Entretien d'El Siglo - journal du PC du Chili avec Guillermo Teillier, président du Parti Communiste du Chili
Gabriel Boric (à gauche) et Guillermo Teillier. FOTO: FERNANDO RAMÍREZ - COMANDO GABRIEL BORIC/AGENCIAUNO
Dans cette très longue et très importante interview donnée à El Siglo (le journal du PC du Chili) au lendemain de l’élection de Gabriel Boric à la présidence, Guillermo Teillier, le président du Parti Communiste parle des résultats de la présidentielle, de la place et du rôle des communistes, du futur gouvernement qui sera étroitement lié au mouvement social et « aura les deux pieds dans la rue », des difficultés à venir. (Interview originale en espagnol ci-dessous). Introduction de Pierre Cappanera (voir sa page facebook)
Hugo Guzmán, directeur de El Siglo. A quoi attribuez-vous la victoire de Gabriel Boric, avec notamment un écart de 10 points sur José Antonio Kast ?
Guillermo Teillier. Il y a plusieurs éléments. Premièrement, il a été possible de convaincre des secteurs appartenant à d'autres forces politiques de voter pour Boric, les électorats de nombreux partis qui ne font pas partie d'Apruebo Dignidad ont voté pour Boric. Il y a eu quelque chose de très important : nous avons fait appel aux jeunes qui avaient voté Apruebo (pour la nouvelle Constitution) mais qui n'avaient pas voté au premier tour et qui nous ont rejoint au second tour, en disant que nous devions défendre la démocratie et une nouvelle Constitution. Que nous devions aller de l'avant pour répondre aux demandes sociales formulées depuis octobre 2019, lors du soulèvement populaire.
La récupération du terrain perdu dans des endroits comme Antofagasta, qui montre clairement que le vote pour Franco Parisi (populiste indépendant de droite) est allé à Boric, pas à Kast. Le vote dans la région métropolitaine a été spectaculaire. Il y a eu de très bons votes dans les communes populaires, par exemple Lo Espejo, où Boric a eu 72%, El Bosque, Puente Alto, etc… La région de Valparaíso a donné des votes élevés pour Boric. Le terrain a été regagné dans plusieurs communes où Kast avait gagné au premier tour.
Elle a également été influencée par le fait que Gabriel Boric a très clairement exposé les points clés du programme qu'il va mettre en œuvre.
Un autre facteur est qu'il y a eu beaucoup de mobilisation dans les territoires, dans les réseaux sociaux. Pendant la campagne électorale, le projet a été très bien présenté.
Il faut souligner le fait que l’équipe de Boric a été reconfiguré au second tour, qu'elle a été élargie, qu'il y a eu des personnalités qui ont joué un rôle très important, venant de tous les partis, des indépendants. Il y a eu un renforcement de tout le travail qu'une campagne électorale de cette nature exige.
Cela tient aussi au fait que Kast s'est complètement trompé avec son anticommunisme abusif et répétitif. Il s'est surtout trompé parce qu’il s’est donné pour mission de gagner contre le communisme, sans se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'un programme des seuls communistes, mais celui d'un collectif, de différents partis, de nombreux professionnels, d’un programme qui a été fait avec le peuple. Cela a été un facteur de la défaite de Kast.
Mais les partisans de Kast ne veulent pas mettre de côté cette campagne anticommuniste. Maintenant ils disent que le parti communiste sera un fardeau pour le gouvernement de Boric, qu'il sera rigide, qu'il est extrémiste. Ils répètent ce qu'ils ont dit pendant la campagne.
L'anticommunisme a été vaincu par le peuple chilien. C'est le peuple chilien qui a gagné. Nous sommes des participants à cette victoire, mais c'est le peuple qui a défendu la démocratie et le processus constituant.
Maintenant, nous, communistes, comme nous l'avons dit et cela doit être clair, nous n'allons pas jouer un rôle hégémonique dans le gouvernement de Boric. Nous sommes le plus grand parti de la coalition Apruebo Dignidad, très bien, mais la seule chose dont nous devons avoir conscience, c'est que nous avons une grande responsabilité. Le peuple nous a donné une responsabilité, il nous a donné plus de voix, plus de parlementaires, il nous a permis de briser l'exclusion au Sénat, d'avoir plus de conseillers régionaux, mais cela ne signifie pas que nous allons être la force hégémonique.
Nous voulons agir sur un pied d'égalité avec les autres forces. Si nous participons au cabinet (ministériel), nous voulons le faire sur un pied d'égalité avec tous les autres, nous ne voulons pas avoir de privilèges, mais nous ne voulons pas non plus être sous-évalués. En d'autres termes, nous avons les mêmes droits et nous voulons avoir les mêmes opportunités.
HG. Dans ce sens, que diriez-vous de la présence du PC au comité politique de La Moneda (Palais présidentiel) ?
GT. C'est une décision du président élu. Il a déclaré que le cabinet sera en place avant le 25 janvier. Il faudra voir, il faudra décider. Boric a déclaré que ce sera dans le cadre d'une conversation avec les partis, sans que les partis n'imposent leur volonté au président élu. S'il appelle à la discussion, ce sera le moment de faire nos propositions.
Nous n'avons pas discuté de ce que nous voulons dans le cabinet. Ce qui nous intéresse, c'est d'être en mesure de rendre service dans les endroits où nous pouvons le mieux contribuer à la réalisation du programme et répondre aux exigences des citoyens. Cette question ne peut être répondue que par le président élu, que nous soyons dans le comité politique ou non, que nous ayons des postes gouvernementaux ou non.
HG. Dans l'ère post-dictatoriale, c'est la deuxième fois que le Parti communiste fait partie d'une coalition qui remporte l'élection présidentielle. Quelle signification cela a-t-il pour le PC ?
GT. Nous avons été constants dans la promotion de réformes profondes, dans la lutte pour la démocratie, dans l'abandon de la Constitution de la dictature, dans la promotion des droits des travailleurs et du peuple. C'est pourquoi nous avons rejoint le gouvernement de Michelle Bachelet, je pense que nous sommes reconnus pour cela, pour ces objectifs, certaines réformes ont abouti, d'autres non.
Avec le gouvernement Bachelet, nous n'avions pas autant d'expérience qu’aujourd’hui, parce que ceux qui étaient dans le gouvernement de Salvador Allende n'étaient plus là ou n'avaient plus les moyens d’y entrer. Nous étions dans une situation de moindre capacité que maintenant en termes de cadres, d'expérience, nous avions moins de force, moins de parlementaires, moins de votes.
Aujourd'hui, la situation a changé. L'expérience du gouvernement de Michelle Bachelet, avec ses succès et ses erreurs, nous a été très utile, et cela nous donne aujourd'hui une plus grande capacité à contribuer davantage au gouvernement de Boric.
Maintenant, nous voyons toujours cela comme faisant partie d'un processus dans lequel de nombreux facteurs et phénomène se conjuguent au fil du temps. Il y a eu les luttes étudiantes, les longues luttes syndicales, les processus électoraux, le sursaut social, et à chaque fois nous progressons de plus en plus dans le perfectionnement de la démocratie et de la participation.
Nous espérons que ce gouvernement sera synonyme de nouveaux progrès, dans diverses directions, nous l'espérons sincèrement. Nous espérons que les principales mesures proposées seront mises en œuvre dans ce court laps de temps de quatre ans.
HG. Précisément en termes de participation, comment le PC voit-il la manière dont le mouvement social devra s'exprimer au cours de ces quatre années ?
GT. Nous sommes tout à fait d'accord avec ce que Gabriel Boric a dit dans son discours le soir du triomphe, à savoir que son gouvernement aura les deux pieds dans la rue, c'est-à-dire qu'il sera étroitement lié au mouvement social, qu'il parlera au mouvement social. Nous sommes tout à fait d'accord avec cela et avec la contribution et le soutien du monde social. C'est vital.
HG. Il semble que les chrétiens-démocrates s'opposeront à Boric. Le parti socialiste, lui, veut collaborer. Comment voyez-vous la possibilité d'intégrer ces partis dans le futur gouvernement ? Avez-vous parlé avec Boric dimanche ?
GT. Oui, Gabriel Boric a a invité les présidents des partis politiques d'Apruebo Dignidad et des autres partis qui ont contribué à la victoire de Boric et à la défaite de Kast. Il a remercié les partis Apruebo Dignidad, et tous les autres partis, pour leur contribution à sa victoire. Il a été très clair en déclarant qu'il allait chercher la contribution, l'opinion et la collaboration de tous ceux qui voulaient travailler pour réaliser le programme et les mesures proposées. Il a dit que la colonne vertébrale de ce gouvernement est Apruebo Dignidad.
Toutefois, à partir de là, il pourrait chercher à élargir cette base de soutien ou cette accumulation de force afin de mener à bien les changements.
Il n'a pas parlé d'intégrer d'autres partis dans la coalition, mais a déclaré qu'il était prêt à travailler avec les partis de manière institutionnelle. Il a déclaré : "Je suis un militant des partis, je respecte les partis, je veux qu'ils se développent", et dans ce cadre, il a également proposé de travailler avec les indépendants. Je pense donc que le président élu ne sait toujours pas qui il nommera dans son cabinet.
HG. Dans Apruebo Dignidad, avant la campagne, pendant la campagne et peut-être pendant le gouvernement, il y avait et il y aura des différences entre les partis. Comment les gérer ?
GT. Eh bien, en les gérant... Parce que les différences vont surgir. Nous n'avons pas d'autre choix.
Ecoutez, dans un système comme celui-ci, le Président de la République aura toujours la prépondérance. Il y aura sans doute des opinions différentes, mais cela ne signifie pas qu'il faille attaquer le gouvernement. Toutes les parties devront faire preuve de prudence, et un dialogue permanent sera nécessaire. Je crois que nous serons tellement occupés par la réalisation du programme et le travail du gouvernement et du Parlement qu'il n'y aura pas tant de différences. Celles-ci sont par ailleurs normales.
HG. Cela nécessitera beaucoup de compétences et de discussions au niveau parlementaire ?
GT. Sans aucun doute. Il y a une égalité au Sénat et nous avons une majorité assez confortable à la Chambre des députés, où nous pourrions même atteindre les trois cinquièmes. Mais il y a des réformes constitutionnelles qui ne peuvent peut-être pas être faites si nous n'avons pas les deux tiers des voix. Il y a des lois simples, comme la réforme fiscale, qui est très importante, et il y a la possibilité de la faire passer si elle est bien discutée. Nous aurions ici besoin du soutien des organisations sociales et syndicales, de tous ceux qui veulent faire avancer les changements.
HG. Il est question de conclure des accords, de jeter des ponts. Mais le spectre de la "politique du consensus" mise en œuvre pendant la transition, qui incluait la droite, revient au premier plan.
GT. Cela dépend de l'objet du consensus. Parce que si c'est pour faire les choses "dans la mesure du possible", je ne le pense pas. Mais s'il y a un consensus pour mener à bien une réforme, tout ira bien. Le mot consensus n'est pas mauvais en soi. Je peux avoir un consensus au sein du parti communiste et ce n'est pas une mauvaise chose. Le consensus est d'aller de l'avant. Mais si c'est pour arrêter les changements, ce n'est pas positif.
HG. Allez-vous être attentif et vigilant à ce que les forces de droite et les groupes d'extrême-droite pourraient faire pendant le gouvernement de Boric ?
GT. Il est clair qu'il y a déjà des fissures à droite. Par exemple, je vois qu'il y a plusieurs personnes qui ne veulent pas que Kast fasse partie de Chile Vamos (coalition de droite), qu'il n'aura pas le leadership de la droite. Il y a des personnes comme le sénateur Manuel José Ossandón (de droite) qui a dit qu'il est prêt à participer aux processus pré-législatifs pour donner la possibilité d'approuver certains projets de loi du futur gouvernement.
Il est possible que, dans le cas de certaines lois, on puisse compter sur le vote d'une droite moins extrémiste. Je pense que ce secteur d'extrême-droite, à partir des déclarations initiales de personnes comme Rojo Edwards (proche de Kast), va continuer avec son anticommunisme. Il va continuer à utiliser l'anticommunisme de la pire façon. Cependant, cet anticommunisme de mauvais augure sera vaincu et l'espoir et les attentes du peuple prévaudront.
Entretien réalisé par Hugo Guzmán, directeur de El Siglo et reproduit par Pierre Cappanera sur sa page facebook