’une loi rétroactive visant à abolir les tribunaux d’exception et soumettre les fonctionnaires et les représentants des pouvoirs exécutifs, législatifs et municipaux aux tribunaux ordinaires pour tout ce qui a trait aux infractions, crimes et délits qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de leur fonction.

- Modification de la loi n° 154/1999 relative à la lutte contre l’enrichissement illicite de façon à désamorcer certaines de ses dispositions pièges qui visent à neutraliser son application.

- Promulgation d’une loi rétroactive visant à lever tout type d’immunité octroyée aux fonctionnaires et aux représentants des pouvoirs exécutifs, législatifs et municipaux.

- Promulgation d’une loi visant à abolir le secret bancaire en général et de manière rétroactive quand ce secret aurait un lien avec les fonctionnaires et les représentants des pouvoirs exécutifs, législatifs et municipaux.

-Réformer la loi n° 44 de 2015 relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme de façon à ce que la commission spéciale d’investigation soit composée de personnes complètement indépendantes du pouvoir politique et des banques.

- Accélérer l’application des procédures relatives à la loi sur l’échange automatique d’information par la mise en place dans les plus brefs délais de la norme CRS.

Les pays occidentaux ont su dans le passé imposer aux dirigeants libanais la promulgation des deux lois relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et celle relative à l’échange automatique d’information susmentionnées.

De la même manière il serait important d’imposer le chantier législatif détaillé ci-haut car sans sa mise en œuvre dans les plus brefs délais, toute aide ou investissement octroyé au Liban équivaudrait à donner un nouveau souffle à cette classe dirigeante médiocre avide et mafieuse ce qui reviendrait à mettre un pansement sur une jambe en bois."

par Nabil Zakhia

Avocat au barreau de Beyrouth spécialisé en droit des affaires.

Lettre publiée par le journal "L'Orient le Jour"

Publié dans Moyen Orient

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