100 ans de PCF : Quand Révolution rimait avec émancipation, par Jack Dion

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

100 ans de PCF : Quand Révolution rimait avec émancipation, par Jack Dion

Dans certains milieux, il est de bon ton de fustiger les « extrêmes », ou les « populismes concurrents ». On n’hésite pas alors à mettre dans le même sac le Parti communiste et le Rassemblement national, deux partis noyés dans l’océan infâme des manipulateurs de pauvres à des fins inavouables, incompatibles avec les vertus démocratiques. Un peu comme si on renvoyait dos à dos les communards et les « Versaillais », les résistants et les collabos, les anticolonialistes et les « pro-Algérie française ». Cela s’appelle une infamie ou, pour parler crûment, une saloperie.

Quoi qu’on pense de son histoire, de son programme et de ses dirigeants successifs, le PCF aura marqué le XXe siècle en raison des liens qu’il a tissés avec cette entité qu’on appelle le peuple, que certains, aujourd’hui, prennent avec des pincettes.

Né du mouvement ouvrier, le Parti communiste s’est créé en prenant fait et cause pour la révolution d’Octobre (1917), au point d’en accepter les impasses théoriques, politiques et organisationnelles ayant débouché sur les drames sanglants qui ont marqué le siècle dernier. Il ne s’en est d’ailleurs jamais vraiment remis.

On se gardera donc de réhabiliter le PCF, son présent et son passif. L’histoire a tranché. L’affaire est réglée. Mais si le Parti communiste a son avenir derrière lui, l’utopie dont il a été porteur demeure, tout comme le rêve d’émancipation collective qu’il a exprimé et l’aspiration à un « en commun » qu’il a symbolisés. On enterre un cadavre, mais pas un espoir.

De plus, loin d’être un simple produit d’importation « made in USSR », le mouvement communiste à la française s’est inscrit pleinement dans l’histoire nationale, dans la filiation des Lumières, de 1789, de la Commune et de la Résistance. Pour cette simple raison, la comparaison avec l’extrême droite est hors sujet.

Toutes les grandes conquêtes sociales sont issues de mobilisations sinon lancées du moins soutenues par les communistes. Ce fut le cas en 1936, notamment avec l’instauration des congés payés par le gouvernement du Front populaire. Ce fut encore le cas à la Libération, quand les communistes participèrent au gouvernement avec les gaullistes, et qu’ils furent à l’initiative de la Sécurité sociale et du statut de la fonction publique. Ce fut encore le cas en 1968, époque à laquelle, à défaut de prendre la mesure du mouvement de révolte, ils agirent pour la mise en place de réformes décisives, telles que l’augmentation du salaire minimum et la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise. Ces trois moments historiques ont façonné le modèle social qui a tant troublé les nuits des états-majors du patronat.

Ces moments clés du roman national n’auraient jamais vu le jour sans l’impulsion de militants actifs dans la société et notamment dans le monde syndical. Cela s’est fait parfois avec une volonté d’influer sur ce dernier selon des méthodes fort directives, quand elles n’étaient pas carrément intrusives. Mais les classes exploitées ont ainsi pu faire entendre leur voix dans un concert où elles étaient jusque-là réduites au rôle de faire-valoir ou de spectateurs silencieux.

Cela a tenu à l’immersion populaire au sein même du Parti dans des conditions inédites jusqu’alors, sauf durant la brève période de la Commune de Paris (26 mars-28 mai 1871), qui vit des ouvriers, des artisans, des commerçants – dont nombre d’étrangers – transformés en hommes d’État. Le Parti communiste s’est abreuvé à cette expérience en donnant toute leur place aux prolétaires, comme on disait alors. Dans le gouvernement dirigé par le général de Gaulle à la Libération, le communiste Charles Tillon, ajusteur dans la marine, était ministre de l’Air, et son camarade François Billoux, fils de métayer, employé dans un magasin de textile, était ministre de la Santé. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on verrait de telles « incongruités ».

Pendant longtemps, le PCF fut l’un des rares partis à permettre l’accession des ouvriers ou des employés à des postes de responsabilité, soit comme députés soit à la direction des villes, au point d’en faire l’une des originalités du « communisme municipal ».

En un temps où règne une élite formatée dans les cercles de la pensée conforme, on a du mal à imaginer ce que cela représenta d’émancipation pour les intéressés comme pour ceux qui bénéficièrent de leur action, découvrant la solidarité au quotidien. Pour mesurer le chemin parcouru dans le mauvais sens, on se permettra de rappeler la formule lancée par Pierre Mauroy, ex-Premier ministre socialiste, à l’attention de Lionel Jospin, peu avant son élimination au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 : « Dans ton programme, Lionel, cherche les ouvriers et les travailleurs. Ouvrier, ce n’est pas un gros mot, quand même ! » Plus près de nous, François Hollande avait confié, après la fermeture de l’usine de Florange et de ses conséquences électorales : « Perdre les ouvriers, ce n’est pas grave. »

À sa manière, le PCF a lui aussi perdu les ouvriers. Le RN en a profité pour s’implanter dans les milieux populaires, arracher le drapeau du parti protestataire sans se départir d’une approche ethniciste. La marginalisation du PCF a facilité l’archipellisation du pays, la montée du communautarisme, l’exacerbation des replis identitaires et le recul d’une approche collective des questions sociales et des enjeux contemporains.

Quand recule la vision de la France chantée par Jean Ferrat, monte la voix des prophètes de malheur, des intégristes de toutes obédiences et des obscurantistes de toutes les chapelles. Jusqu’à preuve du contraire, on ne gagne pas au change.

Dans son dialogue avec le philosophe chinois Zhao Tingyang (Du ciel à la terre. La Chine et l’Occident Les Arènes, 2014), Régis Debray écrivait : « Rien ne m’enlèvera de l’idée que le credo communiste, avec ses diverses chapelles, a eu l’immense mérite d’incarner, autour du mythe Révolution et pendant une centaine d’années, un essai de culture commune et transfrontière. Il permettait à un individu parlant peu ou prou le “marxiste” et muni de quelques lettres de recommandation ou mots de passe de passer de ville en ville, de pays en pays, d’entrer en contact avec des inconnus et de trouver auprès d’eux le gîte et le couvert. Au nom d’un idéal partagé, et pas pour faire des affaires ou gagner de l’argent. »

Reste à reconstruire un « idéal partagé » sous des formes nouvelles, expurgées des impasses du passé, et ce n’est pas une petite affaire.

Jack Dion

Article publié dans Marianne

Publié dans PCF, Histoire

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