Intervention de Frédéric Boccara au CN du 13 mars sur la candidature communiste à la présidentielle
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Ce qu’appelle la situation
La double crise continue de frapper durement : sanitaire et économique. La pandémie continue et n’est pas finie. En plus comme on a vacciné, mais pas massivement cela a ouvert la voie aux différents variants. Un déferlement économique et social se profile. Il se profile d’autant plus si la pandémie s’atténue car le gouvernement macronien va chercher à lever les protections mises en place, comme les dispositifs de chômage partiel. En outre un certain nombre d’entreprises n’arrive plus à tenir. Et l’état de dépression psychologique du pays est patent. Mais aussi la colère qui monte, et va probablement commencer à se manifester plus concrètement.
La crise politique est tout aussi fondamentale.
L’enjeu politique auquel nous avons à faire face est celui de la réponse à la crise. Ces trois crises, mais aussi la crise de la gauche. De ce point de vue nous ne sommes pas en 1981, ni en 1997, ni même en 2012. La gauche est en crise et en discrédit.
L’enjeu de la présidentielle, c’est l’issue à ces crises. C’est de mener un débat intense avec nos concitoyens sur l’issue, de désigner les leviers d’action et le chemin d’une issue. C’est donc à la fois la riposte et la résistance, avec une posture unitaire, pour une gauche de combat et efficace, et un renforcement, un développement du mouvement populaire. J’ai parlé, déjà, de l’intérêt qu’il y aurait à se fixer l’objectif de construire à la présidentielle et au-delà un grand mouvement populaire contre la domination du capital.
C’est dire s’il y a besoin de l’originalité communiste. L’originalité pour déverrouiller les esprits et déverrouiller l’abstention, notamment des catégories populaires. L’originalité communiste n’est pas que de posture, elle est aussi de propositions. Elle est surtout de projet, avec le grand projet de société que nous portons, celui de sécurité d’emploi ou de formation, une perspective de liberté, de sécurité et d’émancipation au-delà du travail mais sans refouler cet enjeu majeur, ni l’enjeu majeur du capital, avec nos propositions radicales sur l’argent et sur la gestion des entreprises, notre conception des services publics, notre conception de la personne humaine de sa dignité, de son émancipation et notre conception de la démocratie, de la laïcité. Sans oublier notre internationalisme.
L’envolée des bourses alors que la disette des hôpitaux crève les yeux montrent la validité de notre slogan « l’argent pour l’hôpital, pas pour le capital ». Ce n’est pas pour rien que la pétition correspondante a été massivement signée par plus de 100.000 personnes.
Alors, un certain nombre de camarades avec Pierre Laurent mettent en avant la peur. La peur de diviser, la peur de ne pas avoir de députés. Tout ceci doit être pris au sérieux, regardé en face, mais la peur ne doit pas paralyser, elle est mauvaise conseillère. Il faut plutôt l’affronter.
La plus grande nécessité, c’est de répondre à la crise, de frayer un chemin à des réponses adéquates, y compris pour conjurer ces dangers. Des réponses à la hauteur des exigences, radicales et réalistes, face à toutes les dérives et au désarroi.
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Déjouer le duo Macron-Le Pen
On veut nous imposer un débat identitaire et nationaliste, où l’ennemi ce serait l’autre. Pour le déjouer, au fond, il nous faut imposer non seulement le débat social, mais celui sur les entreprises, l’utilisation de l’argent et les pouvoirs dans cette société face à la domination du capital. Voilà le contre-poison. Nous devons faire monter l’unification des exploités et des dominés sur cette base.
Non pas sur la base d’un « magma » populiste qui, au mieux, ne construit rien et ne permet en rien de faire rempart à l’extrême-droite, bien au contraire.
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La posture de Jean-Luc Mélenchon
La posture de Jean-Luc Mélenchon est importante, car d’une part il prétend viser comme nous le refus des solutions de droite et des dérives de la gauche social-démocrate, devenue de plus en plus néolibérale. Elle est importante, d’autre part, car lors de la présidentielle, c’est pour une grande part notre électorat qui a assuré son score. On ne peut pas refouler le débat.
Sa posture va être plus unitaire que jamais. Il dit : nous faisons partie de la même « famille ». Et il nous propose précisément un pacte, un contrat pour les législatives dès avant les élections présidentielles, ou pendant.
On voit ce qu’il en est dans les Hauts de France où il s’est impliqué pour casser la possibilité que Fabien soit tête de liste. Et nous nous retrouvons tous unis derrière une candidate de EELV quasiment anti-industrie, dans une région si ouvrière et si industrielle. Il s’agit de nous faire taire. Mais avec de graves conséquences possibles…
C’est la question des contenus qui est fondamentale. Pas pour notre boutique ou nos marottes, mais pour la vie, pour affronter les réalités. Ces réalités dures de la crise.
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Le texte proposé
Le texte qui est soumis à notre discussion, puis à notre vote, propose de présenter une candidature communiste à l’élection présidentielle. C’est positif, c’est une bonne chose. Enfin ! ai-je envie de dire. Et il contient des lignes de propositions de fond qui dessinent un projet solide et à la hauteur.
Je veux pouvoir voter ce texte.
Mais la question d’un « contrat de législature » négocié, qui plus est, pendant l’élection présidentielle pose un vrai problème politique. C’est soumettre la présidentielle à l’élection législative. Je vois dans ce contrat une camisole.
Ce « contrat », qu’André vient de critiquer avant moi, s’accompagne de l’insistance dans le texte sur une « construction politique » au détriment de ce qu’il contenait sur l’intervention populaire, de l’insistance sur la possibilité d’une majorité de gauche, qu’il ne faut pas exclure mais dont la possibilité semble pour le moment bien mince et qui, surtout, dans le texte prend le pas sur l’absolue nécessité du débat d’idées, de faire avancer celui-ci, y compris au sein de la gauche.
Mais, comment mener ce débat d’idées si, au motif de négociations en cours sur un contrat, des « engagements de législature », on rend nos propositions « unio-compatibles » ? L’heure est-elle vraiment à cela ?
La présidentielle, ce n’est pas que le Président de la République avec son mode d’élection et ses pouvoirs, institution que nous condamnons depuis ses débuts. La présidentielle, c’est aussi un grand moment de disponibilité des françaises et des français pour un débat politique, pour un débat de projet.
Avons-nous confiance en notre projet ou pas ? Notre projet conjugué à notre posture unitaire et notre ancrage dans les luttes. A ce qu’il peut apporter à cette recherche de nos concitoyens, de notre pays ? En tout cas, les camarades que je côtoie, que je rencontre dans les mobilisations et luttes, à la base, comme on dit, on confiance. Ils attendent de nous que y allions clairement.
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Un amendement politique
Députés communistes, posture unitaire, idées, mouvement populaire. La façon dont nous allons mener la présidentielle doit permettre de conjuguer ces 4 choses.
C’est pourquoi, avec Evelyne Ternant et André Chassaigne, je propose un amendement qui substitue au « contrat de législature » [ou au « pacte d’engagements législatifs communs », terme qui a été inséré ensuite] négocié pendant, la notion de « pacte d’engagements communs », discuté après la présidentielle, sur la base de la campagne, des idées portées dans celle-ci. Ce pacte d’engagements se ferait en lien avec le mouvement populaire. Il porterait à la fois sur des mesures immédiates, des mesures structurelles, et sur des ententes électorales renforçant le poids de la gauche et des députés communistes, ouvrant la voie, si le rapport des forces le permet à une politique à même de sortir le pays de la crise.
Cela va de pair, comme le dit le paragraphe qui suit dans le texte, avec le fait de construire dès maintenant des candidatures dans les circonscriptions. Mais ne soumet pas la présidentielle, et son débat d’idées, à un « pacte d’engagements législatifs ».
Je souhaite pouvoir voter ce texte à la conférence nationale et ici. Car je souhaite que nous puissions mener la campagne présidentielle pour déverrouiller la situation en y portant notre projet et nos idées. J’alerte en ce sens les communistes, je les appelle à se saisir de ce débat pour déjouer le piège qui, sous couvert de conciliation, peut déboucher sur un effacement renforcé du parti et de ses idées profondes, comme on l’observe dans quelques régions à l’occasion des élections régionales.
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Cet amendement a été présenté et soutenu, au nom d’Evelyne Ternant, d’André Chassaigne et moi-même, dans le débat d’amendement de l’après-midi. Il a obtenu les voix de 29 camarades et n’a donc pas été adopté. J’ai ensuite joins mes voix au total de 68 camarades qui ont voté en faveur de la présentation d’un communiste à l’élection présidentielle.
Le débat continue jusqu’à la conférence nationale.