Pour Elisabeth Borne, un chômeur est d’abord un suspect
On peut être ministre du Travail et prendre les chômeurs pour des assistés ne faisant aucun effort pour trouver un emploi, afin d‘entretenir la fable de l’assistanat, qui a un gros succès sur les chaînes de télévision.
De passage sur BFMTV, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a su trouver les mots qu’il faut pour calmer les chômeurs: « On doit s’assurer que tout demandeur d’emploi soit incité à trouver un emploi ». Sous-entendu : si on ne le fait pas, on va laisser les personnes concernées, toutes naturellement un peu feignasses sur les bords, se vautrer dans le lit moelleux de l’inactivité, aux frais de la collectivité. C’est ce que l’on appelle l’assistanat, maladie socialement transmissible qui fait des ravages dans certains quartiers.
La fable de l'assistanat
Les ministres du Travail se suivent et se ressemblent. Tout au long de son parcours, Murielle Pénicaud a vanté le contrôle des chômeurs, comme si ces derniers avaient une vocation de fraudeurs et de tricheurs. Après le confinement, l’ancienne DRH de Danone a exhorté les Français à « consommer » pour « relancer l’économie », à croire que tout un chacun dispose d’un pactole personnel comparable au sien.
Son tour de piste ministériel effectué, elle a été recasée à l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) avec le titre d’ambassadrice, en remerciement des sévices administrés au monde du travail.
Elisabeth Borne, qui lui a succédé, s’inspire de la même philosophie, héritée de ce maître à penser qu’est Emmanuel Macron, selon qui il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi. Avec une telle conception, on peut vite expliquer que tout chômeur est un peu responsable de sa situation. Il faut donc vérifier s’il fait bon usage des émoluments royaux auquel il a droit et s’il fournit les efforts nécessaires pour accepter n’importe quel job, quand bien même celui-ci serait-il sous payé ou sans rapport avec sa qualification. Tout naturellement, on en arrive à la question qui tourne en boucle sur les chaînes d’info en continu : « Les chômeurs sont-ils trop assistés ? » Au simple énoncé de l’interrogation, on devine déjà la bonne réponse.
À l’inverse, on ne se demande jamais si les géants du privé qui croulent sous les fonds publics créent des emplois, optent pour des techniques écologiquement présentables et investissent sur le territoire national plutôt que de persister à délocaliser en rond.
Pour eux, ni suspicion ni contrôle. Un tel régime est réservé aux seuls chômeurs, ces suspects qu’il faut remettre dans le droit chemin.
Article de Jack Dion publié dans Marianne