Pourquoi les entreprises qui licencient ou ferment ne rendent-elles pas les aides publiques ?

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Pourquoi les entreprises qui licencient ou ferment ne rendent-elles pas les aides publiques ?

Toutes les aides publiques ne sont pas remboursables, mais rien n’empêche l’Etat de renforcer la conditionnalité des subventions au maintien dans l’emploi.

Bridgestone ou comme un air de déjà-vu. L’annonce de la fermeture du site de Béthune par le fabricant de pneus japonais a été suivie par un concert de protestations, tous bords politiques confondus, sur le thème : « rendez l’argent ! » A raison.

L’Etat et les collectivités n’ont pas ménagé leurs efforts financiers pour aider l’usine du Pas-de-Calais à se moderniser et à former ses salariés. Elle a bénéficié, selon la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher, de 1,8 million d’euros au titre du CICE et de quelque 620 000 euros d’aides régionales diverses. Cela n’a pas empêché l’industriel nippon de vouloir baisser le rideau et de lui préférer une usine polonaise.

Les salariés de Whirlpool, Daewoo, Delphi, Continental, Goodyear, Ford, ou de Galderma connaissent tous la chanson.

Ces groupes ont empoché de l’argent public avant de mettre la clé sous la porte ou de licencier une partie de leurs effectifs.

L’usine Smart d’Hambach (Moselle) ne fabriquera plus de voitures en France à partir de 2022 ; le groupe Auchan qui a tourné à plein régime pendant le confinement a annoncé des suppressions de postes... L’Etat peut-il alors récupérer toutes ces aides publiques ?

Le CICE ? Pas remboursable !

Le problème est qu’elles sont de natures très différentes. Juridiquement, rien n’oblige une entreprise qui percevait le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, désormais transformé en baisse de cotisation pérenne, à rembourser cet argent. Il s’agit d’une subvention aux bas salaires. Elle remplit son objet jour après jour, chaque fois que les salariés travaillent.

On peut critiquer son manque d’efficacité et son coût prohibitif, notamment quand on voit les résultats de l’évaluation faite par France Stratégie, mais une fois versée, cette aide passe par pertes et profits.

Il en va différemment pour les soutiens que la région, le département, la commune distribuent afin que les entreprises s’installent sur leur territoire. Sur le papier, ces collectivités pourraient récupérer ces subsides, surtout lorsqu’ils sont conditionnés à des créations d’emplois. Dans la pratique, dès lors qu’une entreprise fait faillite, cette perspective est réduite à néant. Et en cas de fermeture ou de délocalisation, cela suppose d’entamer des procédures judiciaires longues et complexes.

Soucieuses d’attirer des entreprises sur leur commune, ces collectivités n’ont pas toujours le temps ni les moyens d’évaluer la solvabilité et la loyauté d’une société qui promet de créer des emplois. Elles ne font pas d’audit poussé avant de donner l’argent. Difficile, dès lors, de rentrer dans ses frais.

Caterpillar est l’une des rares directions à avoir rétrocédé les sommes dues après la fermeture de son usine d’Arras.

Légiférer sur les aides publiques ?

Faut-il donc en passer par une nouvelle loi, plus contraignante, comme vient de le suggérer Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT ?

Il est clair que la loi Florange, votée en 2014 après la fermeture des hauts fourneaux d’Arcelor Mittal, est d’une portée limitée. Elle ne concerne que les groupes de plus de 1 000 salariés et les remboursements des aides publiques sont circonscrits aux deux années précédant la fermeture.

Bridgestone n’est pas visé par le texte puisque l’usine ne compte que 863 salariés. Une loi Florange bis permettrait sans doute de combler les trous dans la raquette.

Quant à l’interdiction pure et simple des licenciements, souvent mise en avant, que ce soit en période de croissance – Michelin étant devenu un cas d’école – ou de chômage massif, elle rencontre de sérieux écueils juridiques. Elle contrevient notamment à la liberté d’entreprendre.

Pour autant, la puissance publique est loin d’être impuissante. Elle peut imposer, si elle le souhaite, des contreparties et conditionner les aides au maintien dans l’emploi.

Dans le cas des accords d’activité partielle de longue durée (APLD), l’Etat a par exemple prévu qu’une entreprise qui procède à des licenciements économiques rembourse ces subventions… Problème, le 15 septembre , dans un ajout de dernière minute au projet de décret sur le chômage partiel, qui a déclenché la colère des centrales syndicales, le gouvernement précise que cette contrainte peut être levée si la situation économique s’est dégradée depuis la signature de l’accord. Sachant que ce dernier peut durer jusqu’à deux ans, cette ouverture laisse une grande souplesse aux employeurs.

Par ailleurs, aucune contrepartie n’est exigée pour les entreprises qui bénéficient du chômage partiel classique, une promesse pourtant formulée par le gouvernement en juin dernier. Rien n’est prévu non plus pour les directions qui font des ruptures conventionnelles collectives, ou qui licencient des salariés refusant les conditions d’un accord de performance collective. Car dans ces derniers cas, ceux qui partent ne sont pas considérés comme des licenciements économiques.

Avant de crier à la « trahison », aux « assassinats prémédités », voire aux décisions de fermeture « révoltantes », l’Etat pourrait commencer par renforcer les clauses de maintien dans l’emploi. Cela n’empêcherait peut-être pas tous les licenciements, mais cela peut dissuader un employeur d’appuyer un peu trop lestement sur le bouton.

Article de Sandrine Foulon pour Alternatives Economiques

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