Rappel des faits : en 2016, la France signe le "contrat du siècle" avec l’Australie qui lui passe commande de 12 sous-marins (non-nucléaires) pour un montant de 34 milliards d’euros. Un accord qui « marie » la France et l’Australie sur une cinquantaine d’années, selon les mots du ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian.
Le 15 septembre dernier, l’Australie annonce la rupture du contrat et se tourne vers Washington pour acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire. L’annonce a eu l’effet d’une bombe, poussant les français à rappeler leur ambassadeur en poste à Washington, une première dans l’histoire des relations des deux pays.
Ainsi, le « coup de maître » de 2016, qui devait renforcer le rôle de la France dans la région, n’aura pas tenu bien longtemps face à des considérations qui auraient dû être plus sérieusement prises en compte par nos diplomates.
Tout d’abord la capacité des États-Unis à peser de tout leur poids pour imposer leurs intérêts, un comportement difficile à accepter entre « alliés » et qui a tendance à se répéter (on se rappelle de l’étonnant choix des Suisses, en juin dernier, du F-35 américain face au Rafale français ou à l’Eurofighter européen).
Ensuite, la France a clairement sous-estimé les profonds liens qui unissent les États-Unis et l’Australie, et ces pays avec le Royaume-Uni.
Deux cent ans d’histoire et une culture anglo-saxonne placent l’Australie en position de « petit frère » des Américains. Après plus d’un siècle et demi d’existence en qualité de loyal sujet de la couronne britannique, l’île-continent s’américanise à partir de la seconde guerre mondiale jusqu’à devenir un satellite de Washington, assumant – lors de la Guerre froide – le rôle de clef de voûte du système de défense anti-missiles et d’écoute nord-américain dans la région.
Les Australiens ne conçoivent leur place dans le monde que dans le cadre d’un bloc anglo-saxon (avec le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni) naturellement dirigé par les États-Unis, et la question de la souveraineté n’est pas perçue par eux comme en France. L’Australie ne voit donc aucun problème existentiel à se transformer en base avancée au service des prétentions régionales américaines, en intégrant petit à petit sa marine à celle des États-Unis face à la Chine.
Un alignement qui révèle aussi un état d’esprit inquiétant dans lequel la confrontation avec la Chine paraît inévitable.
Finalement, en rompant la règle qui voulait qu’on ne partage pas sa technologie nucléaire, les États-Unis attisent les tensions et font monter la pression sur Pékin, avec une Australie se préparant au pire avec pour inévitable conséquence une course aux armements toujours plus folle.
La douche est froide pour la France. Quelle leçon pour Emmanuel Macron, lui qui a multiplié les courbettes face à l’impérium américain et ses tentacules économico-financiers. Ministre de l'économie, il avait offert un fleuron national, la branche énergie d’Alstom à l’américain General Electric. Président de la république, il n’a de cesse de faire la cour aux grands patrons, nationaux et internationaux, qu’il invite tous les ans sous les ors de Versailles pour le mini-Davos français.
Face à cette peineuse situation qui rappelle à la France son statut de puissance au rabais et affiche aux yeux du monde tout le mépris que nous voue l’Amérique du nord, nombreuses sont les voix qui réclament un sursaut d’honneur gaullien avec la sortie du commandement intégré de l’Otan. Nous le demandons depuis de nombreuses années : il est temps de cesser cet insupportable suivisme systématique sur la politique étrangère américaine. C’est de l’Otan qu’il faudrait sortir dans le cadre d’une conférence mondiale de désarmement, de sécurité, de paix et de coopération.
La France doit repenser sa place dans le concert des nations, avec lucidité et laissant de côté les postures au profit d’un rôle qui reste encore à définir mais qui pourrait rejoindre la grande majorité des États qui, face aux grands enjeux de l’humanité, préfèrent certainement une « troisième voie » apaisée, conciliatrice et guidée par le multilatéralisme plutôt qu’une compétition effrénée, d’ordre certes économique mais qui pourrait trop facilement dériver en affrontement de type militaire.
L’équation est complexe, mais pas impossible, d’autant plus dans une Europe où la construction d’une politique commune de défense réellement autonome – un des grands enjeux de la prochaine présidence française du Conseil de l’UE, en 2022 – ne pourra se faire qu’en totale indépendance technologique (industrie 100% européenne) et politique (affranchie du patronage de l’Otan), ce qui est loin d’être acquis pour nombre de nos voisins.
Un débat public devrait se développer dans notre pays sur la place de la France dans le monde, sur une transformation profonde de l’édifice européen pour lancer un processus de construction d’une union nouvelle des peuples et des nations libres, associées, souveraines et ouvertes sur les autres continents.
Elle doit sécuriser sa zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés et envisager une réorientation stratégique pour une nouvelle coopération avec les pays bordant la Méditerranée, tout en développant les rapports diplomatiques, politiques, culturels, scientifiques, économiques avec la Russie, la Chine et l’Inde.
Notre pays ne doit cesser de participer à la négociation du traité de libre-échange avec l’Australie. Ce que nous venons de vivre est d’une capitale importance, il ne faut donc pas le négliger.
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