Industrie française : l’attractivité de la rente...
Accusé d’être le fossoyeur de l’industrie, Emmanuel Macron entend contre-attaquer : grâce à sa politique, la France aurait retrouvé son attrait pour les investisseurs étrangers. Mais il confond compétitivité-prix et attractivité, qui repose sur des écosystèmes détruits systématiquement par le gouvernement au profit d’un capitalisme de rente.
Cette année, les patrons des grands groupes étrangers ont dû se passer du traditionnel banquet à la galerie des Glaces à Versailles, institué depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron, et auquel ils avaient pris l’habitude de participer en préambule de Davos : le forum mondial des puissants ne se tient cette année qu’en visioconférence pour cause de Covid-19.
À défaut, le chef de l’État a décidé de vanter « l’attractivité retrouvée de la France », grâce à sa politique, d’une autre façon. Il a choisi de reprendre la tactique de communication éculée des grands contrats annoncés lors de voyages présidentiels à l’étranger, mais cette fois à usage intérieur.
Emmanuel Macron a donc décidé de recevoir le 17 janvier à l’Élysée le directeur général du groupe américain Eastman, Mark Costa, qui a promis d’investir 850 millions d’euros dans la construction d’une usine de recyclage moléculaire pour les plastiques et d’y créer 350 emplois.
Dans l’après-midi, il s’est rendu à Chalampé (Haut-Rhin) pour la construction future d’une usine de production d’hexaméthylènediamine (HMD), un composant entrant dans la fabrication du nylon par le groupe chimique allemand BASF. Le projet représente un investissement de 300 millions d’euros et devrait permettre la création d’une cinquantaine d’emplois.
Ces mises en exergue n’ont qu’un but : casser son image de fossoyeur de l’industrie, après les désastres d’Alstom, Technip et Nokia notamment.
Et montrer en retour que la réindustrialisation de la France, appelée à devenir l’un des grands thèmes économiques de la campagne présidentielle, est bien en marche.
À l’appui du propos, la mission « Choose France », destinée à promouvoir l’attractivité de la France, met en avant 21 projets, dont les deux vantés par le président.
L’ensemble de ces dossiers, fanfaronne l’organisme, représente plus de 4 milliards d’euros d’investissement dans des secteurs de la santé, l’agroalimentaire, le numérique. Ils devraient, selon les chiffres avancés, contribuer à la création de 10 000 emplois.
« Depuis 2018, 55 projets d’investissement étrangers se sont concrétisés en France pour 8 milliards d’euros et la création ou le maintien de 13 300 emplois », se félicite l’Élysée. « Nous avons connu à peu près 15 années de désindustrialisation. Après la crise financière de 2008-2010 [...] notre pays a perdu 400 sites industriels », a insisté Emmanuel Macron dans son discours à Chalampé. « Ces cinq dernières années, nous en avons rouvert 120, et depuis 2019, nous recréons enfin de l’emploi industriel. »
Ces chiffres sont censés impressionner. Le pouvoir veut y voir les premiers bénéfices d’une politique qui aurait contribué à redresser l’attractivité de la France. Mais que pèsent-ils par rapport à l’effort public et collectif consenti depuis des années pour attirer des investisseurs étrangers ? Et est-ce vraiment la bonne stratégie ?
L’attrait de l’argent public
Comme souvent, l’État a mis la main à la poche pour soutenir les usines tant vantées par le président.
Il apporte ainsi entre 5 et 10 % des financements aux projets de BASF ou de Eastman. À cela s’ajoutent souvent les aides diverses (dons ou vente du foncier à des prix défiant toute concurrence, aménagement des terrains et des voies d’accès, prêts participatifs, effacement des dettes fiscales et sociales, exonérations diverses) apportées par les collectivités locales et régionales.
Des sommes souvent cachées dont on découvre l’importance souvent lors de plans sociaux quand certaines collectivités en demandent le remboursement. Cela a été le cas lors de la fermeture de l’usine Ford à Blanquefort (Gironde). On découvrit alors que l’État, la région et les collectivités avaient financé l’essentiel des 125 millions d’euros d’investissement en 2013 pour y maintenir l’activité et un millier d’emplois. La donne n’a pas changé depuis : il y a toujours un grand attrait des investisseurs étrangers pour l’argent public en France.
Les quatre milliards d’investissement annoncés doivent se lire aussi au regard de la politique de l’offre accélérée dès 2014 sous la présidence de François Hollande.
Le CICE, désormais sanctuarisé par un allégement permanent des cotisations sociales sur les plus bas salaires, représente plus de 20 milliards d’euros par an ; le crédit d’impôt recherche, institué sous la présidence Sarkozy, atteint désormais les 7 milliards d’euros ; l’allégement de l’impôt sur les sociétés s’élève à plus de 2 milliards ; la diminution des impôts de production à plus de 10 milliards d’euros.
À tout cela convient-il également d’ajouter l’allégement de la fiscalité pour les expatriés étrangers – une mesure destinée à attirer les banques et le monde de la finance –, les réformes successives du Code du travail, du financement de la protection sociale et du chômage.
Pour quel bilan ? La Banque de France, grande adepte des « réformes structurelles », dit que la France a retrouvé une partie de son attractivité depuis 2015. L’économiste Daniel Cohen, vice-président de l’École d’économie de Paris, interrogé par Le Monde, se montre beaucoup plus circonspect : « Emmanuel Macron a poursuivi Ia politique de l’offre démarrée sous François Hollande, mais il est très difficile d’en mesurer l’effet en matière d’attractivité et d’investissements étrangers. »
Une constante dans la politique du gouvernement : cinq ans après, il est incapable de prouver l’efficacité de la suppression de l’impôt sur la fortune. Les quatre milliards d’euros d’allégement accordés aux plus fortunés devaient servir à soutenir l’investissement productif. Même France Stratégie n’a pas réussi à en retrouver la trace.
Dans le cas de l’attractivité de la France, cette fois c’est l’OCDE qui peine à tracer les effets de la politique du gouvernement.
Alors que la France a toujours attiré les investisseurs étrangers, elle paraît en recul depuis plusieurs années, selon les statistiques de l’organisation internationale.
En tout cas, comme le pointe dans un tweet Benjamin Bürbaumer, universitaire au Centre d’économie de Paris-Nord, « elle n’est pas le premier territoire d’accueil des investissements étrangers en Europe ». L’Allemagne la devance.
Martine Orange Article publié sur Médiapart
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Commentaire de Benjamin Bürbaumer