Total. Grève à Grandpuits, face à une direction qui éclipse la question de l’emploi
Alors que les installations devaient amorcer leur arrêt en vue de la reconversion de la raffinerie, les ouvriers ont massivement cessé l’activité depuis lundi. Ils dénoncent une précipitation et exigent des réponses quant aux effectifs.
Mettre la charrue avant les bœufs. C’est le sentiment des salariés de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) vis-à-vis de Total, qui voulait entamer le dégazage des installations en ce début 2021. Une précipitation qui passe mal alors que le plan social, toujours en cours de discussion, devrait acter la disparition de 150 emplois sur 400 afin de reconvertir le site en plateforme de biocarburants et bioplastiques d’ici à 2024.
Lundi 4 janvier, aux aurores, 100 % des effectifs se sont donc mis spontanément en grève.
« Les ouvriers ont pris conscience de ce qui était en train de se mettre en route, glisse Adrien Cornet, délégué syndical CGT, ils sont en mouvement avec beaucoup de détermination. Tous ont l’impression de se faire balader dans les négociations du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) et refusent de commencer maintenant le démantèlement. »
« Nous avons déjà 100 heures supplémentaires par mois »
Après trois grèves de 48 heures depuis l’annonce, le 24 septembre 2020, de la transformation du complexe industriel, les salariés tiennent désormais le piquet non-stop avec le soutien des syndicats CGT, CFDT et FO.
Si des licenciements secs ne sont pas prévus, des mobilités et des départs en retraite anticipée sont sur la table pour réduire la voilure, laissant présager des conditions de travail encore plus dégradées. Avec ce projet baptisé Galaxy, les employés craignent littéralement d’exploser en vol.
D’après la CGT, la situation actuelle, compliquée, avec 7,8 personnes par poste en 3x8, serait aggravée avec la baisse de ce ratio à 7 personnes. « Nous avons déjà 100 heures supplémentaires par mois, 1 600 à l’année, des reliquats de congés, des repos travaillés, mais là, la direction pense que cela va fonctionner pareil avec 250 salariés restants ! Ils vont juste crever au boulot ! » dénonce David Picoron, secrétaire de la CGT à Grandpuits.
Habitués à prendre leurs vacances en deux cycles l’été, les ouvriers devraient aussi renoncer à l’un des deux. Autre fait inquiétant : la plateforme reconvertie compterait un poste de pompier et trois d’intervenants sécurité chargés d’agir en cas de blessure ou d’incendie, contre cinq actuellement.
« Nous avons estimé qu’il y avait un trou dans la raquette de 40 à 50 effectifs au bas mot pour travailler correctement, poursuit-il.
Nous avons demandé une simulation sur les congés, mais la direction nous a répondu qu’elle ne pouvait pas la faire… Nous sommes dans un plan social de sauvegarde de l’emploi où Total refuse de parler d’emploi ! Après avoir essayé de mettre plusieurs fois ce sujet sur la table, nous exigeons maintenant un espace de concertation sur cette question et que l’outil ne soit pas mis en zéro énergie avant la fin du plan social. »
Une industrie réduite à néant dans toute la Seine-et-Marne
Si Total a assuré que les ouvriers refusant la mobilité ne seraient pas débarqués, la suite s’annonce moins rose :
« Ils se retrouveront au placard, sans poste fixe, avec tout ce que ça génère de risques psychosociaux et, au bout de deux ans, ils partiront d’eux-mêmes. Comme ça, le groupe peut afficher aucun licenciement ! » tranche David Picoron.
Quant aux 700 sous-traitants en permanence sur le site, 1 200 au total à l’année, nul ne sait ce qu’ils vont devenir avec l’arrêt du raffinage prévu en mars 2021. Avec cette catastrophe sociale en cascade, dans un département de Seine-et-Marne où l’industrie est presque réduite à néant, un des prestataires, Vermilion, a déjà entamé une procédure de plan visant 26 personnes.
Pour la CGT, pas de doute, les objectifs de rentabilité de ce projet ont guidé les projections du géant pétrolier, qui a versé 7 milliards d’euros de dividendes en 2020.
« Ils ont prévu de générer 60 millions de cash-flow (trésorerie), en fourchette basse, contre 28 millions aujourd’hui avec la raffinerie. Ce plan est un effet d’aubaine, Total s’est engouffré dans la brèche. Il devrait y avoir zéro suppression d’emploi ! » tonne Adrien Cornet.
Les salariés comptent bien maintenir la pression avant la dernière réunion du plan social, le 9 février. Sans réponses concrètes de la direction, l’assemblée générale de jeudi devrait acter la prolongation du mouvement.
Article de Cécile Rousseau publié dans l'Humanité