Intervention d'Evelyne Ternant au CN du PCF du 15 occtobre
La politique industrielle a été pendant longtemps un mot « tabou » dans les conceptions libérales de l’Union Européenne (UE). La politique de la concurrence était censée remplir toutes les fonctions, stimuler les innovations et récompenser les meilleures, garder sur le territoire européen les productions nobles, à haute valeur ajoutée et non polluantes, démontrer l’efficacité supérieure du marché.
Sous le choc des pénuries et de l’inflation, les dirigeants européens ont été mis devant le fait accompli d’une dépendance extérieure pour des biens qui constituent la base des processus industriels et de la transition écologique.
Par ailleurs, le plan Biden IRA (Inflation Reduction Act, )de subventionnement massif de «l’industrie verte», associé aux sanctions contre la Chine, imposées à l’UE au nom du principe impérialiste d’extraterritorialité, et au privilège du dollar, font peser un risque de décrochage industriel, qui a fini par être perçu, même par les plus obtus des libéraux.
Dans ce contexte, il y a changement de pied important de l’UE sur l’industrie, dont il faut prendre la mesure. Il y a désormais un plan « industrie 0 émission nette », des plans sectoriels de développement, et surtout une évolution importante sur le subventionnement direct des entreprises par le états, qui tombait régulièrement sous le couperet de la « concurrence libre et non faussée ».
Les Etats européens sont désormais autorisés à financer sans limitation les entreprises qui produisent des technologies manquantes ou en lien avec la transition écologique. Ils sont même autorisés officiellement à aligner leurs subventions sur celles de « l’extérieur » -entendons principalement les Etats-Unis-, pour le plus grand intérêt du capital multinational, qui a toute latitude pour mettre aux enchères ses implantations.
C’est ainsi que la firme américaine Intel vient d’imposer à l’Allemagne de relever la subvention initialement prévue à 6,8 milliards d’euros à 9,9 milliards pour implanter une usine de semi-conducteurs.
De même, Bruno Le Maire a sorti le carnet de chèques pour la nouvelle implantation de STM-electronics à Crolles, en Isère, en partenariat avec la fonderie américaine Globalfoundrie, pour produire également des semi-conducteurs. Le financement public sera de 2,9 milliard pour un investissement de 7,5 milliards.
En un sens, les états retrouvent de la souveraineté nationale pour développer leur industrie : mais pour qui, pour quoi, et avec quels effets ?
1-Une concurrence accrue entre les états pour attirer les capitaux, ce qui renforce le les inégalités territoriales au sein de l’Europe, entre les états riches qui peuvent arroser et les autres. Le fractionnement géographique actuel de l’Europe, où l’industrie est concentrée sur l’Europe du Nord et de l’Est, et où l’Europe du Sud subit une désindustrialisation accélérée ne peut que s‘accentuer.
2-L’abence de reconstitution de filières industrielles. Il y aura seulement des niches décidées par les multinationales, avec leurs critères capitalistes contre l’emploi et la formation, et la coexistence à l’échelle européenne de doublons en concurrence et de « trous dans la raquette ».
3-L’abandon d’une perspective de financements mutualisés à l’échelle européenne, en particulier ceux de la BCE, les seuls à même de répondre à l’ampleur des besoins. Le financement par les états se heurtera forcément aux limites du prélèvement fiscal, même en supposant une réforme progressiste.
La notion de « souveraineté nationale industrielle » pose problème au regard de la nouvelle industrialisation que nous portons, et de ses trois dimensions :
1-une démarche de planification démocratique et décentralisée qui parte des besoins et des projets des territoires. Il s’agit de la souveraineté des salariés et des citoyens sur les choix des entreprises.
2-une coordination de ces propositions à l’échelle européenne pour construire ou reconstruire des filières industrielles cohérentes dans le cadre de coopérations, par exemple dans les pompes à chaleur, les petits réacteurs nucléaires SMR, etc…Il s’agit en fait de disposer à l’échelle nationale de « briques » ou de « segments » stratégiques pour construire des coopérations à égalité, en Europe et au-delà.
3-La question du financement qui, pour échapper aux marchés financiers et aux limites du financement par l’impôt, passe par la création monétaire de la BCE.
Attention à ne pas affaiblir l’ambition d’une nouvelle industrialisation dans le cadre étroit, décalé et largement illusoire d’une souveraineté nationale, car notre combat est celui de la souveraineté populaire à tous les niveaux, local, national et européen.