Les syndicats de Suez portent plainte pour trafic d’influence

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Les syndicats de Suez portent plainte pour trafic d’influence

Révoltés par le sort réservé à Suez, les syndicats CGT, CFDT et CTFC ont déposé plainte ce 22 avril pour trafic d’influence auprès du Parquet national financier. Ils attendent que la justice fasse la lumière sur l’OPA de Veolia, « orchestrée de bout en bout », selon eux.

Ils en agitaient la menace depuis l’automne, mais finissaient toujours par reculer, tant la charge leur paraissait explosive, tant ils espéraient trouver un compromis honorable. Les derniers événements, marqués par ce qu’ils considèrent comme « la trahison du conseil de Suez » pour avoir accepté dans la précipitation l’accord de principe avec Veolia le 12 avril, les ont convaincus que leurs espoirs étaient vains.

Jeudi 22 avril, les syndicats CGT, CFDT et CFTC de Suez ont porté plainte auprès du Parquet national financier (PNF) pour trafic d’influence. La plainte vise nommément Antoine Frérot, PDG de Veolia, Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d’administration d’Engie, Thierry Déau, PDG de Meridiam, et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée.

Dans ce dernier épisode, l’intersyndicale qui jusqu’alors faisait bloc s’est fissurée, même si officiellement elle continue de négocier unie. Dès les derniers jours, FO avait fait savoir qu’elle ne souhaitait pas se joindre à cette action parallèle, jugée trop risquée, trop tardive. La CFE-CGC, qui s’était jointe à la plainte déposée auprès du PNF, a finalement fait volte-face dans la matinée du 22 avril et annoncé son retrait. « On n’est pas complètement en phase avec cette action qui arrive trop tard, selon nous », explique Éric Guillemette, responsable de la CFE-CGC.

Trop de pressions ? se demandent les autres syndicats. Ces défections n’ont pas entamé leur détermination, d’autant qu’ils sont majoritaires chez Suez.

« On a failli partir trois fois au PNF. Mais à chaque fois des forces obscures se sont liguées pour nous en empêcher. Maintenant, il faut que la justice passe. Elle seule peut apporter la preuve d’une orchestration dans cette opération, et confirmer ou non le sentiment que l’on a depuis le début d’être dans une opération truquée »,  dit Jeremy Chauveau, délégué CFDT de Suez.

« Depuis le début de cette OPA, il y a forte suspicion d’entente. Ce n’est pas vrai, on ne monte pas une OPA de plusieurs milliards en un mois. Tout a été fait bien avant, sûrement avec l’aval du gouvernement. La justice doit nous dire ce qui s’est passé », explique Wilhem Guette, responsable CGT de Suez.

Selon l’article 432-11 du code pénal définissant le trafic d’influence, « est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui (…) Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour vue de faire obtenir d’une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».

Depuis le début, les salariés de Suez ont « le sentiment impalpable que quelque chose de lourd » pèse sur eux, selon l’expression de Jeremy Chauveau : la partie se joue ailleurs, sans eux, en toute opacité. Le soutien sans réserve apporté par le premier ministre Jean Castex, au lendemain de l’annonce d’une OPA de Veolia sur Suez, jugeant que « cette opération faisait sens », leur a donné l’impression que les dés étaient pipés par avance. Depuis, cette impression ne s’est pas démentie.

Car l’attaque lancée par Veolia sur Suez a tout sauf été une opération répondant aux « principes de transparence et d’intégrité du marché, de loyauté dans les transactions et la compétition, ainsi que du libre jeu des offres et de leurs surenchères », pour reprendre la définition de l’Autorité des marchés financiers. Dès le 30 août, jour de l’annonce de Veolia, une mécanique implacable s’est mise en route.

Cela s’est confirmé par la suite. Des discussions ont eu lieu à l’Élysée entre Antoine Frérot et Emmanuel Macron dès le début juin 2020. Puis un accord de principe a été signé dès juillet – avant même que Jean-Pierre Clamadieu ait annoncé publiquement son intention de céder sa participation dans Suez –, entre Veolia et Suez, comme l’a révélé Mediapart sur la foi de la consultation d’un document de CSE de Veolia du 28 septembre 2020.

Les salariés de Suez ont assisté impuissants à l’enchaînement des événements. Un premier coup fatal est porté avec la cession des 30 % du groupe détenus par Engie à Veolia. L’opération se ponctue le 1er octobre par une journée des dupes : l’État met alors en scène sa propre impuissance, en organisant la défaite de ses administrateurs, censés avoir été vaincus par les forces supérieures du marché et de la gouvernance « indépendante » des entreprises.

Mais des fuites feront apparaître très vite qu’Alexis Kohler a lui-même participé à cette débâcle en faisant pression sur les administrateurs CFDT pour qu’ils ne participent pas au vote.

Un dernier coup sera porté le 2 avril par l’Autorité des marchés financiers (AMF), menaçant les administrateurs de Suez de poursuites pénales, et faisant pression pour qu’ils s’inclinent. Entre-temps, tous les moyens seront employés, les tentatives de séduction, les manœuvres pour influencer, les pressions, les menaces. « Un marigot bien pourri », dit Wilhem Guette.

L’arrivée de la plainte sur ce dossier « hautement sensible » risque de tendre encore un peu plus les relations déjà très dégradées entre le PNF et le pouvoir, Matignon ayant pris le relais du ministre de la justice pour faire rendre gorge à cette autorité indépendante, trop indépendante,  dont la mission principale est d'enquêter sur les liens entre le pouvoir politique et le pouvoir financier (lire nos articles ici ou ).

Elle risque de provoquer une certaine nervosité chez les principaux protagonistes de cette obscure affaire, notamment à l’Élysée : Alexis Kohler fait déjà l’objet d’une plainte déposée par Anticor pour trafic d’influence et prise illégale d’intérêt dans le dossier MSC (voir notre dossier).

Les dirigeants de Veolia, Meridiam, Engie, soutenus par le pouvoir, pourraient peut-être regretter un jour d’avoir voulu pousser leur avantage jusqu’au bout, sans offrir la moindre concession, la moindre issue à Suez. Ils se trouvent aujourd’hui face un corps social du groupe révolté, animé par la stratégie du désespoir, prêt à tout.

« Nous n’avons rien à perdre. Nous avons déjà tout perdu. Par sa complicité, le gouvernement a accepté que Suez qui fait partie du patrimoine industriel du pays soit dépecé par son concurrent », dit Jeremy Chauveau.

« Il faut tout remettre à plat, poursuit de son côté Wilhem Guette. La justice peut nous y aider. Mais a-t-on raison de faire confiance à la justice ? Mais si ce n’est pas à elle, à qui ? »

Martine Orange publié sur Médiapart

Publié dans Luttes sociales, Industries

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