Lénine, un moment de marxisme vivant par Frédéric Boccara

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Il y a cent ans, le 21 janvier 1924, Lénine disparaissait. Pour Économie&Politique, son œuvre n’est pas un simple héritage. Elle a été un moment majeur du marxisme vivant, non seulement par l’action du grand révolutionnaire russe, mais aussi par la profondeur de son œuvre théorique, en particulier dans le domaine économique auquel il a consacré une grande part de ses travaux. Frédéric Boccara rappelle dans les lignes qui suivent en quoi le dialogue avec cette œuvre a nourri et continue de nourrir la réflexion économique au sein du PCF et de l’école marxiste de la régulation systémique fondée par Paul Boccara.

 

"Lénine était un grand révolutionnaire, un homme politique, c’était aussi un économiste marxiste authentique qui a marqué les débats économiques et la pensée de son temps. Ce capitalisme était alors en crise profonde (« systémique » dirions-nous aujourd’hui), et Lénine a aussi utilisé les travaux des marxistes contemporains, tout particulièrement Hilferding, avec son concept de « capital financier ». L’analyse de Lénine est très dialectique et politique.

 

Cependant, s’il a créé la formule de « capitaliste monopoliste d’Etat (CME) », c’est resté dans ses travaux largement une formule, il n’est pas allé jusqu’à en proposer une théorie et une analyse rigoureuse. Ces limites s’expliquent en grande partie par l’insuffisant développement du capitalisme que Lénine a pu observer, entrant en crise profonde sans avoir trouvé le régime de sortie de crise qu’il trouvera ensuite après la seconde guerre mondiale. Cela s’explique aussi par son accaparement par la lutte politique immédiate, mais aussi encore par les besoin de simplification, parfois à l’outrance, liés à la fameuse « arriération russe », dont il a souffert et dont, d’une certaine façon l’ensemble du mouvement communisme et du marxisme a pu souffrir après lui.

 

Proposer une théorie rigoureuse du CME, c’est précisément ce que Paul Boccara a fait. Contestant les analyses ossifiées des soviétiques des années 1960 prétendant que le capitalisme serait dans une « crise permanente », ce qui était en contradiction flagrante avec les faits, il montre alors que le CME a permis une issue réelle, effective, à la crise de l’entre-deux guerres. Mais Paul Boccara en montre aussi le caractère profondément capitaliste et tout de suite après propose une analyse de la crise du capitalisme monopoliste d’État, dès le tournant fin des années 1960-début des années 1970 ― une crise caractérisée d’abord comme « structurelle », puis comme « systémique radicale »[1] ― en même temps qu’une analyse de la régulation du capitalisme par le taux de profit.

 

Trois articles de Paul Boccara, publiés dans Économie&Politique sous le titre général « Pour une révolution dans la révolution théorique marxiste », au moment de la chute du système soviétique, portent une attention particulière à l’œuvre de Lénine sous l’angle des interrogations politiques qui s’imposaient à la fin du siècle dernier, et qui restent aujourd’hui largement d’actualité.

 

On trouvera également ici, présenté par Catherine Mills, un extrait de son ouvrage théorique fondamental sur les crises, qui articule et distingue cycle moyen (« de la conjoncture », tous les 8 à 12 ans) et cycle long, de type Kondratiev (cinquantenaire) dont il propose une théorie. Paul Boccara y passe en revue les apports et limites à l’analyse des crises d’un très grand nombre d’économistes de toutes écoles de pensée. Le texte qui suit est un extrait où il insiste sur Lénine, même en si d’autres endroits de son ouvrage (en deux livres) il aborde d’autres aspects de Lénine.

 

Cela n’empêche pas Paul de se démarquer de Lénine, et de le critiquer fortement, concernant sa conception de l’Etat, de la politique mais aussi de la relation entre l’économie et « l’anthroponomie »[2].

 

En particulier, le projet politique majeur élaboré par Paul Boccara d’une « Sécurité d’emploi ou de formation » est au cœur de ce que nous pourrions appeler un socialisme du XXIe siècle. Il donne une importance considérable au développement de chaque personne ― par le rôle clé donné à la formation, donc au développement de soi ― et de ce fait dépasse une certaine vision léniniste qui a tendance à ramener les êtres humains à être surtout un rouage de la société, vue comme un grand ensemble. La formation est en effet, dans une vision dialectique, à la fois un facteur d’efficacité sociale et d’apport à la société, mais aussi un apport singulier à chaque personne humaine, avec son originalité, ses aspirations, sa capacité d’émancipation.

 

Il insistait sur l’absolue nécessité de développer le champ des activités libres, non réduites au travail tout en soulignant l’exigence incontournable d’une dialectique au niveau de toute la société entre la « nécessité » du travail et le « royaume de la liberté » des activités libres, jusqu’à penser un dépassement possible du travail lui-même comme catégorie dans un avenir lointain.

 

Paul Boccara était ainsi à la fois un grand connaisseur et admirateur de Lénine et un très rude critique de celui-ci, critique au sens marxiste du terme, pour le dépasser dans des conditions historiques différentes. Il insistait sans cesse sur l’occultation des apports originaux de Marx dans le mouvement communiste, et aussi par Lénine qui, en outre, n’a pas eu accès à nombre d’écrits fondamentaux de Marx comme l’Idéologie allemande."

 

[1] En lien avec la mise en cause du système, mais aussi avec la radicalité des transformations des opérations fondamentales du système, comme la révolution informationnelle qui transforme profondément la production… et la re-génération anthroponomique, ou comme la révolution de maîtrise de la fécondité et de longévité

 

[2] Terme créé par Paul qui désigne la re-génération des êtres humains et de leur société par distinction avec l’économie qui, elle, désigne la reproduction des produits matériels. Dans la vie réelle économie et anthroponomie s’entrecroisent. Cela permet articulation entre exploitation et aliénation.

 

Frédéric BOCCARA  Economiste, membre du comité exécutif national du PCF

Article publié dans Economie&Politique

 

https://www.economie-et-politique.org/2024/01/19/lenine-un-moment-de-marxisme-vivant/?fbclid=IwAR2nt_EtZPo18ESimzbprElLyKasVR_FDE-rbKapiEeFrIAcBNzxRHLx7iE

Publié dans Histoire, Economie, Marxisme

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