Printemps social ou pas ? La CGT le souhaite et le construit !
Détresse étudiante, grève des soignants, mobilisation des agents de la fonction publique, colère dans les universités… Malgré le contexte sanitaire et une fatigue notable dans plusieurs secteurs, les organisations syndicales se préparent à un « printemps social » avec des mobilisations dans les entreprises, les secteurs, les territoires et dans les rues.
Les médecins des hôpitaux de Perpignan, Thuir et Prades (Pyrénées-Orientales) « tirent la sonnette d’alarme ». Dénonçant des mesures adoptées lors du Ségur de la santé « sans concertation et dans une précipitation déraisonnable ». Ils étaient en grève le 15 février, alors que leur profession est éprouvée par une crise sanitaire dont l’intensité ne faiblit pas. Une mobilisation à laquelle ils ont ajouté l’envoi d’un courrier de protestation auprès des sénateurs et députés des Pyrénées-Orientales, leur promettant déjà la « reconductibilité » de leur mouvement.
Appels à la grève
Est ce les prémices d'un possible « printemps social » ? Trois ans après les mobilisations des cheminots, un peu plus de deux ans celles des Gilets jaunes, et les puissantes mobilisations contre la réforme des retraites il y a un an, une question doit être posée : comment et quand ce mouvement va t-il être relancé et fleurir en ce printemps 2021?
Les motivations sont légions. La pandémie exacerbe et aggrave avec violence les inégalités, la progression du chômage, de la précarité étudiante ou encore des recours aux aides alimentaires alors que dans le même temps les super riches s'en mettent plein les poches et les entreprises versent des dividendes faramineux.
Des membres de la majorité "macroniste" s’inquiètent : la députée Bénédicte Peyrol estime qu’« il est possible que toute cette détresse, cette colère s’agglomère ». « Il y a un climat très propice à ce genre de manifestations au printemps, voire même peut-être avant, ajoute-t-elle.
Les marches des libertés (contre la proposition de loi “sécurité globale”), c’est un début, il y a les “gilets jaunes”, il y a les salariés de l'énergie, les universitaires mobilisés contre leur ministre Vidal, les commerçants, les gens de la culture et plusieurs entreprises où les salariés sont déterminés à défendre leur emploi et leur industrie mise à sac par restructurations capitalistes que Macron laisse faire, voire encourage… »
La crise va-t-elle provoquer un « printemps social » ?
Le 4 février a été un 1er prolongement du mouvement social. Des syndicats de travailleurs, mais aussi d’étudiants, ont appelé à la mobilisation en France pour l’emploi et la défense des services publics. Si le résultat ne fut pas à la hauteur des nécessités et des attentes, il constitue néanmoins un premier acte utile et encourageant. De leur côté les jeunes se mobilisent depuis plusieurs semaines pour dénoncer à la fois la précarité de leurs conditions de vie, leur détresse psychologique et un avenir professionnel incertain.
Le nombre d’embauches, en CDI ou en CDD de plus de trois mois, des moins de 26 ans était en recul de 14,2 % en 2020 par rapport à l’année précédente).
Colère ou renoncement ?
Aussitôt le 4 février passé, des défaitistes de tout bord ont crié à l'échec et développé l'idée que la colère aurait cédé la place au renoncement. Des gens plus raisonnables font marcher leur tête et posent les bonnes questions pour tenter de comprendre : « Se mobiliser dans un contexte sanitaire comme celui-ci est compliqué, confie, côté profs, Guislaine David. On ressent une forte exaspération de tous les collègues sur le terrain. Une grande fatigue, aussi. Tout le monde a le nez dans le guidon, le respect des protocoles sanitaires que le ministère n’arrête pas de changer demande déjà une énergie considérable. Sans compter que les petits moments informels pour s’organiser, comme les déjeuners communs ou les discussions de couloir, ont complètement disparu avec le Covid. Il y a une atomisation de nos revendications au détriment du collectif. »
« On ne sait pas si on pourra manifester, la foule fait peur aussi, indiquait de son côté Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, de l’Éducation nationale, dans le quotidien Libération. Et puis il faut rentrer à 18 heures, on ne va pas faire venir des bus… »
« Le contexte complique tout », appuie Céline Verzeletti, de la CGT, qui note malgré tout des mobilisations qui montent dans le secteur du spectacle, de la fonction publique et de l’énergie.
« Notre état d’esprit est combatif mais on a perdu beaucoup de contacts à cause des gestes barrière et du télétravail, expose-t-elle. Dans certains secteurs, les entreprises nous refusent carrément le droit d’organiser des assemblées générales en visio. Sans compter que la charge de travail s’est alourdie à beaucoup d’endroits. Il y a une double difficulté : celle de s’organiser, d’abord ; et puis la crainte de perdre son emploi, qui rend les préoccupations quotidiennes très urgentes, sans perspective à moyen ou long terme pour des revendications plus larges. Les conditions ne sont pas réunies pour que la colère se traduise en forte mobilisation pour l’instant. »
Oui un grand printemps social est nécessaire malgré ces obstacles. Il est même souhaité par Philippe Martinez « On ne peut pas continuer comme ça avec des plans de restructuration et des chômeurs en plus », explique t-il alors, assurant que « la colère sociale est là ».
Même son de cloche du côté de la philosophe Barbara Stiegler, qui notait que « le monde des médias, de la culture, est très remonté contre le gouvernement, de même que le monde de l’éducation, le monde de la santé et une grande partie des milieux économiques. La contestation monte partout, dans tous les secteurs et dans toutes les classes sociales », veut croire la spécialiste du néolibéralisme.
« Printemps des libertés »
Mais comment et quand ce printemps social va t-il s'exprimer massivement ? Telle est la question qui travaille les syndicats comme les politiques ?
Une allumette mettra t-elle le feu aux poudres ou sera t-il le résultat du processus de mobilisations déjà engagé couplant prises d'initiatives, élargissement du rassemblement des salariés et des organisations syndicales et élaboration avec les salariés.es et les citoyens.nes du contenu des luttes.
« Unifier » les colères et faire émerger des revendications communes sera sans doute la clé de la réussite d’un grand mouvement durant les prochains mois.
« On est dans une dynamique de lien avec les jeunes, assure Céline Verzeletti. On est en contact régulier avec les organisations étudiantes, et on va faire en sorte de se voir plus souvent dans les prochaines semaines ». « On était, depuis cinq ans, dans une phase d’ébullition, décrypte de son côté Stéphane Sirot, historien du syndicalisme et des grèves. On peut tout à fait voir ressurgir cette espèce de longue chaîne d’ébullition sociale. »
Une multitude de mobilisations encrées sur les lieux de travail, est souhaitée par Céline Verzeletti. "On pourrait ensuite arriver à de fortes mobilisations progressives, avec des journées d’action communes au printemps. Ça prendra du temps, évidemment, mais ça n’est pas impossible. Plusieurs préavis de grève sont déjà déposés pour le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Et à partir du 16 mars, nous comptons sur un “printemps des libertés” avec la coordination #StopLoiSécuritéGlobale dont nous faisons partie, car c’est la date où le texte reviendra devant le Sénat. Ces différents rendez-vous vont donner le ton, même s’ils sont disparates. »
Dans une note, les chercheurs en économie Philip Barrett, Sophia Chen et Nan Li remarquent quant à eux que « le nombre de troubles sociaux majeurs dans le monde » est tombé, depuis l’éclatement de la pandémie, « à son plus bas niveau en cinq ans ».
« Les exceptions les plus notables incluent les États-Unis et le Liban, reconnaissent-ils, mais les manifestations qui s’y sont déroulées sont liées à des problèmes ayant été exacerbés, mais pas directement causés, par le Covid-19. » C’est donc « au fil du temps » que le risque de manifestations anti-gouvernementales pourrait, selon les économistes, « bel et bien croître », de même que « le risque de crise institutionnelle majeure » : « Les événements qui menacent de faire tomber un gouvernement surviennent généralement dans les deux années suivant une grave épidémie », pronostiquent-ils.
Et d’en conclure, en faisant notamment référence à l’épidémie de choléra qui frappa la ville de Paris en 1832, juste avant l’insurrection républicaine de juin : « Si l’histoire nous apprend une chose, c’est que les mobilisations sociales peuvent réapparaître à mesure qu’une pandémie s’atténue. »
A bon entendeur salut !