Fin du moteur thermique en 2035. Quelques réflexions et idées pour le débat et l'action.
Les députés européens ont adopté le mercredi 8 juin un rapport préconisant la fin de la vente de véhicules neufs* à essence et diesel à partir de 2035.
C'est une décision très lourde qui va bouleverser toute l'industrie automobile en Europe. Il s’agissait d’une proposition de la Commission européenne, formulée en juillet 2021 dans le cadre de son “Paquet vert”, visant à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Si les Etats membres de l'Union Européenne suivent cette recommandation, seule la vente de voitures électriques ou à hydrogène serait autorisée en Europe dès 2035. A partir de cette année là, nous aurions un parc automobile où cohabiteraient les voitures à moteur thermique vendues avant 2035 et les nouvelles voitures électriques ou à hydrogène.
Ainsi devront subsister pendant un certain nombre d'années l'approvisionnement en essence ou diesel nécessaire pour les voitures de l'ancienne génération ainsi que les garages nécessaires à leur entretien et réparation. En même temps devront monter les équipements pour les recharges électriques et la mutation des garages passant peu à peu de l'entretien et la réparation du moteur thermique à ceux du moteur électrique ou tout autre produit générateur de puissance.
Chacun mesure que si cette recommandation se mettait en oeuvre, les efforts considérables à fournir dans les dix ans à venir en termes d'emplois et de formations afin de permettre aux salariés d'accompagner et de maîtriser cette mutation technologique sans qu'ils en soient les victimes d'autant que les grands groupes tenteront de se servir de cette évolution à marche forcée pour restructurer, délocaliser, casser l'emploi au nom de la réduction des coûts pour assurer leurs profits. Certains parlent déjà de plus de 100 000 emplois qui seraient menacés.
Les conséquences attendues de cette décision, sont donc aussi lourdes que floues. En ce début d'année 2022, les Tesla Model 3 et Dacia Spring, sont deux des trois voitures électriques les plus vendues en France, mais elles sont assemblées en Chine. Si leurs émissions à l'échappement sont nulles, leur coût pour la planète est important. C'est pourquoi un des enjeux sera d'exiger que la production et le montage soient faits en France au minimum pour répondre à notre propre marché national.
Cela suppose qu'à l'égard des deux plus grands groupes Français Renault et Stellantis, le pouvoir pose de suite des conditions fermes d'autant que les deux groupes ont perçu des milliards d'aides publiques ces dernières années. Cela vaut pour les constructeurs mais aussi pour les grands équipementiers automobiles et les sous-traitants. Réussir cette mutation et l'utiliser comme moyen pour réindustrialiser le pays, avec des industries sûres et propres, est un défi qui suppose d'anticiper les besoins d'emplois, de formations et de qualifications tout comme il y a besoin de travailler à des coopérations nouvelles entre les groupes Européens afin de répondre au besoin de renouvellement du parc européen estimé à environ 300 millions de voitures.
Plus que jamais et dès maintenant, la mise en oeuvre d'une sécurité d'emploi et de formation est nécessaire afin de permetre à tout salarié le désirant de s'inscrire dans des formations visant à se préparer aux nouveaux métiers tout en élevant leur qualification pour occuper les nouveaux emplois générés, avec la garantie du maintien de leur emploi que cela soit aussi bien dans les études, la recherche, la production que la réparation et l'entretien. Il s'agit donc d'anticiper et de s'en donner les moyens afin de répondre aux nouveaux défis humains posés par cette évolution technologique qui concerne toute la filière automobile et du véhicule industriel (Poids lourds).
Rien n'est fait, mais le signal est fort, bien que la fin des voitures thermiques soulève toutefois de nombreuses questions. Les voitures électriques sont une source de profits pour les constructeurs dominants, c'est pourquoi elles coûtent plus cher à l’achat. Il y a donc lieu d'exiger la transparence sur les coûts et de permettre avec des droits nouveaux pour les salariés leur permettant d'intervenir dans les gestions afin de faire la chasse aux gaspillages capitalistes. Pendant un temps certain, l'Etat devra intervenir pour réguler les prix afin de ne pas permettre l'aggravation des inégalités en privant les revenus modestes de pouvoir acheter et en favorisant l'achat de véhicules neufs pour les plus aisés.
En outre, un effort d'équipement considérable est à entreprendre pour installer un réseau de recharges électriques suffisant dans tous les pays sachant qu'une recommandation récente préconise une borne de recharge électrique tous les 60 kilomètres.. Cela pose également le besoin incontournable d'élever la production d'énergie et notamment électrique. Compte tenu du choix d'atteindre la neutralité carbone en 2050 la production d'énergie nucléaire est incontournable car elle est la seule à avoir un très faible impact sur le climat et l’environnement. L’origine de l’électricité utilisée est donc un enjeu majeur. Au regard de celui-ci, il est plus que jamais nécessaire de se doter d'un véritable service public de l'énergie avec la renationalisation d'EDF et de GDF.
Enfin, il faut avoir en tête que le parc automobile français est de 41 100 000 voitures et qu'il est vieillissant avec 11 ans d'âge moyen malgré les primes consenties pour favoriser son renouvellement. En fait le niveau des salaires est si bas en France que même avec les aides il est pratiquement impossible pour la grande masse des automobilistes de changer sa voiture tous les 10 ans !
Prenons en compte que le transport est la plus grande source d'émissions de CO2 en Europe, soit plus de 25 % des émissions. Il consomme 65 % du pétrole en Europe, dont la quasi-totalité est importée.
La France n'est pas à part, le transport est aussi la plus grande source d'émissions en France, soit 31 % du total. C’est le seul secteur où les émissions ont augmenté entre 1990 et 2019. Deux causes essentielles l'augmentation des distances parcourues en voiture par les Français et une utilisation très limitée du fret ferroviaire pour transporter les marchandises transportées. C'est le véhicule industriel qui domine. 53 % des émissions du transport viennent des voitures particulières et 15 % des camionnettes
Aujourd'hui, 97,7 % des voitures utilisent l'énergie thermique, dont 59 % diesel, 39 % essence et 2,3 % énergies alternatives.
Ceci étant dit, Il ne s'agit pas avec l'évolution du thermique vers l'électrique ou tout autre moyen de puissance, d'envisager que les renouvellement et rajeunissement du parc automobile, la donne majeure posée est celle de la mutation des modes de déplacements, en passant progressivement du mode voiture au mode transports collectifs modernes, rapides, sécurisés et peu chers voire gratuits, c'est à dire train, métro, tram et bus. De ce point de vue, nous sommes très loin du compte, la France doit faire des efforts gigantesques pour accélérer ce mode de transports d'avenir. Le défi à relever dans les mois et années est celui d'un autre type de consommation ! Avec une production écologique et sociale, exigeant des recherches et s'appuyant sur des services publics forts.
Cela passe en premier lieu par le retour de la SNCF (voyageurs et fret) dans le secteur public pour une maîtrise d'ensemble de la gestion des problématiques posées et en second lieu par des investissements massifs d'où le besoin d'inventer un nouveau crédit avec la création d'un fond européen pour les services publics et l'environnement, alimenté par la BCE.
12 ans, le temps est court, d'où le besoin de planification, de démocratie et d'une vue prospective pour activer les leviers nécessaires et utiles pour réussir du local au national avec une cohérence forte articulant : emplois, formations, qualifications, investissements, utilisation de l'argent et démocratie avec la conquête de pouvoirs démocratiques contre le pouvoir du capital sur l’utilisation de l’argent, dans les entreprises et dans les banques.
Cela passe par le rétablissement et le renforcement des prérogatives économiques des instances représentatives des salariés dans les entreprises, des syndicats et des salariés eux-mêmes, pour imposer la réalisation de projets de développement de l’emploi, de la production écologique, contre les licenciements et les délocalisations, et pour obtenir leur financement par des crédits bancaires ciblés et assortis de taux d’intérêt bas, voire négatifs.
Il faudra, nécessairement créer une véritable institution démocratique et sociale de planification et de suivi à partir des territoires, organisant le dialogue orienté social et écologie avec les entreprises et les banques, pour une gestion nouvelle et pour le suivi de cette gestion. Elle pourrait s'appeler " Déplacements, industries et services" ayant à charge de recenser les besoins à l'échelon régional dans tous les domaines (Energie - mode de déplacements - train-métro-tram et bus - production automobile - garages - Banques et crédit), de définir les réponses en termes d'emplois, de formations, d'investissements et de financements, de coopérations et de suivi.
* Il y a une exception. L’amendement 121, adopté par les eurodéputés, accorde une dérogation d’une année supplémentaire aux voitures très haut de gamme (luxueuses ou sportives) vendues à moins de 1.000 exemplaires par an.
Une production aussi faible concerne uniquement des constructeurs de prestige comme Ferrari, Rolls-Royce ou encore Lamborghini (voitures pour les super riches) qui pourront donc continuer à vendre des modèles neufs jusqu’en 2036. Par ailleurs, ces marques ne sont pas obligées d’observer la phase de transition fixée par la Commission européenne qui impose une réduction des émissions de gaz à effet de serre des voitures de 55% dès 2030.
Le Parlement européen assure que ce type de dérogation n’a rien d’extraordinaire. “Ce n'est pas nouveau, il en existe déjà pour les émissions de CO2 et pour le niveau sonore des véhicules”. Pour Luis Le Moyne, enseignant chercheur à Institut Supérieur de l’Automobile et des Transports, l’impact global sera très faible vu les volumes de ventes réalisés par ces marques de prestige. “Ce sont des constructeurs qui comptent et qui font la fierté de certains pays. Si ces marques doivent bénéficier d’une petite exception pour survivre ce n’est certes pas soutenable écologiquement parlant, mais c’est compréhensible d’un point de vue économique”, estime-t-il.
Reste à savoir si cette dérogation sera maintenue après le vote final du Conseil européen prévu à la fin du mois de juin.
Jean Chambon