Prix planchers agricoles garantis : pousser jusqu'au bout la démarche afin de prendre au mot Macron

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Le principe des prix planchers, lancé par Macron au salon de l'agriculture, agite la classe politique. Comment instaurer ce mécanisme ? Quelle modification de la PAC en Europe ? Comment revenir sur la dérégulation des politiques agricoles communes à l’œuvre depuis trente ans ?

 

Le "on veut vivre dignement de notre travail" exigé par les agriculteurs en lutte depuis deux mois, a pris une telle force que Macron a du reprendre l'idée des prix planchers portée depuis plus de 15 ans, par André Chassaigne député communiste. Les communistes, à l’origine du combat législatif sur le sujet, savourent donc une forme de victoire idéologique lors de leur visite au salon.

 

« André Chassaigne, c’est le père des prix planchers », a souligné Fabien Roussel, en déambulant au salon aux côtés du député du Puy-de-Dôme. « En 20 ans, j’ai déposé trois projets de loi en ce sens. On m’a traité de bolchevique », ironise le président du groupe GDR, qui appelle aussi à contrôler les marges de la grande distribution.

 

Aussitôt, certains ministres ont tenté de contredire le chef de l’État, d’autres veulent réécrire la copie, certains pour éluder le sujet reviennent en force sur la question des normes… la réflexion de Macron sur la nécessité d’instaurer des prix planchers pour les productions agricoles, lors de sa visite chahutée du salon de l’agriculture, a touché juste jusqu'à créer la confusion et le trouble dans le gouvernement.

 

Pris de court, le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, n’a pas hésité à rappeler son refus des prix planchers auxquels il s’oppose depuis des mois. De son côté, le ministre des finances, Bruno Le Maire, a essayé d’élaborer à la va-vite un compromis : il propose de travailler « sur des indicateurs de prix, filière par filière » afin de comprendre la construction des prix et de s’assurer que les producteurs touchent une rémunération conforme à leur travail. Une énième version de la loi Egalim, en quelque sorte, dont l’échec est patent. Mais même adoucie, cette proposition a été accueillie fraîchement comme l’idée des prix minimum d’achat par certaines filières, notamment les céréaliers.

 

« Nous avons vu que le président Macron a eu une révélation la semaine dernière, tant mieux » ironise la député de gauche Aurélie Trouvé. Les prix planchers pour les productions agricoles, les députés de gauche en parlent depuis longtemps comme le rappelait André Chassaigne lors de sa venue au salon de l'agriculture. Mais le gouvernement et la majorité ont repoussé chaque fois la proposition.

 

Mais il n’y a pas que le gouvernement qui chavire sur cette question. Bardella tête de liste du RN, a fait un tête-à-queue en se disant opposé aux prix planchers qui, selon lui, ne peuvent amener « qu’une trappe à pauvreté ». Cette volte-face laisse sans voix : depuis dix ans, le RN défend les prix planchers. À chaque campagne présidentielle, cette proposition, volée à la gauche, est inscrite dans le programme de Marine Le Pen. Pourquoi Bardella a-t-il décidé un tel revirement programmatique ?

 

Tandis que les politiques débattent sur le principe des prix planchers, les acteurs du monde agricole s’interrogent. L’objectif revendiqué par tous de garantir un revenu décent aux agriculteurs, pose de multiples questions pour y parvenir. « De quoi parle-t-on exactement ? » se demande Thierry Pouch, chef économiste dans les chambres d’agriculture. Cela ouvre un abîme de questions. « S’agit-il de prix planchers pour toutes les productions ? Pour certaines ? Comment seront déterminés les prix ? Selon les filières ? Par l’État ? Prendra-t-on en compte les spécificités selon les territoires ? »

 

La Confédération paysanne qui défend le principe des prix planchers a avancé un mode de calcul précis. Le prix minimum d’achat devrait, selon elle, être élaboré en tenant compte des coûts de production, de la rémunération des agriculteurs, et aussi de la protection sociale. Elle propose que ce prix soit calculé en fonction d’une moyenne selon les produits, en prenant en compte les conditions de production selon la situation géographique : le lait de montagne n’ayant par exemple pas les mêmes coûts de production que celui des plaines. Afin d’éviter le détournement des mécanismes de protection, la Confédération paysanne demande aussi l’instauration d’un prix minimum d’achat à l’entrée sur le territoire.

 

La ministre Agnès Pannier-Runacher a avancé l’idée devant les députés d’élaborer des grilles de prix « construits avec les producteurs et l’ensemble de la filière, connectés à l’économie et la réalité des marchés, qui protègent nos exportations ». Ce qui a fait dire à un connaisseur du monde agricole : « Ils sont acculés. Mais tout cela n’est que de l’esbroufe, de la poudre aux yeux. On risque d’avoir des demi-mesures sans aucune portée ».

 

Comme l'a rappelé la délégation communiste en visite au salon, cette nouvelle politique tant attendue par les agriculteurs nécessite de revoir la Politique Agricole Commune à l'échelle européenne. L’agriculture est la plus ancienne et la plus importante politique commune, mais qui a été complètement tordue par les règles du marché unique et de la concurrence qui s’imposent aux 27 États membres.

 

Il y a donc besoin de réfléchir à des mécanismes européens qui instaurent des prix d’achat garantis pour les productions agricoles dans toute l'Union Européenne ce qui implique que les prix ne soient plus fixés par les marchés mais par les politiques dans les Etats et à l'échelle de l'Europe. Cela répondrait à l'exigence des agriculteurs européens dont le malaise est général. Depuis des semaines, les agriculteurs manifestent partout en Europe, en Allemagne, en Belgique, en Roumanie, en Espagne, au Portugal, en Pologne. Leurs revendications sont identiques dans toute l’Europe. C'est leur force qui met frontalement en cause le néolibéralisme en agriculture dont la Commission Européenne est la gardienne.

 

Tous soulignent la destruction de leurs revenus par des prix de vente inférieurs à leurs coûts de production, la concurrence déloyale, l’absence de clauses miroirs dans les accords de libre-échange, le Pacte vert et la bureaucratie européenne. Le 26 février, ils étaient encore plusieurs milliers, venus de toute l’Europe pour manifester sous les fenêtres du parlement européen à Bruxelles, alors que les ministres de l’agriculture des États membres s’étaient réunis en urgence pour demander à la Commission européenne de revoir la nouvelle politique agricole commune.

 

Pas question cependant d’acter l’échec de ces politiques menées depuis trente ans, de changer de logiciel ou même de reconnaître des dysfonctionnements. Tout juste parle-t-on d’aménagements. Mais c'est une fausse route qui va les conduire droit dans le mur !

 

Comme l’a fait la France pour tenter de calmer la colère des agriculteurs, il y a quelques semaines, les États membres proposent surtout pour l’instant d’alléger les normes, les règlements, les contrôles (mise en jachère, couverture des sols, dispositifs d’aide) et de remettre en cause les dispositifs de lutte contre les dérèglements climatiques. Mais aucune mesure structurante n’a été prise. Les clauses pour lutter contre la concurrence déloyale, les mécanismes pour protéger les revenus des agriculteurs déstabilisés par les importations ukrainiennes massives (volailles, œufs, céréales) libres de droit de douane pour soutenir Kiev, la transformation de la PAC ou même l'instauration de clauses miroirs pour les importations agricoles ont été repoussées à plus tard. La Commission européenne est censée présenter des propositions, sans doute bien après les élections européennes. Ce sont les mobilisations qui feront accélérer l'agenda !

 

Des mécanismes d’intervention inopérants

 

Comme le rappelle Martine Orange dans un article publié par Médiapart, "Des dispositifs de protection d’urgence existent bien pourtant, qui s’apparentent à des prix planchers au niveau européen : ce sont les prix d’intervention, censés protéger contre la chute des cours." Ce mécanisme permet de lutter contre un effondrement des prix agricoles : en cas de cours trop bas de certaines productions (viandes bovines, lait, céréales), la direction générale agricole peut procéder à des achats massifs et des stockages afin de réguler les marchés et protéger les revenus des producteurs. "Mais elle a rendu le dispositif inopérant" précise Martine Orange.

 

Les prix d’intervention n’ont jamais été réévalués depuis 2010. Ils sont désormais sans réalité avec le contexte économique des marchés. Le prix d’intervention pour les céréales est ainsi fixé à 101 euros la tonne contre 202 dollars la tonne aux États-Unis, alors que le cours du blé évolue entre 570 et 590 dollars en ce moment à Chicago. Le prix pour la poudre de lait est à 1 700 euros la tonne (les cours évoluent autour de 2 300 et 2 700 euros la tonne).

 

« Compte tenu des coûts de la transformation, ce prix d’intervention correspond à un prix autour de 220 euros les 1 000 litres de lait, alors que les coûts de production en France sont entre 350 et 400 euros », explique un connaisseur des dossiers agricoles. Autant dire qu’ils sont faits pour ne jamais être mis en œuvre.

 

Alors que la révision des prix d’intervention était de la responsabilité du parlement européen, l’Allemagne, en invoquant une décision de sa cour constitutionnelle de Karlsruhe, a obtenu une modification du traité : c’est désormais le conseil des États membres, là où Berlin est assuré d’avoir toujours la main pour faire respecter ses règles d’or d’austérité budgétaire, qui fixe les prix d’intervention. Conséquence : ils ne sont jamais évoqués.

 

En 2020, le parlement européen a voté un élargissement de la liste des productions pouvant bénéficier des prix d’intervention pour y inclure le mouton, le porc, la volaille et le sucre. Mais cette proposition a été enterrée par la Commission, rétive à toute régulation. « La faute en revient à la France : Julien Denormandie [ministre de l’agriculture de 2020 à 2022-ndlr] ne s’est jamais battu pour faire évoluer les choses, quoi qu’il en dise » raconte un familier des arcanes européennes.

 

« Avec le Brexit, les choses ont pourtant changé. Il y a un axe pays du Sud-pays de l’Est favorable à un retour à la régulation. Et ils sont majoritaires. Mais la France n’a jamais voulu en prendre la direction et s’affirmer comme une puissance agricole. Emmanuel Macron n’a fait que procrastiner », poursuit-il.

 

Le refus des dispositifs de protection en matière d’agriculture, signifie le refus de mettre en cause la dérégulation mise en œuvre depuis 30 ans. «  Il ne peut pas y avoir de prix planchers ou de protection des revenus agricoles sans maîtrise de l’offre » explique un expert du monde agricole. « Avec les prix planchers,  il faut accepter de revenir à la régulation des productions » poursuit Thierry Pouch.

 

Ce simple mot fait frémir la Commission et nombre de libéraux responsables politiques. Ignorant le fonctionnement des marchés agricoles par nature chaotiques, ils continuent de croire aux vertus de la « main invisible du marché » et de la « libre concurrence ». Renouer avec les principes de l’ancienne PAC, celle d’avant 1992, est considéré comme impossible, un recul insupportable.

 

Comme le remarque Martine Orange : "L’Europe est pourtant le dernier continent à maintenir ouverts à tous les vents, sans aucune protection, ses marchés agricoles. Aux États-Unis, le Congrès discute et fixe tous les cinq ans les prix de référence pour les principales productions agricoles. Ces seuils déterminent les mécanismes d’aide et de subventions versées par le gouvernement américain pour maintenir le revenu des agriculteurs. Des systèmes de péréquation sont élaborés. La planification et la régulation y sont admises." Embarrassés par l’exemple de ce pays, les responsables européens préfèrent le passer sous silence.

 

La lutte de l’ensemble du monde agricole européen n'est pas prête de s’éteindre. Et les demi-mesures avancées ici et là risquent d’être sans effet. Comme le rappelle André Chassaigne : "Il y a trois urgences : garantir des prix planchers, revoir toute la PAC." Et il rajoute : « Mettre des prix planchers sans sortir de la concurrence tirera les prix vers le bas. Les prix planchers, cela implique de sortir des accords de libre-échange. Si on ne les bouscule pas, on n’aura pas de résultat »

 

Sources : Médiapart - Humanité - PCF

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