Comment et pourquoi nait le PCF à Tours, il y a cent ans ? Interview de Julian Mischi

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Comment et pourquoi nait le PCF à Tours, il y a cent ans ? Interview de Julian Mischi

Il y a 100 ans, en décembre 1920, naissait le Parti communiste français (PCF). La fondation de ce parti n’est pas un évènement isolé. À la fin de la Première Guerre mondiale, dans toute l’Europe, le mouvement ouvrier qui avait commencé à se structurer au 19ème siècle se scinde en deux : les sociaux-démocrates (l’ancêtre du PS actuel en Belgique) et les communistes (ancêtre du PTB). Ce divorce persiste encore aujourd’hui.

D’où viennent les partis socialistes actuels ? Pourquoi des partis communistes ont-ils vu le jour ? Quelles étaient (et sont encore) les points de désaccords entre socialistes et communistes ?

Pour répondre à ces questions, Solidaire a rencontré Julian Mischi, sociologue français, qui publie un livre sur le centenaire du PCF. Il nous fait remonter au début du 20ème siècle, au temps de la Deuxième Internationale. Cette organisation, fondée en 1889, regroupait les partis ouvriers essentiellement européens et avait comme objectif de coordonner leur action. Avec le développement du suffrage universel masculin, et des États-Nations, les partis ouvriers se structurent à la fin du 19ème siècle, explique ce spécialiste de l’histoire du PCF.

Au temps de la Première Internationale de Karl Marx et de Friedrich Engels, il n'y avait pas de parti très fort ni réellement structuré. Le mouvement ouvrier s’appuyait sur des associations ou des syndicats. Avec la Deuxième Internationale, qui rassemble les partis socialistes, on voit une volonté d’unifier un courant socialiste à travers les partis. Cela n’ira pas de soi, parce que les mouvements sont très divers, dans l’ensemble des pays.

En France, par exemple, il y avait différents partis. Comme le « Parti Ouvrier Français », de Jules Guesde. En paroles, il était le plus marxiste. Son organisation était relativement petite, mais très bien organisée. Il y avait aussi le « Parti socialiste français » de Jean Jaurès, qui était beaucoup plus tourné vers l'action parlementaire. Il faut attendre 1905 pour que soit fondée la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO). C'est le Parti socialiste qui est affilié à la Deuxième internationale. On parle alors de « Parti socialiste unifié », parce qu'il a unifié différents courants socialistes. »

Quel est le poids des ces partis socialistes unifiés dans la vie politique en Europe ?

Julian Mischi. Ce sont des partis très puissants, par leur nombre d'adhérents, mais aussi par la force électorale qu'ils représentent. Le Parti Social Démocrate (SPD) devient le premier parti d'Allemagne dès 1912, en termes de suffrages recueillis. La SFIO devient le deuxième groupe à la Chambre française, lors des élections législatives de 1914, avec 102 députés. Jean Jaurès, le chef du groupe parlementaire, est aussi directeur du quotidien L’Humanité (journal officiel de la SFIO, NdlR) et une figure politique majeure.

Progressivement, ils se mettent à défendre qu’on peut arriver au socialisme via la voie parlementaire ?

Julian Mischi. Officiellement, ces partis mettent toujours en avant « l'urne et le fusil ». C'est à la fois le combat dans la rue et le combat dans les urnes. Mais en réalité, on voit qu'il y a un glissement. La SFIO est progressivement dominée par les parlementaires et leurs collaborateurs. Et c'est le groupe parlementaire qui donne le « la » de ce qu'est, et de ce que fait le mouvement socialiste. Le parti en tant que tel est relativement faible.

En réalité, il est fort par son groupe parlementaire. Le parti se structure très vite autour de ses élus et de la conquête d'une position importante dans le Parlement (ce n’est pas une spécificité française : ce sera aussi le cas du Parti Ouvrier Belge, du Parti Travailliste au Royaume-Uni… NdlR)

Quelle va être leur position à l’approche de la Première Guerre mondiale ?

Julian Mischi. La Deuxième Internationale avait très rapidement mis en avant la lutte contre le chauvinisme (admiration exagérée, excessive de son pays, NdlR), contre le militarisme. Ces thèmes sont très importants dans les différents congrès de l'Internationale au début du 20ème siècle. Dans les discours, on critique la course aux armements des gouvernements, leurs comportements bellicistes.

Avec la colonisation, les grandes puissances pillent les richesses naturelles de l’Afrique et de l’Asie et soumettent des dizaines de millions de colonisés au travail forcé. Les grands industriels et banquiers français, anglais, belges, allemands s’enrichissent énormément grâce à cette politique. Pour masquer ce pillage en règle, les gouvernements prétendent y amener la « civilisation ». Les peuples qui osent se révolter sont écrasés dans le sang.

Les marxistes ont toujours critiqué la colonisation comme « une des pires formes de l’exploitation capitaliste », et exigé l’indépendance pour ces peuples. Mais au début du 20ème siècle, certains dans le mouvement socialiste commencent petit à petit à accepter le cadre colonial : ils ne critiquent plus que les « excès » de la colonisation. En 1907, le Congrès de la Deuxième Internationale déclare que les socialistes doivent exiger des « réformes pour améliorer le sort des indigènes ». Plutôt que l’indépendance, une majorité des socialistes demande alors une politique coloniale « humaine ».

Mais la colonisation augmente aussi les tensions entre les grandes puissances. L’Allemagne, peu fournies en colonies, lorgne sur les colonies françaises et britanniques. Les Britanniques, eux, veulent contrôler l’approvisionnement en pétrole du Moyen-Orient, mais en sont empêchés par les Allemands : la Première Guerre mondiale éclate.

Et la majorité des dirigeants socialistes soutiennent alors l’envoi de travailleurs français (ou belges) se battre contre des travailleurs allemands (et vice-versa). « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels » résumera très justement l’écrivain Anatole France.

Mais rien de tout cela dès que la guerre est déclenchée ? 

Julian Mischi. Non, les dirigeants socialistes français et allemands font bloc derrière leurs gouvernements respectifs. Donc, il y a un alignement sur leurs gouvernements au nom de la défense de leur nation. Et ce, quelques jours après qu'il y ait encore eu des slogans contre la guerre, pour le socialisme international.

Dès le 4 août, les députés français votent les crédits de guerre et répondent à l'appel à l'Union sacrée (l’union de toutes les forces politiques et religieuses) lancé par le Président de la République, Raymond Poincaré. Les socialistes vont entrer au gouvernement. Avec notamment Jules Guesde, une des principales figures du socialisme français.

Comment le justifient-ils ?

Julian Mischi. Pour eux, cette défense de la nation, est aussi une défense du socialisme. Dans le sens où ils disent défendre la nation issue de la Révolution française, de la Commune de Paris, contre l'envahisseur allemand. Ils s’opposent au militarisme, à l'impérialisme allemand et c'est considéré comme une guerre défensive juste. Et elle se fait au nom des valeurs du socialisme et de l'Internationale.

Alors que les socialistes de tous les pays se disaient opposés à la guerre, l’immense majorité des dirigeants des partis ouvriers soutiennent l’entrée en guerre de leur pays. Certains sont « récompensés » par des postes de ministres. La Grande guerre fera près de 20 millions de victimes dans le monde. (Photo DR)

Sauf que c’est le même discours du côté allemand… 

Julian Mischi. Voilà. Progressivement, les intérêts des États-Nations et de leur bourgeoisie nationale avaient été incorporés au sein même des partis du mouvement ouvrier : l'identité allemande, française ou belge, etc. pour les socialistes était devenue prépondérante. Si bien que ce tournant est vécu de manière assez naturelle par la plupart des dirigeants.

S’ils disent défendre le socialisme, comment les ministres socialistes vont-ils agir au gouvernement ?

Julian Mischi. En réalité, ils accompagnent toute la censure et la répression de ce gouvernement d'Union sacrée. Il y a au départ très peu de voix qui vont s'opposer à la dérive chauvine et à l'entrée en guerre. Il y a ainsi la répression des mutineries sur le front à la fin de la guerre (avec la guerre qui s’enlise, une partie des troupes françaises se révolte en 1917 contre l’autorité et la guerre, NdlR).

La répression s’étend aussi sur le mouvement ouvrier. Un cas marquant est celui des usines d'armement. Le ministre qui s'occupe de l'armement est le socialiste Albert Thomas, qui a intégré le gouvernement durant la guerre. Surnommé le « ministre des obus », il met en place un contrôle des milieux ouvriers puisqu'il y a des débuts de contestation dans les usines d'armement. Albert Thomas travaille en partenariat avec le patronat pour augmenter la productivité, pour aider et développer la discipline ouvrière. Progressivement, une opposition grandit et critique Albert Thomas en disant que le peuple souffre dans les tranchées ou dans les usines, pendant que les chefs socialistes sont des planqués dans les ministères et dans les bureaux.

Parlons des opposants à la guerre. Ils sont peu nombreux au début du conflit ? 

Julian Mischi. Oui, il y a un certain conformisme dans la population. Donc, indépendamment du fait d'être socialiste ou pas, quand le pays entre en guerre, vu que tous les médias, que les chefs (même ceux qui semblaient les plus « radicaux », comme Jules Guesde) vont dans le même sens, il y a une évidence à prendre les armes contre l'envahisseur allemand. Il y a un élan populaire à accepter l'entrée dans la guerre. Et donc, il n'y a qu'une petite minorité qui va s'opposer à cette dérive. Mais en 1914-1915, c'est vraiment très faible. 

Qui sont-ils ?

Julian Mischi. Ce sont des syndicalistes minoritaires de la CGT, des militants anarchistes, quelques socialistes, des féministes. Ce qui est intéressant, c'est que ce sont des militants qui ne se rencontraient pas spécialement avant. Il y a une sorte de recomposition du mouvement ouvrier, notamment autour des syndicalistes révolutionnaires.

Ça se fait souvent en lien avec des réfugiés politiques, notamment russes, très nombreux à Paris. Grâce à ces réseaux, des militants qui sont isolés dans leur organisation se rassemblent. Progressivement émerge l'idée de refonder une nouvelle internationale et de redynamiser le mouvement ouvrier autour de valeurs internationalistes et pas autour de valeurs nationalistes. 

Vous évoquez deux révolutionnaires dans votre livre : Rosa Luxembourg (Allemagne) et Lénine (Russie). Quel est leur rôle ?

Julian Mischi. Ils ont une influence parce qu’ils sont insérés dans des réseaux internationaux. Lénine voyage en Suisse, en France, publie dans des journaux internationaux. Si leur influence est faible par rapport à la population, sur la masse de militants internationalistes par contre, ils ont une influence très forte. Ce qui fait leur force, c'est qu’ils raisonnent au niveau international en disant qu'il y a une « faillite de la Deuxième Internationale » (titre d’une œuvre de Lénine, NdlR) et qu'il y a besoin de ressourcer le mouvement ouvrier.

Lénine, le dirigeant des révolutionnaires russes, s’était toujours opposé à la guerre. Dès son arrivée au pouvoir en 1917, il met fin à la guerre sur le front de l’Est. Le prestige des révolutionnaires russes et de leurs idées rayonnera sur le monde entier. (Photo DR)

Pour eux, elle est morte lorsque la Première Guerre mondiale a été déclenchée, sans qu'il y ait eu d'opposition de la part des dirigeants socialistes. Ils appellent donc à faire émerger une nouvelle structure internationale et surtout une révolution internationale. Selon eux, la sortie de la guerre passe par le fait que les différents peuples se mettent ensemble et se retournent contre leurs bourgeoisies nationales.

Alors que Lénine ou Luxembourg espéraient une révolution socialiste en Allemagne, car c’était le pays le plus industrialisé et avec le parti socialiste le plus puissant, c'est en Russie qu'elle va avoir lieu, en 1917. 

Julian Mischi. C'est un événement qui a eu une influence très forte. Il faut rappeler qu’il y a eu deux révolutions, d'abord la révolution de février, qui renverse le régime tsariste (le tsar était l’empereur russe, qui régnait quasi sans partage jusque là, NdlR) et qui impulse la constitution des « Soviets ». Ce sont des conseils de délégués ouvriers et soldats qui appellent très vite à la paix. La seconde révolution a lieu en octobre et aboutit à la prise de pouvoir des bolcheviques qui étaient très actifs dans les Soviets (le terme « bolchevique » signifie « majoritaire » en russe, NdlR). Le gouvernement russe dirigé par les révolutionnaires conclut une armistice, très vite après la révolution (via le Traité de Brest-Litovsk en mars 1918, NdlR). 

Comment cet évènement est-il accueilli ailleurs en Europe ? 

Julian Mischi. Du côté français, il y a un engouement très fort pour la première révolution au sein de la SFIO et de la CGT. On trouve très positif le fait qu'il y ait la fin du régime autoritaire du tsar Nicolas II. Car en même temps, il y a le maintien des Russes dans la guerre, aux côtés de la France et du Royaume-Uni contre l’Empire allemand. Par contre, il y a une méfiance très forte de la SFIO et de la CGT lors du soulèvement d'Octobre. Cette révolution est plutôt mal perçue pour plusieurs raisons, mais notamment car cela permet la fin possible de la participation des Russes à la Première Guerre mondiale. Pour la première fois, un pays important engagé se retire du combat 

Mais la perception est différente pour les opposants à la guerre ?

Julian Mischi. Oui pour eux, cela est vu de manière plus positive. Surtout, avec la question du pouvoir ouvrier (via les soviets, NdlR), la révolution d'Octobre va progressivement être vue comme la première révolution socialiste qui fonctionne. Mais, il faut plusieurs années pour qu'il y ait un engouement fort autour de la révolution.

Ça se structure plus tard. À partir de 1918-1919, lorsque la Première Guerre mondiale s'arrête, il y a un réengagement militaire international contre la Russie : des forces armées britanniques et françaises interviennent en Russie aux côtés des anciennes forces tsaristes (les « Blancs), contre les « Rouges » (ces pays craignaient une extension de la révolution partout en Europe, NdlR). C'est là où il y a surtout un basculement, même pour ceux qui ne sont pas spécialement pour les bolcheviques au départ.

Cela va aboutir à la rupture avec la Deuxième Internationale ?

Julian Mischi. Au sortir de la guerre, la question nationale (« la défense de la Patrie ») est mise de côté et la question sociale revient au premier plan. Il y a beaucoup de luttes contre la vie chère. Les anciens soldats qui retournent à la vie civile ont beaucoup de difficultés à retrouver un emploi ou dans leur vie personnelle. Les syndicats et organisations socialistes françaises grossissent parce qu'elles se radicalisent.

À partir de 1918-1919, il y a aussi une répression très forte du mouvement ouvrier. Les grévistes sont réprimés en étant accusés d’être bolcheviques, pro-russes ou pro-allemands, même lorsqu'ils ne se mobilisent pas au nom de la révolution russe. Le mouvement des cheminots est particulièrement réprimé. Il y a plusieurs grèves très importantes en 1920 avec une répression très forte, et une révocation (licenciement, NdlR) de 15 000 cheminots. Au printemps 1920, l’idée d'un complot bolchevique contre la sûreté de l’État est créée de toutes pièces par le gouvernement. Cela aboutit à l'emprisonnement des principaux dirigeants syndicaux et socialistes de l'aile gauche.

Au sortir de la guerre, beaucoup de luttes se développent contre la vie chère, comme en 1919 dans l’industrie textile. Les syndicats et organisations socialistes françaises grossissent et adoptent un discours plus révolutionnaire. (Photo DR)

En mars 1919, la Troisième Internationale (« Internationale communiste ») est fondée. Comment les communistes vont-ils se détacher des socialistes ?

Julian Mischi. Dans la plupart des pays, lors de cette période très conflictuelle de l'après-révolution russe, des scissions se produisent dans les organisations socialistes. Soit des courants minoritaires, révolutionnaires, internationalistes sont mis dehors. Soit ces courants partent d’eux-mêmes pour s'organiser de manière indépendante. Dans le cas français, il n'y a pas eu de scission jusqu'en décembre 1920.

Lors du 18ème Congrès de la SFIO, à Tours, la majorité (70 % des délégués) choisit de rejoindre l'Internationale communiste, et de devenir la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, ancêtre du Parti communiste français).

La scission se fait du côté de la minorité, qui refuse d'adhérer à l'Internationale communiste. Ce sont les socialistes les plus proches de l'Union sacrée du socialisme de guerre.

En Allemagne, c'est plus sanglant. Les militants communistes s’étaient déjà séparés durant la guerre du SPD. Ils mènent une révolution en 1918-1919. Elle est matée dans le sang. Les militants communistes sont assassinés, sur ordre du ministre de l'Intérieur, Noske, qui est un social-démocrate.

Quelles sont les grandes divergences entre les socialistes et ceux qu’on appelle désormais les communistes ? 

Julian Mischi. D’abord, les futurs communistes critiquent l’attitude des dirigeants socialistes lors de la Première Guerre mondiale. Au congrès de Tours, les délégués qui souhaitent rejoindre l'Internationale communiste veulent mettre de côté les social-chauvins, ceux qui ont compromis les valeurs socialistes pendant la guerre. C'est vraiment d'abord au nom du pacifisme et de l'internationalisme que se structure un clivage qui va se renforcer. Mais ils critiquent aussi la participation de socialistes au gouvernement (voir encadré ci-dessous).

Les socialistes peuvent-ils participer à un gouvernement en alliance avec les partis bourgeois ?

Ce débat que l’on retrouve encore aujourd’hui est aussi présent à l’époque. En France, en Belgique, en Allemagne, en Italie, même au Japon : les partis ouvriers se déchirent sur la question. À mesure que ces partis obtiennent des victoires électorales, la pression pour envoyer des socialistes au gouvernement augmente (c’est ce qu’on appelle alors le « ministérialisme »).

Le Français Jaurès ou le Belge Vandervelde défendaient qu’on pouvait obtenir des « petites avancées » avec des ministres socialistes. Les révolutionnaires leur répondaient qu’en agissant ainsi, on allait perdre de vue l’objectif final : le socialisme.

Dans une lettre de 1894, Friedrich Engels avait déjà mis en garde : les socialistes « toujours en minorité dans le cabinet, partageraient la responsabilité des actes d’un ministère bourgeois », et ce compris la répression du mouvement ouvrier.

L’expérience de la participation de socialistes dans le gouvernement durant la Première Guerre mondiale n’a fait que confirmer cette mise en garde. Autre danger pour Engels : la présence de ministres socialiste « diviserait la classe ouvrière, et paralyserait complètement l’action révolutionnaire ». Sans compter les opportunistes qui ne manqueraient pas d’être attirés par des postes.

La Deuxième Internationale prit officiellement position contre le « ministérialisme ». Mais dans tous les partis, du Parti Ouvrier Belge à la SFIO, en passant par le SPD allemand, le courant « ministérialiste » resta puissant. Et lors du déclenchement de la Grande guerre, tous ces partis envoyèrent des représentants dans des gouvernements bourgeois d’union nationale.

Il y a aussi des divergences sur la question de l'organisation du parti ?

Julian Mischi. Les communistes critiquent le fait que les élus et les dirigeants n'ont pas rendu de comptes sur leurs actions aux militants. Il est question d'avoir un parti plus structuré, dans lequel le groupe parlementaire, mais aussi la presse, seront sous la supervision des militants et de la direction du parti. On imagine donc un parti « de type nouveau », où on aurait une discipline militante. Les parlementaires auront des comptes à rendre aux membres et ils vont défendre à l'assemblée des mots d'ordre qui sont discutés dans le parti. Ils ne seraient plus libres de faire ce qu'ils souhaitent, mais ils devraient porter la parole de manière plus collective.

En plus, leurs profils vont évoluer. Avant la guerre, c'étaient essentiellement des avocats, des journalistes, des professions libérales. Ils avaient un discours qui pouvait être assez radical. Mais en réalité, ils étaient issus de milieux sociaux assez privilégiés. À partir des élections législatives de 1924, il va y avoir de nouveaux profils qui vont émerger avec des parlementaires qui sont d'origine ouvrière.

Enfin, il y a une critique d’un embourgeoisement des dirigeants socialistes ? 

Julian Mischi. Ce qui gêne le plus les militants qui vont voter l'adhésion à l'Internationale communiste, c'est le fait qu’au sein du Parlement, il y a des amitiés qui se sont faites entre les chefs socialistes et les autres représentants politiques. Le style de vie, leur position sociale, leurs fréquentations : tout cela fait qu'ils se sont insérés dans un milieu bourgeois, et sont devenus proches de la bourgeoisie qu'ils étaient censés combattre. Ça aboutit progressivement à la collaboration de classes. Tout ça au détriment de ceux qui ont été envoyés se battre sur le front. 

Ces représentants politiques mais aussi syndicaux se sont progressivement détachés des luttes ouvrières, des conditions de vie des masses populaires. Ils ont fait de leur engagement un métier politique qui les empêche de voir la réalité du monde du travail. Ils se sont aussi embourgeoisés au niveau de leurs idées. Ils ont gardé un discours qui pourrait être virulent de manière symbolique. Mais dans leur choix, dans leurs pratiques de vie et dans leur engagement, ils se sont modérés.

Les communistes refusent donc les « compromissions », et c'est vraiment le mot qui est mis en avant par tout un ensemble de militants.

xxx

Interview publié dans le blog Solidaire paru dans le magazine N° 16 de Lava

Julian Mischi a écrit différents ouvrages au sujet du Parti communiste français. Son dernier livre, Le Parti des communistes est paru aux éditions Hors d’atteinte.

 

 

Publié dans PCF, Histoire

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