Hercule: Le projet à combattre par François Dos Santos
Article publié par la revue "Progressistes" (N°25) à laquelle vous pouvez vous abonner à l'adresse suivante : https://revue-progressistes.org/sabonner-a-progressistes/
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Le gouvernement et la direction d’EDF préparent le projet Hercule, dernière étape en date dans un processus de libéralisation qui n’a apporté de bénéfices ni aux usagers, ni à l’entreprise, ni au développement du parc de production d’électricité, ni à la sécurité d’approvisionnement. Retour sur les principales étapes de cette libéralisation par François DOS SANTOS secrétaire du CCE d’EDF.
Depuis la fin des années 1990, le secteur de l’énergie a fait l’objet d’une libéralisation à marche forcée, sous l’impulsion de la Commission européenne et des gouvernements successifs, alors même que l’électricité française était l’une des moins chères d’Europe et qu’il n’y avait pas de demande des usagers pour un tel processus.
Pour pouvoir mener à bien cette libéralisation, il a fallu permettre aux producteurs d’avoir accès au réseau de transport (lignes à très haute tension), d’où la création de la société RTE, d’abord comme service autonome d’EDF puis comme filiale, à partir de 2005.
De la même manière, afin d’ouvrir à la concurrence le marché de la fourniture pour les particuliers et les entreprises, il a fallu séparer les réseaux de distribution, avec la création d’ERDF (devenue depuis, Enedis) en 2008.
Ainsi, pour toute prestation, plutôt qu’un interlocuteur unique, c’est désormais le fournisseur d’électricité (EDF, Direct Énergie, Leclerc…) qui contacte Enedis puis qui réalise l’intervention chez l’usager. Un intermédiaire supplémentaire qui, de fait, allonge les délais et multiplie les coûts.
Cette séparation d’EDF, RTE et Enedis a nécessité de lourdes modifications des systèmes informatiques pour les rendre indépendants, la création de certains doublons (une interface à RTE et à Enedis pour répondre aux demandes des différents fournisseurs), sans compter la nécessité de créer des fonctions supports dédiées à chaque entreprise.
Cette démutualisation a eu un coût important, jamais évalué, mais qui correspond probablement à plusieurs milliards d’euros. Et, bien évidemment, on a séparé les services communs à EDF et à Gaz de France, afin de faire de Gaz de France le premier gros concurrent d’EDF dans l’électricité, et inversement.
PRIVATISATIONS
Toutefois, la plupart des fournisseurs d’électricité (ceux qui vendent l’électricité) n’étaient pas producteurs. Ils devaient acheter leur électricité principalement à EDF, mais aussi à d’autres producteurs publics. L’État a donc procédé à la privatisation de ces autres producteurs publics : CNR (vendue à Suez), SHEM (producteur hydraulique anciennement propriété de la SNCF, vendue à Suez), SNET (producteur thermique, anciennement propriété des Charbonnages de France, vendue à Endesa puis à E.ON, puis à Uniper et aujourd’hui à EPH). Ce sont ainsi 7 GW de puissance installée en France qui ont été vendus pour construire, de toutes pièces, les premiers concurrents d’EDF.
C’est aussi dans ce contexte qu’une Bourse s’est créée, régie par l’offre et la demande, où l’électricité est négociée comme dans toute plateforme de trading, avec des fluctuations très fortes et assez peu de visibilité sur les prix à long terme. Ainsi, au début de la décennie les prix étaient de l’ordre de 70 €/MWh, ils ont chuté, à moins de 40 €/MWh entre 2015 et 2017, puis sont remontés à autour de 60 € fin 2018. Pourtant, les coûts de production d’EDF n’ont pas fluctué du simple au double sur cette période.
S’en remettre au prix de marché, c’est prendre le risque, si le prix est trop bas, de ne pas couvrir ses coûts, et donc purement et simplement de devoir fermer ou vendre les centrales; ou si le prix est bien supérieur aux coûts, de créer des rentes indues pour les différents producteurs.
C’est la raison pour laquelle très peu de centrales ont été construites en France depuis l’ouverture à la concurrence et la création du marché. Essentiellement des cycles combinés gaz : Dunkerque, Fos-sur-Mer et Montoir pour Engie; Pont-sur-Sambre et Toul pour Poweo, aussitôt revendus à l’allemand Verbund, puis au fonds KKR pour finir entre les mains de Total ; Saint-Avold pour Uniper, revendus à EPH puis à Total.
Malgré cela, les fournisseurs alternatifs à EDF considèrent qu’ils ne disposent pas suffisamment de moyens de production, et surtout qu’ils ne sont pas suffisamment compétitifs par rapport à la production nucléaire d’EDF. Ils ont donc obtenu, avec l’assentiment de l’État, de bénéficier de 25 % de la production nucléaire d’EDF (100 TWh, soit 1 milliard de kilowattheures) à un prix garanti de 42 €/MWh.
Ce dispositif s’appelle ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ainsi, on protège les concurrents des fluctuations du marché en les subventionnant indirectement. Le système est pernicieux, car si les prix du marché sont supérieurs à 42 €/MWh, ils achètent l’électricité à EDF à 42 €; si les prix sont inférieurs, ils achètent cette même électricité au prix du marché. En définitive, le préjudice économique pour EDF s’évalue autour de 10 milliards d’euros pour ce dispositif.
Dans le cadre de la loi « énergie climat », les députés ont voté le passage de 100 à 150 TWh de l’ARENH, aggravant ce phénomène. Le prix de 42 €/MWh est, lui, figé depuis près de dix ans, ne tenant même pas compte de l’inflation. Le dispositif ARENH, censé exister en attendant que les concurrents construisent leurs propres centrales, atteint l’objectif inverse car pratiquement aucune centrale n’a été construite depuis 2011. Direct Énergie et Poweo ont suspendu tous leurs projets quand ils ont su que l’ARENH allait être mis en place.
C’est essentiellement via cette subvention indirecte que les concurrents d’EDF arrivent à réaliser une marge dans leurs activités de vente d’électricité et promettre au consommateur un prix plus bas que le tarif réglementé. Ce n’est donc pas la prétendue efficacité que permet la concurrence toujours et partout qui permet la baisse des prix : il s’agit tout simplement d’un détournement des fonds du service public d’EDF.
UNE NOUVELLE ÉTAPE DU DÉMANTÈLEMENT
Le projet Hercule, annoncé par le président d’EDF en 2019 – en fait Emmanuel Macron en avait parlé dès 2016, alors qu’il était ministre de l’Économie –, n’est que le coup final porté à l’entreprise EDF. Il a été suivi très rapidement par des banques d’affaires comme UBS, Natixis, Oddo, qui ont émis de nombreux scénarios sur la valorisation financière d’une scission, indépendamment de tout intérêt stratégique ou industriel.
Premier point. On interdit à EDF d’être à la fois producteur et commercialisateur de son électricité, de manière que les autres fournisseurs bénéficient de la production d’EDF bien au-delà des 100 TWh actuels (ARENH). La direction Commerce d’EDF et ses 8500 salariés se retrouvent filialisés et devront passer par le marché pour fournir leurs clients. On pérennise et rend irréversible le dispositif ARENH, qui devait pourtant s’arrêter en 2025. On prend acte du fait que les concurrents d’EDF ne construiront jamais de centrales et on demande aux activités nucléaires et thermiques d’EDF (nom de code : EDF Bleu) d’être assureur du système pour que les libéraux puissent jouer en Bourse avec les kilowattheures sans se soucier des conséquences pour l’outil industriel.
Alors que le prix de l’électricité est constitué d’un tiers de taxes, d’un tiers d’accès au réseau (coûts identiques quel que soit le fournisseur), on met tous les fournisseurs sur un pied d’égalité en termes d’approvisionnement en énergie. Ainsi, le fait d’être à la fois producteur et commercialisateur ne donne plus d’avantage sur le tarif. La part du prix « à la main» du commercialisateur représenterait à peine 5 % et est essentiellement la marge commerciale et les coûts commerciaux (système d’information et de facturation, conseillers clientèles…).
Il est certain que le modèle EDF avec 5000 conseillers, tous basés en France, et des équipes « solidarité » en lien avec les publics précaires et les assistantes sociales n’a pas d’avenir face à une machine à fabriquer du dumping social : délocaliser les centres d’appels à l’étranger (comme Engie) ou tout faire faire en ligne par l’usager.
Deuxième point. On met dans une holding distincte (nom de code : EDF Vert) notamment Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia, la direction Commerce d’EDF, les activités d’outre-mer et de la Corse d’EDF, et l’on introduit en Bourse 35 % du capital.
Troisième point. On maintient dans EDF Bleu les activités de production nucléaire et thermique. L’avenir de l’hydraulique, toujours sous le coup d’une volonté européenne de privatisation des concessions, est toujours inconnu et n’a pas de lien avec le projet Hercule. L’avenir de la production électronucléaire française, dont la décision de renouvellement du parc ne doit pas intervenir avant 2021, n’a pas non plus de rapport avec Hercule.
QUI EST GAGNANT?
C’est avec une visée essentiellement financière qu’a été construit ce projet. On privatise dans « Vert » les activités qui ont des revenus garantis : Enedis bénéficie du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics, fixé par l’État tous les quatre ans), EDF Renouvelables bénéficie de contrats d’achat à prix garantis pour quinze à vingt ans sur ses projets photovoltaïques ou éoliens, Dalkia est partie prenante dans des délégations de service public qui garantissent les recettes ; et les activités d’outre-mer et de la Corse d’EDF sont totalement régulées, puisque le marché n’y est pas ouvert à la concurrence.
De l’autre côté, « Bleu » reste détenu par l’État et joue la redistribution de la rente des ouvrages amortis à tous les fournisseurs privés, tout en portant seul le risque financier du renouvellement de l’outil de production français. Les activités à retour sur investissement très rapide et garanti, pour le privé; les activités à retour sur investissement plus long mais à forte valeur économique et sociale, pour le public.
Ce projet n’a aucun intérêt ni pour l’entreprise EDF, ni pour ses salariés, ni pour les usagers de l’électricité. Elle ne permet pas de baisse du prix de l’électricité par rapport à la situation actuelle. Elle ne permet pas de garantir les investissements futurs dans le parc de production.