Clara Zetkin, la clairvoyance d’une féministe....

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Clara Zetkin et Rosa Luxembourg

Clara Zetkin et Rosa Luxembourg

En cette année riche en mouvements sociaux, Alternatives Economiques remet en lumière le parcours de dix femmes et hommes qui ont passé leur vie à défendre la cause du travail et du socialisme.

Le blog porte à la connaissance de ses lecteurs l'article de Naïr Nahapétian publié dans Alternatives Economiques et consacré à Clara Zetkin.

 

« Elle n’est pas belle, mais il y a en elle quelque chose de fort, qui dépasse la femme. Plutôt petite, elle surprend par la largeur des traits. Ses cheveux sont blonds encore, et de cette espèce de cheveux lourds que ni peigne ni épingles ne peuvent jamais retenir. Le squelette du visage est marqué, puissant. On ne peut pas dans une foule faire autrement que de la voir. »

 

C’est ainsi qu’Aragon décrit Clara Zetkin dans Les cloches de Bâle paru en 1934. L’action se déroule au Congrès de Bâle, une conférence de paix organisée en 1912 par le parti socialiste avant la Première guerre mondiale. Le pacifisme aura marqué le parcours de cette militante socialiste d’origine allemande. Pour autant, cette conviction, qu’elle aura chevillée au corps toute sa vie, sera bien vite oubliée : en 1994, quelques années après la réunification de Berlin, la rue qui portait son nom est rebaptisée car elle est considérée comme une « adepte de la dictature communiste ».

 

Clara Eißner est née en 1857 à Wiederau, en Saxe. Son père, instituteur et organiste protestant, est un sympathisant de la révolution de 1848. Sa mère est féministe. Un atout pour la jeune Clara qui entreprend des études particulièrement poussées pour une femme de son époque, à l’école d’institutrices de Lepizig.

 

Elle travaille comme préceptrice quand elle rencontre Ossip Zetkin, issu d’une famille de commerçants juifs russes. Expulsé d’Allemagne en raison de sa participation au mouvement ouvrier, celui-ci s’installe à Paris en 1882 avec Clara, qui prend son nom bien qu’ils ne soient pas mariés. Ils ont deux fils, Maxim et Costia.

 

Clara décrit alors le concept de la double journée dans une lettre à Karl Kautsky, un ami marxiste :

 

« Je suis couturière, cuisinière, blanchisseuse, etc., bref, bonne à tout faire. En plus, il y a les deux petits voyous qui ne me laissent pas une minute de répit. A peine avais-je tenté de me plonger dans l’étude du caractère de Louise Michel qu’il m’a fallu moucher le n°1 et, à peine m’étais-je assise pour écrire, qu’il a fallu donner la becquée au n°2. »

 

Les femmes ne concurrencent pas les ouvriers

 

En 1889, Ossip Zetkin meurt de la tuberculose. Peu après, le Parti socialiste ouvrier d’Allemagne demande à Clara de préparer le Congrès socialiste international de Paris qui fondera la IIe Internationale, à l’initiative de Friedrich Engels (1).

 

Elle y fera une intervention remarquée sur le travail, qu’elle considère comme une condition essentielle de l’émancipation des femmes grâce à l’indépendance économique qu’elles acquièrent.

 

Cette prise de position, qui n’aurait rien de révolutionnaire aujourd’hui, fait pourtant débat au sein du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle. Les femmes sont perçues comme une concurrence déloyale, entraînant des baisses de salaires.

 

« Ce n’est pas le travail féminin en soi qui, par le jeu de la concurrence, fait baisser les salaires, mais l’exploitation dudit travail par les capitalistes », explique-t-elle lors de la fondation de la IIe Internationale.

 

En 1890, Clara rentre en Allemagne avec ses enfants et s’installe à Sillenbuch où elle travaille comme traductrice avant de diriger la revue féministe et socialiste Die Gleichheit (« l’égalité », en allemand). Elle y publie Henrik Ibsen, Friedrich Nietzsche, Arthur Rimbaud, Rosa Luxembourg…

 

En 1896, elle rencontre le peintre Friedrich Zundel, de 18 ans son cadet, qu’elle épouse en 1899. Le couple mène une vie sociale intense, invitant notamment régulièrement August Bebel et Rosa Luxembourg. Son amitié avec cette dernière, explique Florence Hervé, qui a coordonné l’ouvrage Je veux me battre partout où il y a de la vie (2), lui a permis de « lutter dans un contexte très antiféministe ».

 

Clara milite pour la liberté de choix dans les relations amoureuses, le droit à l’avortement et le droit de vote des femmes. En 1904, elle critique la politique budgétaire allemande qui dépense trois fois plus d’argent pour l’armée que pour l’école. Parallèlement, elle plaide pour une école accessible à tous, mixte et laïque, avec la gratuité des cantines scolaires, la mise en place de l’éducation sexuelle, le développement de l’éducation artistique et pour une école sans châtiments corporels.

 

La création du 8 mars

 

En 1907, Clara Zetkin fonde le Secrétariat international des femmes et en prend la tête. Alors que la majorité du mouvement féministe « bourgeois » revendique un droit de vote limité à certaines catégories sociales, elle milite pour un suffrage direct et universel.

 

En 1910, malgré une forte opposition du Parti social-démocrate allemand, elle propose avec la féministe Käte Duncker que les socialistes de tous les pays, en accord avec les syndicats, organisent chaque année une Journée internationale des femmes.

 

Le 19 mars 1911, plus d’un million de femmes manifestent dans ce cadre en Allemagne, en Autriche, en Suisse, au Danemark et aux Etats-Unis. Ce n’est qu’en 1921 que la Journée internationale des droits des femmes est fixée au 8 mars, en souvenir de la grève des ouvrières du textile de Petrograd en 1917.

 

Après le Congrès de Bâle en 1912, Clara Zetkin entreprend en 1914 un voyage dans différentes villes allemandes pour lutter contre la guerre qui commence. Ses deux fils sont mobilisés, son mari s’engage dans la Croix rouge militaire. Elle distribue un manifeste contre la guerre et des tracts pacifistes qui lui vaudront une peine de prison de quelques mois pour tentative de haute trahison.

 

Après la guerre, sous la république de Weimar, elle est élue députée du Parti communiste d’Allemagne (KPD) de Bade-Wurtemberg et du Reichstag. Mais l’année 1919 sera surtout marquée pour elle par l’assassinat de son amie Rosa Luxembourg par les corps francs, chargés par le ministre Social-démocrate (SPD) de la défense Gustav Noske d’écraser l’insurrection que le député communiste Karl Liebknecht a ­déclenchée.

 

Antifasciste et antiraciste

 

Très tôt, elle alerte contre les dangers du fascisme. Après un voyage en Italie en 1923, elle rédige un long texte où elle rappelle que la terreur y ligote les syndicats, que les salaires y ont drastiquement chuté et que l’aide sociale aux personnes âgées, aux infirmes et aux malades a été supprimée. Clara Zetkin décide de s’installer en Russie. Elle y publie un livre de reportages sur les femmes musulmanes du Caucase.

 

D’après elle, le communisme les a libérées mais le système patriarcal se perpétue. Elle rédige aussi Les guerres impérialistes contre les travailleurs, un texte publié après sa mort, où elle réfute l’idée selon laquelle l’essor de l’industrie des armes aurait des conséquences positives sur l’économie. Les sommes nécessaires aux conflits armés sont en effet prélevées sur les impôts et les taxes. Et la guerre entraîne la misère et la hausse de la mortalité infantile.

 

En 1931, elle participe depuis Moscou à la rédaction d’un projet de loi du KPD revendiquant l’égalité totale des hommes et des femmes face à l’emploi, l’instauration d’un congé maternité ainsi que la dépénalisation de l’avortement.

 

Puis, en mars 1932, elle évoque dans une lettre adressée à Wilhelm Pieck, fondateur du KPD, l’échec de ce parti à « endiguer l’énorme vague nazie ». Les journaux hitlériens épinglent alors la « juive communiste », « la Moscovite »…

 

En 1932, elle prouve une nouvelle fois sa clairvoyance et sa modernité en prenant des positions antiracistes dans un appel du Secours rouge international concernant les Noirs de Scottsboro accusés à tort de viols de prostituées blanches, aux Etats-Unis. Florence Hervé considère qu’elle est une précurseure de la pensée intersectionnelle.

 

Clara Zetkin meurt en 1933 et est enterrée sur la place Rouge.

Je me permets de compléter l'écrit de Naïr Naphabétian, en montrant la portée révolutionnaire de l'engagement de Clara Zetkin pour la création de vrais partis communistes révolutionnaires sur des bases de lutte de classe et de transformation radicale de la société capitaliste telle qu'elle l'explique dans son intervention du 28 décembre 1920, au congrès de Tour où naîtra le Parti Communiste Français.

Jean Chambon

 

Conduite clandestinement par Amédée Dunois et son chauffeur Auguste Mougeot, Clara Zetkin arrive le 27 décembre au soir à Tours.

 

Comme elle l’écrit : « j’étais partie d’Allemagne avec 1% de chances d’arriver à Tours. Si j’ai pu malgré tout accomplir ma mission et revenir sans encombre, c’est à l’aide fraternelle d’amis (…) » et en particulier de Marguerite Thévenet, la compagne d’Alfred Rosmer, et Auguste Mougeot, qui fut son chauffeur.

 

 

Lors de son intervention, elle s’acquitte d’une tâche particulière celle d’imposer la rupture avec Longuet, même si elle ne connaissait pas le télégramme de Zinoviev*.

 

Retranscription du discours de Clara Zetkin

 

"Chers camarades, chers amis, je vous remercie du plus grand cœur de l’accueil fraternel que vous avez bien voulu me faire. Je ne l’accepterai jamais pour ma modeste personne, mais seulement pour l’idée communiste et pour la Révolution internationale à laquelle nous voulons servir tous.

Je vous demande pardon par avance, si je vais, en parlant, écorcher votre belle langue. Je suis tout à fait sûre que votre cœur me pardonnera, parce que vous comprendrez malgré tout le langage de mon cœur, le langage du communisme international révolutionnaire.

Chers camarades, je suis venue ici pour exercer quelques minutes le mandat que l’Exécutif de la Troisième Internationale m’avait confié. Le Gouvernement m’a empêchée de l’exercer dans toute son ampleur, mais j’ai tenu malgré tout à venir ici personnellement pour vous faire voir ce que peut la conviction révolutionnaire contre les mesquineries policières du Gouvernement capitaliste et contre-révolutionnaire. (Applaudissements prolongés)

Chers camarades et amis, je vous apporte les vœux de l’Exécutif de la Troisième Internationale pour le succès des travaux de ce Congrès, parce que l’Exécutif est convaincu de la grande importance historique de l’œuvre de ce Congrès.

J’y ajoute les salutations les plus cordiales, les plus fraternelles de l’Exécutif du Parti Communiste de l’Allemagne et je peux dire de tous les partis communistes de l’Allemagne, et encore l’on peut dire davantage : ces salutations sont dans l’esprit et dans le cœur de tous les prolétariats réellement révolutionnaires qui sont avec vous. Ce ne sont pas seulement les ouvriers communistes, mais tous les militants révolutionnaires de tous les pays qui ont leur attention tendue vers les discussions et surtout vers les résolutions de ce Congrès ; ce sont aussi les anciens majoritaires, les Scheidemann, les Renaudel et les Sembat de tous les pays !

Il en est de même des centristes de tous les pays. Ils attendent avec attention ce que vous allez décider, parce que le jugement que vous allez porter ici sur la politique des majoritaires et sur la politique socialiste sera la condamnation de ces politiques dans tous les pays et principalement en France. C’est là la grande importance des décisions que vous allez voter. Vous n’allez pas écrire ici de l’Histoire, mais vous allez en faire. Ce Congrès est un morceau vivant de l’Histoire, un morceau chair et os de la révolution prolétarienne qui doit venir faire l’émancipation du prolétariat de tous les pays.

Pour que ce Congrès réalise cette œuvre grandiose de l’Histoire, il faut que vous fassiez de la division pour arriver à l’union. II faut faire la division avec le passé, avec la politique réformiste, opportuniste, des majoritaires et des centristes avec leur phraséologie et leur idéologie opportuniste et contre-révolutionnaire, phraséologie des social-patriotes d’un côté et social-pacifistes de l’autre.

 Il faut substituer à cette politique la politique purement révolutionnaire et la lutte de classes du prolétariat.

L’unité du Parti que vous avez à présent n’est pas une forteresse qui décuplera vos forces dans la lutte contre l’ennemi. Cette unité du Parti n’est même pas une maison bien construite dans laquelle vous trouverez les agréments d’une petite vie domestique pour les travaux de réforme ; c’est un bâtiment en ruines, c’est une maison croulante où nos pas en avant sont empêchés par les routines du passé.

C’est une maison où la droite cherche à étouffer la gauche et la gauche cherche à enchaîner la droite. Vous ne pouvez pas faire de l’action politique ni les uns ni les autres. Vous vous empêchez mutuellement de marcher en avant et votre politique se consume et piétine sur place. Pour aller en avant, il faut construire l’unité solide d’un parti centralisé et fortement discipliné, en donnant son adhésion franche et nette à la Troisième Internationale; en formulant l’expression la plus nette de la volonté que vous avez de faire une politique révolutionnaire, au lieu d’une politique de compromission et de honte, une politique de renégats, de faiblesse et d’hésitation : il faut donner votre adhésion pure et simple, nettement, à la Troisième Internationale, pas seulement à ses principes, à sa tactique, mais aussi à ses conditions. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Ces conditions sont nécessaires, pour constituer un parti uni. Il faut dire adieu pour toujours à l’ancienne politique des deux camps qui sont à droite des communistes.

Cette division est absolument nécessaire malgré les douleurs qu’elle vous procurera contre ceux qui se cramponnent à l’idée de pouvoir accomplir l’œuvre émancipatrice de la classe ouvrière avec la bourgeoisie, dite démocratique. Vous ne pouvez pas vous tenir avec eux, car vous avez reconnu les caractères dangereux de cette fantasmagorie bourgeoise. La démocratie est la force la plus parfaite de la domination des classes bourgeoises. Du moment que le prolétariat est encore sous les fers du capitalisme, dans la sphère et la vie économique comme dans la sphère politique, cette démocratie va se démasquer. Est-ce qu’il ne vous apparaît pas que la dictature du prolétariat se heurte non pas seulement aux mensonges, mais à la dictature sanglante, à tous les moyens de force et de violence dont la bourgeoisie dispose encore ! Vous n’avez qu’à opposer force à force, violence à violence. Tous nos efforts au Parlement seront -toujours anéantis par les balles et les mitrailleuses au service de la bourgeoisie. Alors, il faut arriver à la lutte révolutionnaire pour conquérir le pouvoir politique. Et si vous voulez faire cette conquête, vous ne pouvez pas marcher la main dans la main avec les défenseurs d’une politique de trahison et de faiblesse. Si vous voulez faire œuvre commune, révolutionnaire, avec la Troisième Internationale, vous ne pouvez pas suivre la tactique de ceux qui sont allés à Berne pour y commettre la bêtise monstrueuse de vouloir fonder une Internationale Il et demie, et quand ils complotent de consommer cette bêtise par un crime abominable et impardonnable : celui de vouloir constituer une Internationale en opposition avec la Troisième Internationale de Moscou.

Cette Internationale n’est rien qu’une hypocrisie pour arriver au retour de la Deuxième Internationale.

Camarades, il faut choisir ; il faut se séparer nettement de toutes les tendances politiques qui veulent maintenir le prolétariat dans les voies de l’ancienne politique de compromission et d’opportunisme. Il faut, d’un autre côté, faire l’union nationale et internationale avec tous les éléments révolutionnaires communistes, non pas seulement sur le sol de France, mais au-delà des frontières de la France. C’est absolument nécessaire pour arriver à cette union. Le prolétariat français ne doit pas être ramené au règne du capitalisme, à la barbarie. Il doit marcher à la conquête du pouvoir, parce que tous les événements nous démontrent que la vie économique porte les restes hypocrites du capitalisme économique. D’autre part, vous voyez la même impuissance de l’État politique, du capitalisme pour reconstruire la société, l’ordre social sur des bases nouvelles. Pour arriver à la renaissance de la vie économique, de la vie sociale, il faut lancer le peuple, les ouvriers, dans l’Internationale en faisant l’expropriation des expropriateurs. C’est à ce prix seulement que les crimes énormes de la guerre pourront être rachetés. Chers amis, il faut arriver à ce but par la lutte révolutionnaire. L’Histoire ne ·nous montre pas un seul cas d’une classe exploitante et dominante qui ait renoncé volontairement à sa position de pouvoir.

Il n’y a pas d’exemple qu’une classe dominante et exploitante ait renoncé volontairement à sa possession du pouvoir. La bourgeoisie, en France, n’est pas parvenue au pouvoir ; elle ne s’y est pas maintenue par les discours qui furent prononcés. Non ! Ce sont les armées de sans-culottes, combattant aux frontières et au besoin à l’intérieur contre toutes les armées de l’Europe qui ont fondé la liberté politique en France et le pouvoir de la bourgeoisie.

Le prolétariat doit apprendre les leçons de l’Histoire, qui ont été confirmées depuis par la Révolution glorieuse en Russie. Et vous savez que le prolétariat français n’est pas seulement chargé par l’Histoire de faire son émancipation à lui, mais aussi d’accélérer le cours de la révolution en Allemagne, chers camarades, parce que, en Allemagne, la situation est telle que le capitalisme commence à désespérer de pouvoir en finir avec la Révolution par des mesures hypocrites et même par la violence de ses forces militaires.

Le capitalisme allemand met tout son espoir sur l’aide que le capitalisme français veut lui donner. Le capitalisme, en Allemagne, espère arriver à bot1t de la Révolution prolétarienne en faisant la paix avec l’impérialisme français et les forces contre-révolutionnaires.

Chers amis, il serait d’une importance énorme que le prolétariat français, continuant la tradition glorieuse des combats révolutionnaires qu’il a déjà livrés, aidât l’Allemagne ouvrière.

Ce n’est pas, vous le savez, la bourgeoisie allemande qui souffre sous le poids du Traité de Versailles, traité écrit avec du fer et du sang : c’est la classe ouvrière.

Aussi longtemps que le capitalisme possédera le pouvoir en Allemagne, il imposera au prolétariat tous les sacrifices. Le prolétariat allemand n’attend pas une révision de ce traité du côté du capitalisme allemand ni par la grâce du capitalisme français, anglais ou autre. Il n’attend pas non plus la révision de ce traité d’une guerre de revanche, dont rêvent quelques fous national-bolcheviks. C’est seulement la main gigantesque du prolétariat révolutionnaire, soit en France, soit en Allemagne, qui annihilera ce traité et fera un pacte d’humanité, de fraternité et de solidarité révolutionnaire entre les deux peuples.

Et, vous savez, les ouvriers allemands sont tous prêts, faisant un devoir sacré, à s’unir aux ouvriers et aux paysans révolutionnaires de France pour reconstruire le nord de la France et la Belgique dévastés par des barbaries sans nom ; mais ils se refusent à contribuer à cette œuvre au profit d’une poignée de richards, de millionnaires. De milliardaires en deçà et au-delà du Rhin. Ils veulent faire cette œuvre, sacrée de réparation la main dans la main avec les prolétaires français.

Les crimes de la guerre ont détruit ou au moins menacé les plus beaux documents historiques que la culture ait laissés dans les belles architectures de Reims et d’autres villes. Mais une union entre les génies des deux races va créer à l’avenir une œuvre encore plus durable que toutes les cathédrales du monde, aussi belles qu’elles soient. Cette union doit édifier le grand et solide édifice, le temple resplendissant de l’entente sociale communiste où il n’y a plus d’exploités ou d’exploiteurs, plus de maîtres ni d’esclaves, mais seulement des ouvriers travaillant librement au bien-être et à la culture de l’Humanité.

Du reste, chers camarades, je profite de l’occasion pour vous dire que je condamne les crimes de l’invasion allemande en Belgique et dans le nord de la France. Mais j’ai été étonnée que les mêmes personnes qui stigmatisent ces crimes se soient tues dans toutes les langues lorsque les hordes de la Pologne blanche ont détruit, à Kiev, l’ancienne cathédrale, un monument historique et artistique de la même valeur que la cathédrale de Reims pour la culture et l’art français.

N’oubliez pas que cela a été fait grâce à l’or français et grâce à l’appui que la démocratie a donné aux hordes de la Pologne blanche, à tous les Denikine et Koltchak. Ah ! Vous vous séparerez  nettement de la politique du passé pour vous placer sur le terrain révolutionnaire de la lutte des classes, pour en faire une tâche historique. C’est vrai ! c’est nécessaire. Par votre action révolutionnaire, empêchez les capitalistes et les impérialistes français de rassembler les contre-révolutionnaires de tous les pays contre le seul pays de la Révolution : contre la Russie.

On vous dit que la Russie bolchevik veut la guerre. Oh ! non, la Russie révolutionnaire ne veut rien que la paix. Elle connaît tout le malheur d’être forcée, par les contre-révolutionnaires de tous les pays, – depuis les contre-révolutionnaires français jusqu’aux contre-révolutionnaires allemands, – de gaspiller ses meilleures forces dans des actions militaires au lieu de les mettre à la reconstruction de l’ordre social, un ordre social plus élevé, plus pur et plus haut de· culture.

Depuis des années, la Russie révolutionnaire a été livrée par vos gouvernants, par vos dirigeants, à des souffrances atroces. Elle a été séparée des sources vivantes de la vie économique ;  elle a été livrée à tous les crimes de la contre-révolution. Les armées de Youdenitch, de Koltchak, de Denikine, de Wrangel se sont conduites en Russie comme si elles étaient de simples armées allemandes faisant l’invasion de la Belgique et du nord de la France ; elles y ont commis les mêmes crimes.

Le prolétariat russe, malgré toutes les souffrances, en supportant la faim, le froid, est tout à fait résolu à mener la lutte révolutionnaire jusqu’à la fin. C’est là le grand fait, dont l’importance est énorme, de cette lutte héroïque et martyre que le prolétariat russe continue. Il faut que la lutte révolutionnaire continue, non pas seulement pour sauver la Russie soviétiste. Nous devons soutenir la Révolution jusqu’à ce que nos frères, en Allemagne, en France, en Angleterre, partout, soient arrivés à leur Révolution, à leur émancipation intégrale aussi.

Les prolétaires russes supportent le martyre, non pas apathiquement, comme on vous le raconte, ce sont des légendes, mais d’une manière voulue. C’est une volonté arrêtée, révolutionnaire, qui est tout à fait internationale : la foi dans la solidarité de tous les exploités du monde, la foi dans la Révolution mondiale, chez le peuple russe, est une nouvelle religion.

Et lorsqu’on est témoin de la façon fougueuse avec laquelle les ouvriers russes embrassent l’idéal de l’internationalité des prolétaires, on se sent humilié, on se sent honteux devant ces humbles en pensant que les ouvriers, en Allemagne, en France, en Angleterre, n’ont pas fait leur devoir révolutionnaire jusqu’à présent. (Applaudissements.)

Chers amis, il est temps encore que la classe ouvrière, en France, comme la classe ouvrière d’Allemagne, ne trahisse pas une autre fois la Révolution en Russie. Les contre-révolutionnaires de tous les pays, guidés par les impérialistes français préparent une nouvelle série de guerres contre la Russie révolutionnaire. Les prolétaires de tous les pays, avec tous les moyens à leur portée, avec des moyens légaux et illégaux s’il le faut, doivent défendre la Révolution russe ; ils défendent en même temps leur Révolution à eux.

Chers amis, ce Congrès peut faire les préliminaires pour l’accomplissement de cette union internationale sacrée, en constituant un parti uni, communiste, centralisé, discipliné, qui rejette pour toujours toute compromission avec les anciens partis de la politique.

Il faut faire peau neuve ; il ne faut pas seulement confesser par les livres la Troisième Internationale le communisme n’oblige pas seulement les prolétaires français à traduire sur le papier la Révolution ; il faut des actes révolutionnaires.

Camarades, ce serait la tâche de ce Congrès de constituer ce parti et de grouper ce parti, sans réserve, sans restriction, autour de la bannière de la Troisième Internationale.

Le prolétariat français a été poussé par la tactique de trahisons et de faiblesses jusqu’à présent dans l’arrière-plan de la Révolution. Il est temps qu’il se place avec le prolétariat russe.

Faites l’union nationale et internationale avec la Troisième Internationale !

Vive le Congrès de Tours, qui fera cette œuvre révolutionnaire !

Vive le prolétariat révolutionnaire français !

Vive le prolétariat communiste de tous les pays !

Vive la Révolution en Russie !

Vive la Révolution prolétarienne, qui va détruire le monde capitaliste et donner libre accès à la venue de notre communisme !"

 

Le Congrès, debout, fait alors une ovation à Clara Zetkin et chante l’Internationale.

 

*Au congrès de Tours, Longuet joue un rôle central. Partisan d'adhérer à la Troisième Internationale, il n'accepte cependant pas les 21 conditions fixées par Lénine et entend notamment maintenir l'unité des socialistes français. Il se trouve « au centre » du congrès, entre les partisans majoritaires d'une transformation de la SFIO en parti communiste, et les « reconstructeurs » de l'aile droite, avec notamment Léon Blum. Pourtant, au 3ème jour du congrès, le « télégramme Zinoviev », président de l'Internationale communiste, incite les majoritaires à condamner tous les modérés, y compris Longuet, qualifié d'« agent déterminé de l’influence bourgeoise sur le prolétariat ». Indigné, celui-ci n'a plus que le choix de rester dans la « vieille maison » socialiste.

Publié dans Histoire, PCF, Parti Socialiste

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