Interventions d'Evelyne Ternant au CN du PCF des 1 et 2 juillet sur les élections européennes de 2024
Sur le texte d’orientation
Nous avons aujourd’hui plus qu’un travail d’amendement sur un texte : c’est un vrai débat d’orientation de notre campagne des élections Européennes, d’autant plus nécessaire que nous n’avons jamais fait le bilan de la précédente, ses points forts mais aussi des faiblesses.
Le texte a évolué avec la discussion du CEN et intégré des amendements, dont les miens, dont je remercie Vincent, mais il reste cependant marqué par une inflexion de la ligne politique tenue jusqu’à présent sur l’Europe.
Deux remarques à ce sujet :
1-La première, c’est qu’il opère un décentrement de l’Europe vers la France : le sujet principal est devenu le rapport de la France à l’Europe, qui prévaut sur ce qui a été la problématique centrale jusqu’à présent, à savoir : « quelle construction européenne voulons-vous pour répondre aux défis des crises actuelles ?» Des crises qui sont mondiales et à dimension multiple : économique, financière, sanitaire ou écologique ».
Ce glissement s’accompagne d’idées implicites :
1- D’abord le fait que l’Europe ne serait qu’un problème, et pas le lieu de solutions, qui sont certes empêchées d’exister par son orientation actuelle, mais sont un potentiel à conquérir. Oui, il n’y a pas de solutions aux crises que nous traversons sans une autre Europe :
-qu’il s’agisse du changement dans les institutions internationales pour un ordre mondial solidaire, avec une monnaie mondiale émancipée du dollar,
– qu’il s’agisse de la paix et de la sécurité collective qui suppose d’échapper à cette alliance de l’OTAN, parce qu’elle contribue aux tensions internationales en défendant pied à pied les intérêts impérialistes, avant tout nord -américains,
– qu’il s‘agisse du climat et de la transition énergétique, auxquels s ‘opposent les choix actuels d’importation massive de Gaz de schiste américain en Europe. L’ efficacité du combat contre le réchauffement climatique ne se jouera pas à l’échelle nationale, mais à des échelles géographiques plus larges.
Si on prend l’exemple de la désindustrialisation, face au plan américain IRA (Inflation Reduction Act) qui finance massivement « l’industrie verte », grâce au privilège monétaire du dollar, et exerce un effet d’attraction énorme des investissements de toute l’Europe, il est clair que la riposte efficace ne pourrait être qu’européenne, sous condition d’autres modalités de financement que les marchés financiers et d’exigences sur le stratégies de multinationales.
Le texte devrait mieux prendre en compte ces interdépendances puissantes.
2- Le thème de la souveraineté est utilisé d’une façon qui entretient des ambiguïtés par rapport au souverainisme national : associé à l’expression «Une France libre et forte», il situe la souveraineté à l’échelle géographique du pays, ce qui efface le rapport de classe et les responsabilités politiques des gouvernements.
Car tout de même, c’est en pleine souveraineté que les gouvernements français, de droite comme de gauche, ont soutenu l’orientation néolibérale de la construction européenne, contre le choix du peuple français en 2005.
C’est souverainement que les dirigeants capitalistes français, dans une tradition de capitalisme de rente qui a toujours caractérisé le capitalisme français, continuent à délocaliser massivement l’industrie. Le problème n’est donc pas la souveraineté de la France, mais la souveraineté populaire, démocratique sur les décisions stratégiques, à toutes les échelles, locale, nationale européenne et mondiale : et elle suppose une souveraineté pleine et entière sur l’utilisation de l’argent dans les entreprises et les territoires.
Gardons- nous de toute tentation de triangulation sur l’idéologie nationaliste, car même accompagnée du discours progressiste, elle donnerait du poids, en dépit de notre volonté à une vision qui n’est pas celle d’un monde de coopérations et solidaire.
Ne dévions pas de ce qui a été construit depuis la bataille contre le TCE de 2005 et qui nous a différenciés du NON de droite et d’extrême droite, et mettons en avant notre projet d’une autre Europe pour un autre monde au service de la paix, des défis sociaux et écologiques.
Intervention sur les candidatures de « chef de file »
Nous avons deux candidatures pour la tête de liste aux européennes, de deux dirigeants nationaux du parti, tous deux membres du CEN. Ce n’est pas un drame, c’est conforme à l’esprit et à la lettre de nos statuts : et pourtant elles n’ont pas été traitées jusqu’à présent à égalité de droits, depuis le premier jour de l’appel à candidatures.
A la manière dont la procédure s’est déroulée, il y a eu une candidature officialisée en interne et vis-à-vis de la presse, avant même que le CEN en ait discuté et que l’instance statutaire qui est le CN ait voté.
Il n’y a pas eu un fonctionnement démocratique normal sur cette question des candidatures. Nous devrions prendre l’engagement que cela ne se reproduise plus. Je suis vraiment heurtée par ce qui s’est passé, parce que ce que la légitimité de la candidature de Frédéric Boccara a été déniée.
Il a été dit : « le choix de la tête de liste ne doit pas être fonction d’un courant de pensée ». Mais nous ne sommes pas dans des débats de courants de pensée, nous sommes dans un débat d’orientation de la campagne des Européennes, et l’intervention que vient de faire Yann Brossat, avec laquelle je suis en désaccord sur le fond, le montre bien.
Le choix de la tête de liste doit aussi tenir compte de la nature de l’élection : l’élection européenne est difficile en soi, et particulièrement pour nous. Elle mobilise principalement les catégories moyennes et politisées de l’électorat, très peu l’électorat populaire, hormis celui du RN. Les effets d’image sur le renouvellement ou la jeunesse risquent de n’avoir que peu d’influence sur les votes. Il serait illusoire de voir se lever en masse le vote des jeunes du seul fait qu’on présenterait un jeune candidat ; d’ailleurs il y a des « vieux » comme Bernie Sanders ou Mélenchon qui ont attiré le vote jeune !
Je soutiens la candidature de Frédéric Boccara pour l’autorité et la solidité que lui donnent un travail politique sur la durée et de fortes convictions sur le projet communiste pour l’Europe.
Sa réflexion approfondie sur les enjeux européens et mondiaux, le réseau dense des relations nouées au cours des luttes dans l’industrie ( Renault, Alstom, General Electric, …), dans la santé, ou au CESE dans des initiatives collectives sur l’écologie ou le financement des PME, sont un gage de solidité pour notre campagne, tant sur le fond que sur l’approche concrète des enjeux européens, telle que la vit le salariat.
On ne peut pas dissocier le choix de la tête de liste du contenu de la campagne, qui ne sera pas exclusivement déterminée par le texte d’orientation, d’autant plus qu’il y a débat à son sujet. La personnalité du candidat compte, elle donnera une tonalité, une coloration à la campagne, et pour cette élection européenne, ma conviction est que nous avons besoin d’une candidature dont l’expérience militante et politique fasse autorité dans le débat public.