En Équateur, les Indigènes ne reculent pas devant les balles de l’État
Depuis une dizaine de jours, la puissante Confédération des nationalités indigènes bloque le pays contre la hausse des prix dans un contexte de crise économique. Le pouvoir brandit le dialogue, mais répond par la répression, prétextant que les manifestants cherchent à « briser l’ordre constitutionnel ».
Ils sont ceux qu’on ne veut ni voir ni entendre. Depuis le 13 juin, jour et nuit, ils protestent, font la grève, occupent le siège des gouvernements locaux, brandissent drapeaux et torches, bloquent en partie Quito, la capitale.
Malgré l’état d’urgence décrété dans trois provinces et les arrestations, les peuples indigènes sont là, bien visibles, et violemment réprimés par la police du président conservateur équatorien, Guillermo Lasso. Les manifestants déplorent déjà deux morts – sans doute par des tirs de grenaille – et au moins 90 blessés, ayant subi des traumatismes crâniens et oculaires.
Regroupés sous la bannière de la puissante Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (Conaie), et rejoints par les professeurs, les étudiants et les travailleurs, ils occupent la rue contre la hausse des prix, notamment des carburants, dans un contexte de crise économique exacerbé par la pandémie de Covid. En décembre 2021, la pauvreté frappait 27,7 % de la population et l’extrême pauvreté, 10,5 %.
L’explosion sociale rappelle celle de 2019, qui avait pris sur le même thème. La Conaie établit une liste de revendications : abrogation de l’état d’urgence comme préalable, « démilitarisation » d’un parc de Quito occupé par la police et point de rassemblement traditionnel des Indigènes, fin de la répression, prix ramenés à 1,50 dollar pour le diesel (contre 1,90 dollar actuellement), à 2,10 dollars pour l’essence (contre 2,55 dollars), contrôle des prix des denrées alimentaires, renégociation des prêts bancaires pour 4 millions de familles et arrêt d’un projet d’octroi de concessions minières dans les territoires autochtones.
Le parti indigène Pachakutik est la deuxième force politique au Parlement. Lundi soir, les députés ont approuvé par 81 voix sur 137 une résolution qui exige une proposition gouvernementale de dialogue « sérieuse, claire et honnête », et réclame une table ronde incluant l’ONU, la Croix-Rouge, les universités et l’Église catholique.
Des mesures « dérisoires »
Pour l’heure, l’exécutif maintient son cap néolibéral et se barricade derrière les clôtures métalliques qui entourent le palais présidentiel. Des barrières qu’ont déjà tenté d’arracher un millier de manifestants. « Nous ne pouvons pas lever l’état d’urgence, car cela laisserait la capitale sans défense », assure le ministre des Affaires gouvernementales, Francisco Jimenez. « Nous savons ce qui s’est passé en octobre 2019 et nous n’allons pas le permettre », explique-t-il, en référence à l’invasion du Parlement et à l’incendie d’un bâtiment gouvernemental cette année-là.
Au pouvoir depuis un an, le millionnaire Guillermo Lasso a tenté de calmer le jeu en proposant l’augmentation d’une aide mensuelle de 50 à 55 dollars pour les familles les plus pauvres, ainsi que des aides en faveur des agriculteurs.
Des mesures « dérisoires » qui passent à côté des « questions fondamentales », juge Leonidas Iza, le président de la Conaie, également arrêté avant d’être remis en liberté sur ordre de la justice le 15 juin.
Leonids Iza, la bête noire du pouvoir
La Confédération demeure la bête noire des pouvoirs successifs. Entre 1997 et 2005, les soulèvements qu’elle mène aboutissent à la chute de trois présidents. Guillermo Lasso ne dit pas autre chose : « Nous avons tendu la main, nous avons appelé au dialogue, mais ils ne veulent pas la paix, ils cherchent le chaos, ils veulent chasser le président », assure-t-il dans une vidéo diffusée sur Twitter.
Sur fond d’images de scènes de casse, le chef de l’État conclut : « La démocratie ou le chaos, voilà la grande bataille. » Le propos a été clarifié par le ministre de la Défense, Luis Lara, dont on pourrait interroger la prise de position dans une situation de crise sociale : « Les forces armées ne permettront pas les tentatives de briser l’ordre constitutionnel. » Ainsi posé, le dialogue risque de tourner court. Faute de diriger la société, le pouvoir a choisi de la dominer par la force.
Le 21 juin, le président a fait savoir qu’il était ouvert au dialogue avant d’indiquer, dans la nuit de mercredi à jeudi, qu’il avait été testé positif au Covid.
Cette annonce intervient après l’incendie d’un poste de police de la ville de Puyo, dans la province de Pastaza, qui a grièvement blessé six policiers. Trois autres sont retenus en otage et dix-huit portés disparus.
Cette lutte qui concerne maintenant l'ensemble du peuple équatorien, a envahi l'Assemblée Equatorienne qui a la demande de plusieurs députés débat d'une possible destitution du Président Guillermo Lasso.
Après une suspension des débats, les députés devaient reprendre dimanche, les discussions entamées samedi sur la destitution éventuelle du président conservateur. Sentant le vent tourner, ce dernier, engagé dans une violente répression, a mis fin le soir même à l’état d’urgence, décrété une semaine auparavant dans 6 des 24 provinces du pays, pour faire cesser les manifestations indigènes contre le coût de la vie, qui ont débuté le 13 juin.
« Les parlementaires (…) cherchent à déstabiliser la démocratie », a expliqué le secrétaire juridique du président, Fabio Pozo, qui représente Guillermo Lasso devant l’Assemblée. Une fois les débats clos, les députés ont 72 heures pour se prononcer. 92 voix sur 137 sont nécessaires pour valider la destitution.