Interventions de Frédéric Boccara au CN du PCF des 11 et 12 décembre
Frédéric Boccara est intervenu deux fois : une première fois lors du débat politique général sur le projet présidentiel et une seconde fois lors du débat sur les législatives.
Sur le débat politique général sur le projet présidentiel
- La situation politique, économique et sociale
Les idées de droite et d’extrême-droite montent, et V. Précresse challenge très sérieusement Macron. Tout cela est très grave. Nous avons eu raison, via Fabien, de porter le fer le 2 décembre à l’Assemblée Nationale pour l’interdiction des candidats condamnés pour racisme, à savoir pour l’interdiction effective du racisme dans le débat public.
Montent dans le même temps les interrogations sur la crise :
- la crise social-écologique s’approfondit,
- le refoulement de la question de l’emploi risque de se poursuivre (et nous avons là une responsabilité à exercer pour politiser cette question dont je ne suis pas sûr que nous percevions toujours la portée politique, radicale et novatrice, bien différente de la notion de « droit au travail » qui non seulement est déjà dans la Constitution mais est consubstantielle au capitalisme)
- les questions sur l’identité : à la fois identité de la France et de soi dans le monde, dans un ensemble, et identité sociale, qu’il s’agit d’élargir à une identité sociale universaliste.
Montent aussi des tensions internationales considérables, notamment entre la Chine et les USA, mais aussi avec le Sud, où croit le risque d’« épidémie » de famine déclenchée par l’envolée des prix des matières premières au moins autant que l’épidémie du Corona virus. Sans parler de l’Europe et de ses tensions nationalistes internes, ou avec ses pourtours (Afrique, Méditerranée, Afrique), ou encore de la tension à laquelle les USA et J. Biden la soumettent pour l’enrôler dans une croisade avec la Chine sur les « valeurs », pour de basses raisons politiques et économiques !
Et face à cela, la colère ne monte pas assez contre E. Macron, en tout cas pas assez précise et politique. On assiste plutôt à une combinaison de désarroi d’un côté et de délégation de pouvoir renforcée de l’autre.
Pour dépasser cela, nous devons vraiment conjuguer trois choses : contestation politique, contestation de l’ordre dominant (en lui donnant un sens anti-capitaliste, attention à la vague souverainiste) et porter la perspective d’une alternative – par alternative j’entends aussi bien une autre politique qu’une autre société.
- « Résister pour construire de nouveaux jours heureux »
La situation montre à quel point nous avons eu raison de présenter une candidature communiste à l’élection présidentielle. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’analyser ce que nous faisons. Il nous faut en particulier progresser sur la posture de contestation tout en continuant à être porteur de projet. Et même en progressant sur le projet, sa pédagogie, sa nouveauté : « résister pour construire de nouveaux jours heureux » pourrait être l’esprit qui nous anime dans le trimestre qui va s’ouvrir. Car il s’agit de
Les progrès de Fabien dans les médias comme la réussite du 21 novembre, que nous devons prendre à sa juste mesure, nous aident grandement en ce sens. Tout particulièrement lorsque Fabien porte notre projet de sécurité d’emploi ou de formation, commençant à insister sur la formation, ou sur l’exigence d’agir sur les entreprises, au rebours des conceptions néolibérales (tout pour le capital et liberté pour lui) ou de la conception étatiste de JL Mélenchon. De même, à présent que nous commençons à insister sur la maîtrise de la création monétaire de la BCE, questions radicales qui taraudent les esprits plus qu’on ne le croit.
L’intérêt vers nous progresse. C’est incontestable, même si cela ne s’observe pas (pas encore ?) dans les sondages. C’est pourquoi il nous faut tenir encore plus encore la double posture de contestation et de projet positif, à relier à quelques grands objectifs politiques précis.
- Notre projet : Quels objectifs unificateurs ?
Dans notre projet/programme il est juste de développer des objectifs unificateurs, oui ! Mais lesquels ?
– La santé, il faut la remettre au cœur, développer plus. Par exemple, il ne suffit pas de dire « la santé ». Il nous faut surtout montrer les grandes transformations politiques nécessaires pour une politique de santé digne de ce nom : les moyens financiers à mobiliser, les pouvoirs démocratiques nouveaux à instaurer. Ce qui implique de rompre avec l’austérité comme avec le dogme politique de la priorité à l’’investissement, l’emploi étant censé venir après, de surcroît, automatiquement, par le « libre jeu du marché ». On voit bien qu’il n’en est rien car il faut oser affronter la domination du capital et de la rentabilité financière. Ce qui point une responsabilité politique directe (la politique budgétaire, les aides publiques, etc.) en même temps que le grand enjeu démocratique d’exercer de tout autres pouvoirs sur les (grandes) entreprises.
Mais l’emploi ne vient pas automatiquement aussi parce que la formation devient de plus en plus décisive ! Et donc les avances pour former avant que les personnes puissent travailler. C’est donc tout un système nouveau qu’appelle la situation. Il faut que nous nous outillions afin d’être tous capable de le dire, de le développer.
– La montée du racisme. Elle fait partie de la crise, avec une crise considérable d’identité, de dés-identification de la classe ouvrière, voire du salariat. Faut-il nier la crise d’identité ? Ne faut-il pas plutôt avancer dans le sens d’un projet alternatif dans lequel sont centrales l’émancipation reliant travail et hors-travail, la relation au monde, une forme de sécurité émancipatrice et sociale portée par la visée de sécurité d’emploi ou de formation (au lieu de la précarité à vie), la coopération (au lieu de la concurrence contre « l’autre », quel qu’il soit), une démocratie nouvelle d’intervention ?
– L’objectif de Sécurité d’emploi ou de formation doit être clairement visible dans nos objectifs. Ce n’est pas le cas dans la version du projet proposée. Je comprends qu’on veuille insister sur le travail, le « droit universel au travail ». Mais – outre qu’il s’agit d’une disposition déjà inscrite dans le préambule de notre constitution – attention aux raccourcis ! Le travail, ce n’est pas l’emploi : il y a du travail à foison. On en a même par-dessus la tête à l’hôpital (par exemple), les petits boulots précaires aussi. Mais ce sont des emplois qu’il faut créer, des emplois non précaires et il faut former. Un statut, un système qui va permettre à ce que le travail donne son plein effet et qu’il s’effectue dans une sécurité de vie et de revenu. Ouvrir vers un système, cela permet de poser la question des pouvoirs et des moyens financiers.
En outre, la sécurité opposée à la précarité est un grand enjeu politique et éthique. Nous ne devons pas lâcher dessus.
En effet, nous proposons des solutions porteuses d’espoir, mais en rupture avec ce qui se fait et novatrices. Ce serait une erreur de les rabattre vers du traditionnel dans l’énoncé de notre projet.
- Quelques questions supplémentaires sur le texte provisoire de notre projet
Au total le texte donne à voir un projet sérieux, marquant. Le travail qui a été fait est de qualité. Il s’appuie, cela se voit, sur le travail des commissions du Conseil national, sur nos récents textes, notamment le projet adopté au CN de juin 2020 à la sortie du premier confinement, mais aussi le texte adopté à notre 38ème congrès.
Cependant il y a quelques problèmes de temporalité : les urgences des premiers mois sont mises en avant, sans que l’on voie bien la suite des mesures, une fois les premiers mois passés.
Il y a aussi quelques problèmes de fond.
- Le monde. C’est une question fondamentale. Je ne reviens pas sur la situation, les tensions considérables et très inquiétantes. Un « autre monde » de coopération, de partage et de paix ne peut être seulement pour nous un « moyen », comme il est proposé dans le texte.
Ce doit être aussi un « objectif » en soi, pour nous communistes, internationalistes. Je propose donc de le mettre dans les objectifs en tant que tel. Ce qui n’empêche pas d’en garder une partie dans les moyens, bien évidemment. Il suffit de penser à bataille sur la construction européenne ou au besoin d’une monnaie commune mondiale alternative au dollar, ou encore aux instances de coopération pour le partage des brevets, technologies et propriété intellectuelles (aussi bien en matière de santé que d’environnement).
- Sur le monde toujours. Nous devons faire très attention à ne pas alimenter une tendance au protectionnisme, porteur d’une guerre économique décuplée et mortifère. Nous sommes en effet pour des protections sociales internationales, pas pour du protectionnisme nationaliste. C’est pourquoi il faut dire explicitement que nous voulons une institution internationale, mais une tout autre institution que l’OMC : une organisation de maîtrise du commerce international et des investissements pour développer les biens communs (santé, environnement, etc.) et l’emploi dans les différents pays.
- Sur le « revenu jeunes », qui est en fait un revenu « étudiant » et « d’autonomie ». J’ai proposé quelques ajustements dans quelques amendements que j’ai transmis à la commission, dont je ne suis pas membre. Notamment qu’il puisse être porté au-delà des 850 euros pour les jeunes des milieux les plus populaires. Donc, je récapitule : de droit pour toutes celles et ceux qui s’engagent dans un parcours de formation et d’emploi, mais plus élevé pour certains jeunes.
- Il faut aussi développer des parties sur la Recherche (entreprises + recherche publique) et sur l’Enseignement supérieur. Ce sont des enjeux considérables.
- Sur l’Europe. La rédaction proposée pourrait donner l’impression que si nous n’obtenons pas gain de cause, nous la quitterions. Pour être bien clair, il est préférable de parler de rompre avec « la logique des traités actuels », plutôt que de « rompre les traités »… lesquels sont d’ailleurs déjà, pour certains, en renégociation de fait (comme le pacte de stabilité et la limitation du déficit budgétaire des Etats nationaux). Nous voulons promouvoir une Europe de coopération. Par ailleurs, il me semble que manque l’aspect accueil des migrants.
Au total, sur l’Europe, il s’agirait d’indiquer le « chemin » que nous proposerions d’emprunter, à partir d’initiatives et d’actions depuis la France. Mais aussi en lien avec les autres peuples d’Europe. Il faut donner à voir le besoin de sortir du tête à tête entre Etats dans les relations entre pays de l’UE.
- Enfin, je m’interroge sur le sens du vote émis ici par le CN dans la mesure où le texte final du projet serait finalement adopté en CEN.
Débat sur les législatives
Dans la situation très grave du pays, paysage politique très dur et montée d’une seconde lame de la crise meurtrière pour l’emploi après les présidentielles, il s’agit de faire monter les résistances en les conjuguant avec la perspective d’un projet de société alternatif à celui qu’on nous impose. Mais le système institutionnel rend cela très difficile.
La bataille d’idées est la question, majeure. Il y besoin de repères, de reconstruire des repères, de construire de nouveaux repères. C’est pourquoi il faut que le « pacte d’engagements » soit national, et porte une cohérence entre objectifs, moyens et pouvoirs.
Il y a bien sûr le débat absolument nécessaire sur les objectifs sociaux et écologiques (par exemple, simplement « du travail » pour chacun ce ne peut pas être notre objectif car c’est exactement l’objectif du workfare néolibéral et c’est ce qui contribue, pour une part à faire baisser le nombre de chômeurs : un peu de travail, bien précaire, accordé à chacun pour un salaire de misère, et pour ceux qui refusent ce travail c’est la sanction).
Mais il nous faut surtout mener le débat sur les moyens financiers et les pouvoirs. C’est la question fondamentale.
Il s’agit à la fois de dialogue et débat « à gauche », mais aussi, surtout, avec les gens. Sans omettre le débat avec les actrices et acteurs du mouvement social et des associations. Un débat d’idées repérable nationalement.
Pour les législatives, il est proposé une démarche d’ouverture. Je crois que sans l’exclure, il nous faut absolument présenter un maximum de candidats communistes dans le plus de circonscriptions, tant pour des raisons de visibilité politique que pour des raisons de financement public national.
Plus précisément :
- Un pacte d’engagements communs national et non un pacte d’engagements communs par circonscription. Pour ce pacte, un travail est nécessaire. Qui le mène ? Comment ? Car il nous faut notamment identifier les points importants d’un tel pacte.
- Un accord de retrait dans certaines circonscriptions, mais un accord national, ne pas commencer à s’épuiser dans des négociations départementales permanentes… dont nous venons de voir les effets aux dernières élections départementales.
D’autant plus que la temporalité des deux élections (présidentielles et législatives) fait qu’il n’y aura en réalité qu’une seule campagne. On ne va pas commencer à entrer dès le premier tour dans des candidatures brouillant les cartes entre composantes de la gauche et à géométrie variable sur le territoire.
Autre chose est d’avoir des accords de retrait, y compris dès le 1er tour dans certains endroits où la droite et l’extrême-droite sont très puissantes.
Un candidat on peut toujours le retirer, mais dire que nous désignons des « chefs de file » par circonscription crée une instabilité permanente – et pour une « file » de seulement deux personnes ! C’est pourquoi je demande que, dans la résolution, on retire la notion de « chefs de file » par circonscription et qu’on lui substitue la notion de « candidats » à désigner par circonscription.