Intervention de F. Boccara au CESE sur le Rapport Annuel sur l'Etat de la France

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Intervention de F. Boccara au CESE sur le Rapport Annuel sur l'Etat de la France

Chers collègues, chère Hélène, cher Benoît,

Analysant les enjeux que la crise pose devant nous et revenant sur 5 ans de Rapport annuel sur l’état de la France (RAEF), votre avis est solide et porteur de sens. Dans des conditions d’élaboration pourtant difficiles.

Il avance un diagnostic et des propositions, avec des éléments sur les moyens, tout en donnant à voir le bien commun de notre mandature, qui arrive à sa fin aujourd’hui.

D’abord il rappelle que la crise que nous vivons accentue les fractures et faiblesses de notre économie… fractures et faiblesses sur lesquelles le CESE a tenté d’alerter les pouvoirs publics de plus en plus fermement au fil des 5 années de notre mandature : inégalités, insuffisance continue de l’effort de recherche, retard dans la stratégie bas carbone. Il n’omet pas ce que la crise a révélé, à savoir les dépendances industrielles de notre pays, mais aussi l’affaiblissement de nos services publics, dont celui de la santé !, rangés à tort dans la partie « inégalités ». Mais il dit aussi les atouts notamment le potentiel de nos collectivités territoriales ― désignées comme des territoires ce qui présente le défaut de faire disparaître les institutions en prétendant rendre les choses concrètes ― ou nos services publics, malgré les fractures territoriales, notamment en banlieue, en zone rurale ou dans les outre-mer.

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Une remarque cependant, vous auriez pu citer comme atout important la capacité de création monétaire de notre pays, commune avec nos partenaires européens, pour relever les défis de moyen terme, si on le fait en s’émancipant des marchés financiers, et de leur orientation néfaste. Ceci au rebours des cris d’orfraie sur la dette !! ― de droite comme de gauche. Car la dette, c’est en réalité des avances. Et, il en faudra beaucoup et autrement pour sortir de là où nous sommes. Pour s’engager vers le cap indispensable que vous dessinez. Et après tout, dans notre histoire, nous nous sommes toujours sortis ainsi des longues phases de difficulté : ni déflation, ni inflation financière, mais expansion monétaire à orienter vers le social, l’écologie et un nouveau « type » économique, comme après 1944.

Sur les propositions, vous rappelez plusieurs de nos préconisations passées, puis Vous explicitez le nouveau cap, approfondissant notre RAEF de juin dernier, lorsque beaucoup croyaient que nous étions déjà sortis de la crise ― dois-je rappeler que je n’en étais pas ? dois-je rappeler qu’on n’a toujours pas recruté et formé massivement des soignants des enseignants ?

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Le nouveau cap, c’est (1) une croissance d’un nouveau type : développer d’abord les dépenses pour les capacités humaines – emploi, formation, culture, services publics – l’investissement matériel devant les accompagner, et non l’inverse ai-je compris. C’est à mon sens fondamental pour relever l’immense défi écologique et social qui est devant nous.

(2) Travailler en profondeur sur le contenu de cette croissance, vous insistez : nouvelle relation avec les entreprises et autre rôle du crédit bancaire, et de l’ensemble des financements, pour une transformation productive écologique et sociale.

(3) Viser la sécurisation de l’emploi, des parcours et des revenus, ainsi qu’une approche intégrée de l’égalité avec la lutte contre « tous les stéréotypes dans tous les aspects de la société ». Visée émancipatrice essentielle.

Vous écrivez : « a mûri durant la crise, la prise de conscience, à travers la préservation des compétences et les dispositifs d’activité partielle, du caractère décisif des capacités humaines. Il serait très problématique de faire comme si rien ne s’était passé et revenir à la situation antérieure dans une réflexion globale sur la sécurisation de l’emploi, des revenus et des compétences ».

(4) Vous concluez sur le vivre ensemble, fait de services publics, de démocratie nouvelle, d’égalité territoriale, de libertés publiques.

En lien avec cette exigence démocratique profonde votre avis est irrigué par le besoin de critères explicites ― sociaux et environnementaux ― d’utilisation de l’argent, pour travailler autrement les liens profonds entre économique, social, environnemental et donc « l’humain ».

J’ai apprécié aussi l’insistance sur la jeunesse, dans sa diversité, et sur les liens entre générations. Sur les travailleuses et travailleurs, « de première ligne » notamment, et l’exigence de leur conférer des pouvoirs nouveaux, tant il va falloir prendre conscience que leur rôle est indispensable, au lieu de les réduire à un coût à abaisser à tout prix.

Après le cap, vous concluez sur la « boussole », c’est à dire les indicateurs. Conjuguer, au lieu d’opposer. Vous dites : « l’articulation entre les nouveaux indicateurs [dits] de richesse et le PIB [système de mesure de l’effort productif social] est fondamentale ». Attention à porter à des indicateurs d’accumulation financière. J’apprécie aussi.

Je voterai votre avis.

Un regret, peut-être pas assez d’insistance sur la gravité de la crise à venir et de la déferlante qui peut en découler, y compris et notamment si la vaccination conduisait à débrancher tous les dispositifs de sécurisation. Quelques ordres de grandeur auraient été utiles en la matière. Par exemple, de savoir qu’en Europe le bilan de notre banque centrale ne s’élève qu’à 60% du notre PIB, contre 100% aux Etats-Unis. Ou encore que le manque à gagner de production de richesses va s’élever pour France à au moins 500 Md€ au bout de 3 ans.

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Pour conclure sur le nouveau CESE qui sera nommé. Il aura de beaux défis devant lui. Mais la réforme qui a été conduite, sous l’impulsion du Président Macron, fait disparaître, en même temps que les personnalités qualifiées, les économistes de métier comme membres du CESE dans la diversité possible de leurs courants de pensée. Ce pourrait être regrettable car l’économie, ce n’est pas de la technique neutre, de la simple tuyauterie à laisser entièrement à des administrations économiques, ce sont des idées. Et il en faut, face aux conformismes, pour conjuguer économique, social, environnemental … et humanité !


 

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