Benyamin Netanyahou est un criminel de guerre...
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à la Knesset, à Jérusalem le 20 mai 2024. © REUTERS/ Ronen Zvulun
Spécialiste du droit international, l‘avocat Johann Soufi analyse, pour l‘Humanité, la démarche du procureur de la CPI, Karim Khan.
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) vient de demander à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d‘arrêt contre Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense ainsi que trois responsables du Hamas. Sa démarche vous a-t-elle surpris ?
On savait depuis plusieurs semaines, grâce à des fuites, que le procureur examinait la possibilité de tels mandats d‘arrêt. Mais on ignorait où il en était. En faisant cette annonce publiquement, Karim Khan neutralise les pressions qui, depuis le début, pèsent sur cette procédure. Cette annonce met fin à une pratique qui, jusqu’à présent, consistait à attendre que les mandats d‘arrêt soient émis pour communiquer.
Et sur le fond ?
On parle d‘extermination, de crimes contre l‘humanité, de persécutions, d‘actes inhumains. On accuse les dirigeants israéliens d‘affamer délibérément des civils. Les qualifications retenues sont extrêmement larges, on est à la limite du génocide.
Karim Khan a tenu à préciser que, pour forger sa décision, il avait procédé à une analyse globale et consulté les plus éminents juristes – parmi lesquels Amal Clooney ou Theodor Meron. La communauté internationale est donc avertie. Il reviendra aux juges de la Chambre préliminaire, à présent, d’examiner plus précisément sa requête.
Quelle est leur marge de manœuvre ?
Ces trois juges, qui se prononcent chacun en leur nom propre, ne refont pas l’enquête. Ils étudient la requête du procureur – probablement des centaines de pages – et vérifient si les preuves rapportées correspondent aux qualificatifs retenus. Cela peut prendre un ou deux mois, mais pas davantage. Le cas échéant, les magistrats peuvent écarter des accusations ou procéder à des requalifications.
En 2009, la Chambre préliminaire a ainsi accepté de délivrer un mandat d’arrêt pour « crimes conte l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre du président du Soudan Omar el-Béchir, mais a refusé de le poursuivre pour « génocide », comme le souhaitait le procureur. Il y a donc une certaine marge de manœuvre mais, de mémoire, jamais une Chambre préliminaire n’a refusé de délivrer un mandat d’arrêt que lui réclamait le procureur.
Quelles seront les conséquences de ces mandats d’arrêt ?
Pour les intéressés, d’abord : même s’ils ne sont pas arrêtés immédiatement, même s’il ne faut pas espérer un procès avant longtemps, leur avenir politique est désormais bloqué. Regardez Vladimir Poutine : il a pu aller en Chine, certes, mais il ne s’est pas rendu à l’assemblée générale de l’ONU, il ne voyage pas en Europe, il n’a pas participé à la réunion des Brics à Johannesburg, il ne sera pas présent aux cérémonies du 6 juin en France. Trop risqué.
Car lorsqu’un mandat d’arrêt est délivré par la CPI, les États parties ne doivent pas se contenter d’être passifs, ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il soit exécuté. Il y a une obligation d’agir. Cela passe par des pressions politiques, par des sanctions économiques. Le but, c’est que le criminel soit arrêté et jugé.
Une fois délivré, un mandat d’arrêt peut-il être levé ?
Non. Les faits ont été commis, ils doivent être jugés. Il y a cependant deux hypothèses dans lesquelles un mandat d’arrêt peut prendre fin. La première, c’est que la personne visée décède. La deuxième, c’est qu’elle puisse prouver qu’elle a fait l’objet, pour les faits qui lui sont reprochés, d’un procès juste, équitable et impartial.
Je doute que Benyamin Netanyahou soit jamais jugé, en Israël, pour les faits dont il est aujourd’hui accusé. Il faudra donc, comme les quatre autres responsables visés par la requête, qu’il soit un jour traduit devant la Cour pénale internationale.
Comment les États-Unis vont-ils réagir ?
Les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, ils ne sont donc pas tenus de mettre à exécution les mandats qu’elle délivre. Mais ça devient très compliqué, pour Joe Biden, de figurer sur la même photo que Benyamin Netanyahou. Aux yeux de la communauté internationale, c’est officiel, il est un criminel de guerre.
Parallèlement à ces poursuites, qui visent des personnes physiques, l’État d’Israël est aussi mis en cause devant la Cour internationale de justice (CIJ). Ces deux procédures s’articulent-elles ?
Non. Ces instances et ces procédures sont totalement indépendantes les unes des autres. Mais réclamer l’arrestation de Benyamin Netanyahou n’est pas neutre. Cela ne peut que renforcer l’analyse, déjà faite par les juges de la CIJ, d’une volonté génocidaire d’Israël à l’égard du peuple palestinien.
Elisabeth Fleury Interview publié dans l'Humanité