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La science à l’épreuve de la rumeur. Crise sanitaire et crise d’information

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

La science à l’épreuve de la rumeur. Crise sanitaire et crise d’information

Qui dit crise mondiale, crise économique, crise énergétique, changement climatique, etc., dit crise de l’information, caractérisée par une « info­démie », c’est-à-dire une augmentation ­drastique non seulement de la quantité d’informations, mais aussi de la quantité de nouvelles et nombreuses ­mauvaises conduites dans les pratiques informationnelles.

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 n’échappe pas à la règle : infodémie de bonnes informations médicales et sanitaires, mais aussi infodémie de mauvaises informations ; bonnes pratiques informationnelles, mais aussi nombreuses inconduites.

Alors qu’en absence de crise, les informations du domaine de la médecine et de la santé restent généralement dans le registre de la vérité scientifique, la crise sanitaire nous a fait entrer dans le registre de la post-vérité et du complotisme, tant au niveau de ­l’information médicale professionnelle qu’au niveau de l’information médicale grand public. Vérité et science médicale ne font plus bon ménage. Comme en politique, où il y a conflit entre vérité et politique, il en va de même en science médicale. L’information médicale et sanitaire est donc en crise, offrant à la science de l’information et à la science de la communication, dont c’est l’un des objets, un nouvel horizon.

Deux déviances semblent marquer les crises d’information. Ce sont, d’une part, l’apparition en grande quantité de lots de mauvaises informations dans le champ de la production d’information médicale et sanitaire et, d’autre part, le développement de mauvaises conduites dans les pratiques informationnelles.

À la faveur de la pandémie de Covid-19, dans la communauté scientifique médicale, une infodémie de mauvaise science s’est propagée ; les revues publiant trop rapidement des articles, les banques de prépublication acceptant des articles non vérifiés. Cette production d’informations inexactes, de désinformation, a conduit à la rétractation ou au retrait de certains articles en raison d’erreurs involontaires ou d’une faute intentionnelle (exemple des ­revues Lancet et New England Journal of ­Medicine). Mais ces mauvaises informations continuent d’être citées ; 30 % d’entre elles de façon positive parfois !

Dans le grand public, même infodémie de mauvaise science. Avec la propagation exponentielle du ­Covid-19, les histoires et les ­informations sur le virus sont partout sur ­Internet, sur les réseaux sociaux, dans les médias écrits et audiovisuels. Ces réseaux ont donné au vieux phénomène de la rumeur une capacité de résonance inédite. Infox, rumeurs, fake news, bobards prolifèrent. Le virus de la désinformation joue à plein. On n’a jamais entendu autant de médecins et de scientifiques parler dans les médias audiovisuels, à la radio et surtout à la télévision. Mais a-t-on entendu parler de science médicale et d’information médicale ? On parle par exemple beaucoup de la mutation des virus. A-t-elle été expliquée ?

De mauvaises conduites des pratiques informationnelles se sont développées. Dans la communauté scientifique, il est anormal que des publications scientifiques passent la barrière de la relecture en moins de vingt-quatre heures, dans des journaux où les auteurs sont eux-mêmes rédacteurs en chef ou membres du tableau éditorial.

Que dire aussi des directeurs d’équipes de recherche qui cosignent des publications dont le nombre rend impossible le fait qu’ils y aient réellement participé.

Que penser des revues prédatrices, « vraie menace pour la ­recherche médicale », qui offrent à quiconque ayant la capacité de payer la possibilité de ­publier de la pseudoscience ?

Dans le grand public, la maladie a été rapidement commentée avec assurance sur les réseaux sociaux par nombre d’entre nous alors que nous ne sommes pas compétents. Nous versons ainsi facilement dans l’ultracrépidarianisme (action de parler et de donner un avis sur des sujets pour lesquels nous n’avons pas de compétences avérées). Ce qui interroge notre rapport à la vérité.

Nostalgiques de la certitude, nous pratiquons fort volontiers de l’ipsedixitisme, c’est-à-dire que nous croyons vraie une assertion non fondée parce qu’on l’a entendu dire par quelqu’un en qui on a confiance. C’est aussi vrai pour l’information en ligne : « Internet l’a dit.  » La confiance d’une personne dans l’information en ligne est un puissant prédicteur du partage d’informations non vérifiées via les médias sociaux. La désinformation se propage alors rapidement.

Information-soupçon, information-dénonciation, information-mensonge, c’est un nouvel horizon guère réjouissant pour la science de l’information et la science de la communication. Horizon qu’elles se doivent d’affronter en conservant et en développant l’horizon ­réjouissant de l’information-vérité pour nourrir ce que Nietzsche appelait le « goût du vrai »

Yves-François Le Coadic

Professeur honoraire de sciences de l’information au Cnam Paris

Publié dans l'Humanité

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