Serge Klarsfeld : Éric Zemmour promeut des thèses bestiales, comme les nazis
Beate et Serge Klarsfeld au Mémorial de la Shoah, en 2017. Une vie passée à « combattre les négationnistes et les révisionnistes ». © Christophe Archambault/AFP
L’historien et fondateur de l’association Fils et Filles de déportés juifs de France (FFDJF) s’insurge contre les propos du polémiste concernant le rôle de Pétain dans la déportation des juifs. Entretien
Vous avez combattu le négationnisme et le révisionnisme toute votre vie. Que ressentez-vous quand un candidat à la présidentielle comme Éric Zemmour est donné si haut dans les sondages alors qu’il fait preuve de révisionnisme au sujet de Pétain ?
Serge Klarsfeld : Je trouve cela dégoûtant. Répugnant. Je ne m’y habituerai jamais, quand bien même le négationnisme et le révisionnisme n’ont jamais cessé. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des gens comme Maurice Bardèche ont tout de suite nié le génocide des juifs et les chambres à gaz. Puis le négationnisme est réapparu à la fin des années 1970 avec Robert Faurisson, qui disait réfuter la « thèse » des chambres à gaz, comme s’il y avait deux « thèses » équivalentes, alors qu’il n’y a pas d’équivalence entre la réalité et la négation. Je n’ai pour ma part jamais cessé de combattre les négationnistes et les révisionnistes, qu’il s’agisse d’antisémites ou bien qu’il s’agisse, comme avec Éric Zemmour, de personnes d’origine juive qui reprennent le discours de l’extrême droite traditionnelle.
Que visent les négationnistes et les révisionnistes ? À nier et déformer les faits pour tenter de réhabiliter le nazisme et le pétainisme ?
Serge Klarsfeld : Il y a dans le noyau dur de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, une partie favorable à une réhabilitation d’Hitler qui met en avant la réelle lutte anticommuniste et la prétendue défense de la civilisation occidentale menées par le régime nazi. Ils vont parfois jusqu’à reprendre les thèmes de la propagande hitlérienne de l’époque.
En France, c’est différent. Ce sont les partisans de Pétain qui n’ont jamais cessé de défendre Vichy. Il y a toujours eu des publications de gens engagés dans le pétainisme, puis de leurs héritiers, pour ressortir les mêmes faux arguments selon lesquels Pétain était le « bouclier » et de Gaulle le « glaive », face aux Allemands. C’est évidemment faux et aucun parallèle ne peut être tracé entre eux deux, entre le chef de la collaboration et le chef de la Résistance. Aujourd’hui, Éric Zemmour reprend cette « analyse » totalement infondée.
Éric Zemmour assure également que Vichy et Pétain ont « sauvé les juifs français »…
Serge Klarsfeld : Pétain n’a pas du tout sauvé les juifs français tout simplement parce que 24 000 juifs français ont été déportés, soit environ un tiers des juifs envoyés vers la mort depuis la France. Vichy a persécuté les juifs français comme il a persécuté les juifs étrangers, notamment avec le statut des juifs. Il y avait à Vichy un antisémitisme d’exclusion, de dépossession et d’aryanisation des biens des juifs. Il faut aussi savoir que 7 000 juifs furent dénaturalisés, ce qui a facilité leur déportation.
Ce qui est exact, et c’est sur quoi s’appuie Éric Zemmour, c’est que Vichy a placé les juifs français après les juifs étrangers dans l’ordre de déportation. Mais dans un premier temps seulement.
Cela n’a pas du tout empêché la déportation de 6 000 enfants juifs français dont les parents étaient étrangers. Et, dans un second temps, cela n’a pas non plus empêché la déportation de juifs français adultes. En cas de victoire allemande, l’ensemble des juifs français auraient été déportés. Le régime de Vichy est, à jamais, coupable d’avoir accepté de coopérer à l’arrestation des juifs quelle que soit leur nationalité. Vichy a pleinement participé à la mise en place de la « solution finale » en France. Et on ne pourra jamais effacer de l’histoire le fait que la grande majorité des juifs déportés ont été arrêtés par des uniformes français.
Comment expliquez-vous que le révisionnisme de Zemmour ne soit pas disqualifiant aux yeux des électeurs ?
Serge Klarsfeld : Hélas, il existe des électeurs antisémites, des électeurs xénophobes et des électeurs d’extrême droite. Et, enfin, des électeurs qui méconnaissent l’Histoire et qui, depuis longtemps, n’ont pas connu les horreurs de la haine et de la guerre. Les démagogues ont du talent, mais leurs idées n’en ont pas beaucoup. Quand leur démagogie redevient efficace, quand ils peuvent à nouveau désigner des boucs émissaires, quand les pulsions de violence reviennent, c’est souvent à la suite d’un délitement citoyen et une perte de sens républicain.
C’est aussi l’échec des démocrates et des discours langue de bois des politiques traditionnelles… Il y a pourtant un très grand danger : l’extrême droite ne ramène jamais aucun « passé glorieux ». Elle amène toujours de grandes catastrophes et de grandes souffrances. Éric Zemmour promeut des thèses bestiales. Comme les nazis.
À l’entendre, il faudrait se débarrasser des musulmans. Mais les nazis disaient pareil des juifs, sans préciser comment. Et nous avons eu les chambres à gaz… Comment Zemmour compte-t-il se débarrasser des musulmans ?
Une fois arrivée au pouvoir, l’extrême droite a toujours mis ses menaces à exécution… Il faut les prendre au sérieux, et combattre l’obscurantisme et les totalitarismes, par la mobilisation et l’éducation, avec la dernière énergie.
Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre Publié dans l'Humanité