L'urgence de changer de logique de gestion de l'hôpital public !
La pénurie de soignants est mise en avant par le ministre de la Santé, François Braun, pour refuser l'ouverture voire justifier la fermeture des lits hospitaliers comme cela est le cas dans plusieurs services de Lyon Sud ou d'Henry Gabrielle. "On a moins de professionnels, moins d'infirmières, moins d'aides-soignantes, donc on a des lits qui sont fermés.... On les ferme parce qu'on a moins de personnel", a justifié le ministre ce dimanche.
Ce constat n'est pas du tout partagé par les syndicats comme par des partis de gauche comme les communistes. Si l'hôpital public est aujourd'hui en crise, c'est à cause des politiques libérales du gouvernement. 17 000 lits d'hôpitaux depuis 2017, 5 768 lits en 2020, en pleine pandémie, et 4 300 en 2021. C'est un bilan terrible et accusateur !
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Graphique de la DREES
Il faut connaître les raisons qui conduisent à fermer un lit ou ne pas l'ouvrir. Cette transparence n'est pas toujours la qualité première des directions hospitalières placées sous la férule des ARS bras armés du ministère de la santé !
Si en octobre 2021, un avis du Conseil scientifique, notait que le manque de personnel à l'hôpital avait bien entraîné la fermeture de près de 20% des lits hospitaliers. Il s'agit là de suppressions de lits normalement temporaires, le temps de recruter le personnel manquant. Cependant, cette situation normalement transitoire dure. En 2022, précise Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, le taux de fermeture de lits, faute de personnel, est demeuré inchangé à "20%". Et il précise : "Si on ferme des lits à l'hôpital aujourd'hui, c'est parce que les gens sont épuisés et n'en peuvent plus. Le personnel démissionne et on a eu une très forte augmentation de l'absentéisme et des arrêts maladie", explique le représentant de la santé CGT.
Cette grave situation touche également les nouveaux entrants dans les profession de santé. "En infirmerie, vous avez un taux d'abandon de 30% durant les années d'études et de nouveau un taux de 30% de démission des jeunes diplômés dans les cinq ans", ajoute Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Il manquerait selon Emmanuel Tinnes de FO-Santé, près de "100 000 soignants" pour rouvrir les lits alors que, révèle Christophe Prudhomme, "près de 200 000 infirmières en âge de travailler ont abandonné leur métier".
C'est ce même chiffre que le parti communiste avait évalué en 2019-202 et qui avait à l'époque était l'occasion d'une pétition 'De l'argent pour l'hôpital, pas pour le capital!" signée par plus de 120 000 soignants et citoyens-nes. Les communistes suggéraient de recruter massivement en formation aux métiers de santé et de garantir leur embauche au statut dès la fin de leur formation. Rien n'a été fait et maintenant la crise est là, les premières victimes sont les patients qui sont aussi victimes du tri selon l'âge ou la pathologie.
Des conditions de travail dégradées et des salaires trop faibles
Comment expliquer cette désaffection des soignants pour ces professions alors que la demande de formation aux métiers de la santé reste en tête pour les jeunes ? "Les politiques publiques de financement de la santé n'ont pas été à la hauteur", estime Emmanuel Tinnes, et ont abouti à une dégradation des conditions de travail à l'hôpital.
Pour des raisons austéritaires, "un taux de remplissage de 90-95%" a été imposé aux hôpitaux, explique le militant FO, ce qui supprime toute marge de manœuvre pour l'organisation des services et le personnel et impose, en cas d'épidémie (la pandémie de Covid-19), de travailler en sous-effectifs dans des conditions de travail et de sécurité des plus précaires. Cela explique pourquoi certains "personnels du management" hospitalier sont la risée de leurs collègues qui les qualifient de calculettes !
"Les soignants aiment leur métier, mais c'est justement parce qu'ils aiment leur métier qu'ils refusent de travailler dans n'importe quelles conditions, abonde Thierry Amouroux. Les normes internationales fixent un nombre de six à huit patients par infirmière. En France, on est plutôt au double. On court toute la journée d'un patient à l'autre, on a l'impression de faire mal notre travail", rajoute t-il.
S'ajoute aux sous-effectifs, le problème des rémunérations dans l'hôpital public qui sont largement insuffisantes et donc peu attractives malgré le fiasco du Ségur, comme le confirme Jean-François Cibien, président de l'intersyndicale Action praticiens hôpital, qui souligne. "Dans le privé, on me propose de tripler mon salaire en travaillant deux fois moins de nuits par mois" explique-t-il. Une manière subtile de favoriser la concurrence qui sert de moyen pour privatiser de manière rampante l'hôpital public en les vidant peu à peu du personnel et des patients !
Des lits supprimés en masse sous prétexte du virage ambulatoire
Le manque de personnel n'explique pas les suppressions de lits hospitaliers qui est un moyen utilisé pour culpabiliser et tenter d'opposer personnel soignant et patients. Selon un rapport de la Drees), près de 21 000 lits ont été en effet fermés depuis 2017. Si ce chiffre, selon le rapport, comprend bien les suppressions de lits "en raison de contrainte de personnel", il inclut également celles liées au "virage ambulatoire", autrement dit la réorganisation de l'hôpital au profit de l'hospitalisation de jour. Dans le cadre du virage ambulatoire, le patient reçoit ses soins en journée à l'hôpital puis rentre ensuite chez lui le soir, ce qui permet de supprimer les lits qui auraient dû être occupés la nuit. Mais le lit étant supprimé, on ne pourra pas accueillir un nouveau patient qui devra faire le tour des hôpitaux avant de trouver un lit disponible !
La diminution constante et massive du nombre de lits hospitaliers observée a même contribué à la pénurie actuelle de soignants, estime Christophe Prudhomme. "En prévision de la réduction du nombre de lits, on n'a pas suffisamment donné de moyens pour former davantage de personnel" déplore le syndicaliste.
Durant ses vœux aux soignants, Macron a évoqué "un jour de crise sans fin". "On a formé moins de soignants, on a moins de soignants disponibles", a t-il reconnu. Mais pour lui, la situation actuelle ne se résume pas à "une crise de moyens". Selon lui, "le plus gros effort financier de l'histoire du système de santé" a été réalisé durant et après la pandémie de Covid, avec le Ségur de la santé et une augmentation du budget de la Santé de "50 milliards d'euros" en trois ans.
Macron semble le regretter ! Mais à situation exceptionnelle, moyens exceptionnels, on n'ose pas imaginer le nombre de morts si l'Etat n'avait pas assumé ses responsabilités lors de la pandémie. Macron tente de dévier le problème de fond, la logique politique mise en oeuvre dans la santé depuis une trentaine d'années qui a conduit à ce que le système fonctionne de plus en plus mal, ne permette plus de répondre aux besoins de santé dans la proximité au point qu'il atteint une situation de crise grave. Cette logique d'affaiblissement et de rabougrissement des hôpitaux publics favorise les groupes privés qui accumulent des profits faramineux sur le dos de la Sécu et des patients !
C'est avec cette logique mortifère qu'il faut rompre. Le nouveau plan santé pour les hôpitaux annoncé par Macron pourra-t-il résoudre le problème d'indisponibilité des lits hospitaliers ou au contraire amplifiera t-il la logique actuelle quoi qu'il en coûte à la société ?
Pour les syndicats, le compte n'y est pas. S'il comprend des mesures attendues comme la fin de la tarification à l'acte – le système incitant les hôpitaux à pratiquer en priorité les soins les plus rentables avec l'utilisation de la calculette –, ce plan inclut aussi des dispositions très contestées comme la remise en cause des 35 heures alors qu'ils sont un des moyens d'alléger la souffrance des soignants qui sont au coeur des difficultés de l'hôpital public aujourd'hui. C'est quand même vicieux de se saisir d'un mal reconnu pour mettre en place des mesures qui vont encore aggraver le mal !
"Il faudrait plutôt un vrai plan Marshall sur la santé, pour avoir plus de soignants et de meilleurs salaires, parce que vous ne ferez pas revenir les gens partis de l'hôpital si c'est pour être sous-payés et en sous-effectif", commente Thierry Amouroux.
Bien sur cela passe par la réappropriation de la Sécurité Sociale par les assurés sociaux car avoir délégué la gestion de la Sécu aux gouvernements a conduit à la mettre au service des puissances d’argent et à la régression sociale, à l’affaiblissement de l’hôpital public, à la réduction des remboursements, et au recul de l’âge de départ en retraite.
Il faut donc transformer les choses afin que les assurés décident d'une gestion fondée sur le principe fondamental « chacun cotise selon ses moyens, et chacun est servi selon ses besoins ! » et fasse cotiser toutes les sommes d'argent qui échappent à la cotisation sociale notamment les revenus financiers des entreprises et les dividendes versés aux actionnaires (398 milliards d'€).
Il est possible de mettre un grand plan de sauvetage de l'hôpital public avec des mises en formation et des embauches massives qui accompagnent la revalorisation des salaires et le retour de la retraite à 60 ans.
Sources : la DREES - France Info - syndicats CGT