39ème congrès. Contribution d'Amar Bellal et d'Alain Pagano

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

39ème congrès. Contribution d'Amar Bellal et d'Alain Pagano39ème congrès. Contribution d'Amar Bellal et d'Alain Pagano
Le texte de projet de base commune « l’ambition communiste pour de nouveaux jours heureux » voté au Conseil National majoritairement et soutenu par Fabien Roussel, a cet intérêt de faire progresser notre réflexion sur l'écologie. Rappelons qu'un texte de congrès sert aussi à cela : élever le niveau de réflexion, y aborder des notions parfois difficiles et exigeantes à la hauteur des défis qui sont devant nous, renouveler notre réflexion en étant à l'écoute des idées nouvelles et du débat scientifique.
 
 
Ainsi, à partir des nombreux débats et échanges qui nous ont nourris dans la commission écologie du PCF durant ces dernières années, et des nombreuses contributions publiées par le revue Progressistes, à titre personnel, nous voterons pour ce texte. Il est sérieux et solide, et pour nous il répond à ce qu'on attend d'un texte de congrès ambitieux.
 
 
Le texte est parsemé de référence à l’écologie. Cela montre à quel point ce sujet est de plus en plus central dans notre réflexion comme dans nos actions. 4 ans se sont écoulés depuis le dernier congrès : entre temps il y a eu le 6eme rapport du GIEC, la COP 26 et 27 caractérisées par la montée de l’exigence d’atteindre la neutralité carbone, et par la nécessité d’engager, plus que jamais, des politiques d’atténuation mais aussi d’adaptation. En effet, le réchauffement climatique est déjà là et il faudra bien s’y adapter.
 
 
Il y a eu aussi les différents rapports de l'IPBES, l'équivalent du GIEC pour évaluer l'état de la biodiversité à travers le monde, nous alertant sur une possible 6ème extinction de masse des espèces que pourrait connaître la Terre.
 
 
On insiste également sur l’importance d’appliquer les principes de l’économie circulaire au secteur industriel pour diminuer la pression sur les ressources et se donner les chances d’assurer la réponse aux besoins d’une planète peuplée de 8 milliards, bientôt 10 milliards, d’êtres humains. Cette question de la préservation et la pérennité des ressources est cruciale : on pense souvent aux terres rares, mais cela touche des ressources beaucoup plus communes comme le cuivre, ou encore le phosphate, si essentiel pour l'agriculture. Résoudre ce problème sera grandement conditionné par notre capacité à organiser l'économie sur les principes d'un recyclage généralisé, d'anticiper en amont dès la conception des produits, la possibilité de les réparer, de les faire durer, d'extraire facilement les matériaux pour les réinsérer dans les processus de production : c'est tout cela que comporte cette vaste notion d'économie circulaire.
 
 
Cela heurte les logiques capitalistes qui cherchent à vendre le plus de produits et de services, et en s'arrangeant pour qu'ils soient vite dépassés et périssables, afin de nous pousser à les renouveler par le désormais bien connu principe d’obsolescence programmée. On doit au contraire reposer la question hautement politique de qui décide de ce que l'on produit, comment, qui finance, sur quels critères, et dans quelle finalité, et ce au cœur de l'entreprise avec les salariés concernés.
 
 
Sortir du capitalisme : condition nécessaire mais non suffisante
 
 
Mais surtout, l’avancée majeure dans ce texte, c’est que nous disons clairement que certaines crises écologiques sont des problèmes dont la résolution va bien au-delà du seul dépassement du capitalisme. C'est nouveau, écrit noir sur blanc, et clairement exprimé. Cela peut heurter notre culture habituée à voir tous les difficultés venant uniquement du capitalisme avec cette idée qu'il suffit de changer le système pour résoudre tous les problèmes. Mais si la crise climatique, les ressources qui s’épuisent, la destruction des écosystemes, sont des problèmes que le capitalisme aggrave et dont il empêche la résolution, ne nous voilons pas la face, nous aurons nous-même à faire face à la difficulté bien objective de décarboner toute l’économie et organiser nos moyens de productions et de consommations autrement pour limiter nos atteintes à l'environnement, quand bien même le monde entier serait organisé suivant les principes du communisme.
 
 
Avec une planète qui comptera bientôt 10 milliards d’habitants, ce seront des défis en soi que nous aurons à relever, au-delà donc du seul dépassement du capitalisme. On peut en dire de même pour la sécurité sanitaire face à l'émergence de nouvelles pandémies, la sécurité alimentaire. C’est novateur comme approche, et on répond ainsi à des problèmes que Marx ne connaissait pas à son époque avec une telle acuité. S’approprier ces sujets rend notre discours plus crédible et audible auprès de la communauté scientifique, et de tous ceux qui s’y intéressent de près.
 
 
En somme la sortie du capitalisme est une condition absolument nécessaire pour résoudre ces problèmes, mais elle est hélas non suffisante : il faut avoir la modestie, la lucidité et le courage de le dire, surtout pour des problèmes hautement scientifiques et techniques comme le climat, les ressources et les pollutions, dans une planète où devront coexister non pas 500 millions d'habitants comme à l'époque de Marx, mais 8 à 10 milliards et avec des besoins aucunement comparables.
 
Intégrer la notion d’anthropocène
 
Le texte des jours heureux illustre cette idée forte par la notion d’Anthropocène, période qui consacre l’action humaine comme une des forces majeures qui modifie le monde, les écosystèmes, au côté des autres forces géophysiques naturelles. Depuis 10 000 ans et l’invention de l’agriculture, l’humanité a transformé tous les milieux - C’est ce que les scientifiques nomment l’anthropisation.- avec un impact majeur, et une accélération particulière depuis 200 ans avec l’avènement du capitalisme industriel et l'accroissement démographique.
 
 
Ainsi il n’y a plus aucun paysage vraiment sauvage autour de nous : même la forêt Amazonienne a été façonnée par des millénaires de présence humaine contrairement à ce que l’on pourrait croire. Plus proche, on peut citer des territoires comme la France dont la nature est complètement anthropisée, « artificialisée ». Pensons à la Camargue par exemple, écosystème certes exceptionnel, mais complètement anthropisé : ainsi, sans intervention humaine, en quelques siècles, un écosystème aussi particulier et riche que la Camargue disparaitrait par érosion et par d’autres processus naturels.
 
 
Cette nouvelle période, où l’humanité a répondu de façon légitime à ses besoins en transformant et exploitant son milieu, nous l’assumons complètement : il ne s’agit pas de revenir en arrière dans une nature sauvage intacte, fantasmée, pensée hors de l’humanité, ce qui n’a pas de sens vu que l’humain fait partie de l’écosystème. Mais, il s’agit d’inventer le monde de demain en se donnant les moyens pour que notre environnement reste vivable et que nous puissions continuer à en tirer les richesses nécessaires pour répondre aux besoins légitimes de l’Humanité. Cela implique de penser autrement nos modes de production et de consommation. C'est ce qui propose le texte de projet de base commune des « jours heureux ».
 
 
C'est là une spécificité du PCF, un débat que nous devons porter avec d'autres forces à gauche car certaines n'ont pas la même approche, considérant que les êtres humains seraient même de trop sur Terre et que la nature devrait être sanctuarisée au détriment de l’humain et de la réponse à des besoins légitimes. En somme, ils proposent de sortir de l’Anthropocène qui est vouée aux gémonies et dénoncé en faisant abstraction des humains. Nous, nous voulons au contraire assumer cette période et en tirer toutes les conséquences politiques dans notre approche de l'écologie, en « pacifiant » la relation humain-nature.
 
 
Ainsi il faut combattre les discours catastrophistes et démobilisateurs insistants sur les limites planétaires, nous enfermant dans la seringue de la décroissance, car elles évitent de proposer l’alternative hautement politique de l’organisation de nos sociétés, de nos modes de production et de consommation, des potentialités du progrès scientifiques et technologiques. Plutôt que d'être suiviste, portons cette vision originale de l'écologie et portons ce débat dans la société.
 
 
Le Capitalocène : une sous-période de l’Anthropocène
 
 
En tant que communistes nous avons raison d'insister sur l'aggravation des aspects les plus problématique de l’Anthropocène depuis l'avènement du capitalisme industriel il y a environ 150-200 ans, source de gaspillage et d'inefficacité. Mais cette aggravation est due aussi à l'accroissement démographique et à la légitime réponse aux besoins d’une humanité plus nombreuse. Précisons que les deux sont liés : au-delà des dégâts sociaux et de ses effets pervers, le capitalisme a permis un accroissement démographique par le développement des forces productives, le progrès technologique, comme jamais auparavant. Marx lui-même reconnaissait cet aspect … ce qui ne l'empêchait d'en prôner le dépassement.
 
 
Les destructions d’écosystème, l'épuisement des ressources, les pollutions globales et maintenant le problème du climat, se posent avec beaucoup plus de gravité depuis ces dernières décennies. Plusieurs mots sont alors apparus pour définir cette période si particulière : du plus politique comme le Capitalocène, au plus neutre comme l'Industrialocène, en passant par d'autres termes comme l'Urbanocène, le Thermocène etc ..il existerait jusqu'à 40 termes pour définir la période récente de ces deux dernières siècles ! et ainsi exprimer cette accélération particulière des dégâts environnementaux, avec une reconnaissance plus moins grande du monde scientifique.
 
 
Focalisons-nous sur le terme le plus politique, le Capitalocène, mettant au cause, comme son nom l'indique, le système capitaliste, facteur aggravant dans la crise écologique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s'oppose pas au concept plus scientifique de l'Anthropocène, mais en est complémentaire. L'Anthropocène est une période couvrant une période plus longue et qui est appelé à perdurer, tandis que la période du capitalisme ou Capitalocène, n'est qu'une période particulière de l’Anthropocène, qu'on espère la plus courte possible, et dont il faut sortir au plus vite pour le bien des humains comme de la planète.
 
 
Il conviendrait donc de faire apparaître ces deux notions ainsi dans le texte de base commune au bon niveau en les précisant bien : l'Anthropocène en tant que période plus large englobant le Capitalocène. Cela fait partie des pistes pour améliorer en précision le propos du texte du conseil national « des jours heureux » dans lequel nous nous reconnaissons et que nous voterons.
 
 
Mais réduire notre approche de l'écologie en la limitant à la dénonciation du Capitalocène (ou capitalisme) ne serait pas du tout à la hauteur : on tomberait dans la facilité en sous entendant que tous les problèmes liés à l'environnement seraient causés uniquement par le capitalisme, et qu'il suffirait d'en sortir pour tous les résoudre. On ignorerait ainsi les défis qui se posent : l'Anthropocène perdurera au-delà du capitalisme et l’humain se doit d’inventer un nouveau mode développement en harmonie avec la nature, ce que nous avions justement théorisé dans les précédents congrès comme le développement humain durable .
 
 
Cela aurait donc de prime abord l'avantage de la facilité, digne d'un slogan de meeting où l’on aurait juste remplacé le mot capitalisme par capitalocène, un renouvellement cosmétique à défaut de fond. Mais cela ne ferait progresser en rien ni notre réflexion, ni notre capacité à proposer des solutions crédibles. Le texte des « jours heureux » va bien au-delà de cette seule dénonciation du capitalisme et apporte une dimension nouvelle : l’ambition communiste de révolutionner nos rapports à la Nature.
 
 
A titre d’exemple, la question démographique parle ici : avec 10 milliards d'habitants, même en sortant du Capitalocène (ou du capitalisme), en comptant les 2 milliards d'Africains qui voudront légitimement se développer, en y ajoutant les 2 milliards supplémentaires en Asie, il restera bien des difficultés objectives à régler concernant notre rapport à l'environnement, car il faudra bien loger, nourrir, soigner, transporter, éduquer toute ces populations, et donc extraire des matières premières tout en limitant les pollutions ...
 
 
Etre en phase avec le débat scientifique
 
 
L'Anthropocène est une notion importante, que la communauté scientifique s’est appropriée et qui est présent dans les débats sur l’écologie. Comme pour le mot « écologie » il y a 60 ans, c'est nouveau, déroutant, il peut parfois être objet de raillerie par certains marxistes qui ont du mal à renouveler la pensée de Marx, pensée qui doit rester vivante, tournée vers l'avenir, à l'écoute des derniers résultats scientifiques, et non sclérosé par une interprétation étroite et dogmatique. C'est un concept clé chez les scientifiques qui pensent le développement et étudient l'environnement. Nous devons l'investir, comme nous avons su le faire avec le mot écologie, le préciser y compris par rapport au Capitalocène qui en est une période particulière, afin d'en tirer toutes les conclusions politiques. Mais au-delà du débat scientifique qui existe autour de l’anthropocène et qui agite les milieux universitaires (quand faire débuter cette période ? Est-ce vraiment légitime de lui accorder un statut d'ère géologique? Etc... voir la contribution de congrès du camarade Luc Foulquier sur ce sujet), l'idée d'Anthropocène est importante surtout pour les questions hautement politiques qu’elle pose, sur notre rapport à la nature et, par conséquent, le rapport qu’entretiennent les êtres humains entre eux : en effet nous ne pourrons pas résoudre la crise environnementale, sans mettre fin aux rapports de domination et d’exploitation entre les êtres humains.
 
 
Cela nécessite de dépasser le capitalisme, première condition incontournable et nécessaire, pour se donner des chances de résoudre les problèmes que pose la place particulière de l’espèce humaine dans la nature et la période qu'il a ouvert depuis 10 000 ans, avec l'avènement de cette ère nouvelle qu'est l'Anthropocène.
 
 
Amar BELLAL, rédacteur en chef de la revue Progressistes et enseignant à l'Université de Rennes 1 et Alain PAGANO membre du CEN en charge de l'écologie au PCF maitre de conférence en écologie
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