L'accord du 17 mai entre le régime libanais et l'entité sioniste : Causes, objectifs et comment il a été renversé Dr. Marie Nassif-Debs (*)
Nous publions sur ce blog l'article que nous a transmis Marie Nassif-Debs sur "l'accord de la honte" de 1983, entre le régime libanais de l'époque et Israël qui occupait le Liban, avec la bénédiction du représentant de l'impérialisme américain,
"Le 15 janvier 1983, Al-Amal, le porte-parole du parti phalangiste libanais, publie une déclaration de Fadi Ephrem, chef des Forces libanaises, dénonçant les « mains communistes" et la tentative du parti "de faire échouer le plan de paix élaboré pour le Liban »... Fadi Ephrem faisait référence non seulement au rôle du Parti Communiste libanais (PCL) dans le lancement du « Front de résistance patriotique libanaise » (FRPL), mais aussi aux opérations qualitatives qu'il a menées depuis le 20 septembre 1982 (1), d'abord à Beyrouth, puis dans la montagne et la Bekaa, notamment sur la route Beyrouth-Saïda, la « piste Ho Chi Minh », comme l'ont appelée les soldats de l'occupation sioniste après ce qui s'est passé avec les forces américaines d'invasion au Viêt Nam.
Ces opérations, ainsi que d'autres menées par les partis de la résistance nationale, ont montré que les forces écrasantes du peuple libanais rejettent l'occupation et ses collaborateurs, qu'elles libéreront chaque centimètre du sol national et qu'elles ne permettront pas à l'ennemi sioniste d'atteindre son objectif, à savoir les "négociations de paix" qui ont débuté le 28 septembre 1982 dans la région de Khaldeh, près de la capitale, et se sont ensuite déplacées pendant près de huit mois entre Khaldeh et Kiryat Shmona, sous la supervision du secrétaire d'État américain de l'époque, George Shultz, et en présence de son ambassadeur, Maurice Draper.
À cette époque, les opérations de résistance, comme mentionné ci-dessus, hantaient les soldats sionistes et troublaient leur sommeil, malgré les arrestations massives de citoyens libanais et de réfugiés palestiniens, les massacres qui n'ont pas cessé après les massacres de Sabra et Chatila, et les liquidations physiques qui ont touché des centaines de personnes. Des responsables du Parti communiste libanais et de l'Organisation d'action communiste ont été actifs avec certains des anciens partis du "Mouvement national libanais" et certaines forces traditionnelles afin de former un front de confrontation visant à empêcher l'ennemi sioniste de réaliser ses ambitions ouvertes au Liban, dont certaines étaient évidentes dans les négociations.
La presse et les communiqués du PCL ont dénoncé les tentatives d'annexion des territoires libanais occupés en 1973 dans les coulisses de Kiryat Shmona, soulignant la nécessité de revenir à l'accord d'armistice signé entre le Liban et l'entité sioniste le 23 mars 1949, qui, dans son cinquième point, rétablit les frontières internationales du Liban telles qu'elles étaient le 23 décembre 1920 (2), et de s'abstenir de faire des concessions gratuites à l'ennemi.
Mais, croyant pouvoir profiter de la présence sioniste afin de porter un coup mortel à la gauche et au camp patriotique, le régime libanais, inféodé à l’impérialisme, signa, avec la bénédiction du représentant de Washington, le traité de paix avec l’occupant, renonçant ainsi aux droits du pays et aux droits du peuple libanais. Ce traité, connu sous le nom de « l’Accord du 17 mai », ou « l'accord de la honte », ne vécut pas longtemps, car la « guerre du Mont Liban » a éclaté deux jours seulement après la signature de l'accord, et les porte-avions américains et les forces militaires multinationales furent incapables de le sauvegarder.
De Camp David à l'invasion du Liban : L'histoire secrète des assassinats
Il est important de comprendre la période qui a précédé l'invasion du Liban, plus précisément entre le second semestre 1978 et le premier semestre 1982, c'est-à-dire la période entre la sortie du président égyptien Anouar el-Sadate de la ligne de libération arabe et l'élection de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis d'Amérique.
La signature par l'ancien président égyptien Anouar el-Sadate d'un traité de paix avec l'entité sioniste, le 17 septembre 1978, dans la station balnéaire américaine de Camp David, sous la supervision du président américain de l'époque, Jimmy Carter, a ouvert la voie à une nouvelle phase du conflit arabo-sioniste. Cependant, cette signature n'a pas suffi à l'ennemi, d'autant plus que le peuple égyptien, avec ses forces vives et ses intellectuels, a rejeté la normalisation avec lui, et que le plan sioniste n'a pas réussi, malgré l'invasion du Sud-Liban en 1978, à éliminer la Résistance palestinienne et le Mouvement patriotique libanais, qui lui fournit une couverture populaire et politique et participe avec elle au processus d'affrontement de l'ennemi sioniste.
Il était donc nécessaire pour lui de chercher par tous les moyens à porter des coups fatals aux deux parties en organisant des opérations terroristes à l'intérieur des camps de réfugiés, en particulier dans la zone où se trouvent la direction de l'OLP et les principaux centres des partis du Mouvement national à Beyrouth.
En juillet 1979, une conférence sur le « terrorisme mondial » s'est tenue dans la ville occupée de Jérusalem, organisée par le Jonathan Institute, au cours de laquelle la théorie de la « confrontation du terrorisme par le terrorisme » a été avancée. Les dirigeants de l’entité sioniste en Palestine occupée, avec leurs agents infiltrés au Liban, ont décidé alors de créer un groupe appelé "Front de libération du Liban des étrangers", à travers lequel ils ont mené des dizaines d'opérations terroristes à Beyrouth en particulier, en commençant par poser des voitures piégées dans les principaux quartiers de la capitale et par piéger des boîtes de conserve, des conteneurs à ordures (3), etc. Ceci s'ajoutant aux bombardements quasi quotidiens de Beyrouth, du Sud et de la route côtière qui les relie, alors que la guerre civile qui divise le pays en deux parties se poursuit et que l'entité sioniste y entre par la grande porte, profitant de l'une de ses parties pour atteindre son objectif de contrôler le Liban et de liquider l'Organisation de libération de la Palestine après avoir déporté ses dirigeants et ses forces militaires en Tunisie (4).
Quel est le contenu principal de l'accord du 17 mai, et pourquoi a-t-il été appelé « Accord d'humiliation » ?
On peut dire que l'accord du 17 mai a été appelé « Accord d'humiliation » parce qu'il établit une capitulation totale de l'Etat libanais face aux ambitions de l'agresseur. Il stipule dans son préambule la fin de l'état de guerre et la volonté "d'établir une sécurité permanente et des relations mutuelles entre les deux pays » ; ce qui veut dire « d'éviter la menace et l'usage de la force entre eux », contrairement à l'accord d'armistice qui fut signé en mars 1949 et qui constitue un simple cessez-le-feu sans mettre fin à l'état d'hostilité.
Cette « fin de l'état de guerre » était en fait un prélude aux concessions substantielles dans les domaines de la souveraineté et de l'indépendance, contenues dans les différents articles de l'accord. En effet, le premier paragraphe de l'article 1 stipule la reconnaissance de l'entité et la fin de l'état de guerre avec elle avant le retrait de l'occupation du territoire libanais. L'article 3 stipule l'établissement d'une « zone de sécurité » à l'intérieur du Liban seulement, dépourvue d'armes lourdes et avec une présence policière armée d'armes légères qui serait, bien sûr, dirigée vers l'intérieur du Liban pour empêcher quiconque de franchir la ligne de sécurité et de s'approcher de la frontière avec la Palestine occupée. Quant à l'article 4, son troisième paragraphe interdit « de proférer des menaces, des actes de guerre, de destruction, d'incitation ou d'agression contre l'autre partie, ou contre sa résidence ou ses biens, sur son territoire ou à partir de son territoire, ou sur le territoire de l'autre partie, d'inciter à de tels actes, d'y prêter assistance ou d'y participer ».
Sans oublier, bien sûr, ce qui a été évoqué en matière de prévention des médias hostiles, ou encore le déploiement sur le territoire libanais de forces internationales composées seulement de pays ayant des relations diplomatiques avec l'entité sioniste, ou enfin la mise en place d'un comité de liaison conjoint, dont les Etats-Unis sont membres, chargé de « superviser l'application de l'accord » et de «négocier des accords sur la circulation des biens, des produits et des personnes »…
Soit, en un mot, une normalisation accompagnée de la prise de « toutes les mesures nécessaires pour abroger les traités, les lois et les règlements qui sont jugés incompatibles avec cet accord » et de l'abstention de « mettre en œuvre toutes les obligations existantes qui sont en conflit » avec lui, ce qui signifie limiter la liberté de l'Etat libanais dans ses relations arabes et internationales et, surtout, dans la manière de réglementer la présence des réfugiés palestiniens sur notre territoire national.
Ce que l’on pouvait déduire de tout cela, c'est que l'entité sioniste occupante maintiendra son occupation, mais sous un autre nom, à savoir le « Comité des arrangements de sécurité », en plus d'obtenir la reconnaissance et la normalisation complète avec elle, en particulier la sortie du Liban des pays arabes qui étaient alors, à l'exception de l'Égypte, considérés comme hostiles à son égard (5).
Le Front de Salut National et la chute de l'accord
Après l'approbation de l'accord par le gouvernement et son vote à la Chambre des représentants (6), il était nécessaire que les forces patriotiques libanaises agissent pour renverser cet accord humiliant, d'autant plus que la cause palestinienne était et reste la question centrale pour elles, en particulier pour les Communistes libanais qui ont organisé le deuxième congrès de leur parti (1968) sous le slogan de la réhabilitation et de l'engagement dans cette cause et de la combinaison de la libération de l'impérialisme et du sionisme avec le changement nécessaire au sein des pays arabes pour construire l'unité arabe basée sur les besoins de notre peuple en matière d'intégration et de progrès social.
C'est pourquoi ces forces se sont efforcées de créer le Front de Salut National, tout en intensifiant les opérations de résistance nationale contre l'occupation et en passant à la confrontation avec ceux qui la soutiennent à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ces forces ont fait face à une attaque des forces d'extrême droite à l'intérieur du pays, soutenue par une attaque impérialiste frénétique. Les affrontements dans la montagne et à Beyrouth, surtout après le déclenchement des combats sur plus d'un axe, suivi du soulèvement du 6 février 1984, ont été accompagnés de violentes batailles contre les forces américaines, qui ont tenté en vain de modifier l'équilibre des forces par le biais de leur flotte, en particulier le porte-avions « New Jersey ».
La coalition des forces patriotique et de certaines forces traditionnelles a pu remporter une victoire, puisque le Conseil des ministres a rétracté l'accord lors de sa session du 5 mars 1984 et l'a considéré comme nul et non avenu ; cependant, l'annulation définitive a eu lieu le 15 juin 1987 (par la loi 25/87).
Entre ces deux dates, des cycles de dialogue entre les représentants des sectes libanaises ont commencé à Lausanne, chaperonnés par l’Arabie saoudite, et les principales forces politiques ont été progressivement exclues des lieux de décision et même de la Résistance à l'occupation pour ne laisser place qu’à une seule force (confessionnelle)... Mais, il s'agit, là, d'un autre sujet."
Notes et références :
1- Treize jours après la profanation de Beyrouth et un jour après l'expulsion des forces d'agression de Beyrouth.
2- Il convient de noter ici que la frontière entre le Liban et la Palestine a été redessinée le 3 février 1923, en vertu d'un mandat de la Société des Nations à la Commission franco-britannique Boulet-Newcomb, qui a déposé auprès de l'Organisation internationale une carte confirmant la validité de la démarcation en vigueur depuis 1920 et des 38 points qui y sont spécifiés.
3- Voir le livre de Ronan Bergman, éditeur militaire « israélien », « Rise and Kill First » : L'histoire secrète des assassinats ciblés d'Israël"... Il convient de noter ici que le parti communiste libanais a eu sa part de ces attentats, puisqu'une voiture piégée a explosé devant le siège du parti le 1er octobre 1981, et qu'un certain nombre de communistes sont tombés en martyrs dans l'explosion.
4- - La déportation, effectuée par les forces multinationales, a été précédée par les massacres de Sabra et Chatila perpétrés par les sionistes et leurs alliés, au cours desquels plus de quatre mille martyrs ont été tués, dont peu de Libanais, et les « Forces libanaises » ont enlevé et liquidé des centaines de citoyens libanais, en particulier des communistes, dans les zones montagneuses et à Beyrouth.
5- Le contenu des annexes déclarées et secrètes comprend de nombreuses conditions sécuritaires, militaires et diplomatiques.
6- L'accord a été approuvé par le Conseil des ministres libanais le 14 mai 1983, et le 16 mai 1983 il a été approuvé par la Chambre des représentants avec une majorité de 80 députés, l'opposition des députés Najah Wakim et Zaher al-Khatib, et trois abstentions.
Marie Nassif-Debs Ex secrétaire générale adjointe du Parti communiste libanais et ex coordinatrice du Forum de la gauche arabe (2010-2022).
Cet article a été publié le 17 mai 2024-05-28 sur le site koweitien « Taqaddom »
Photos : Char israélien lors de l'invasion de 1982 au sud Liban et Marie Nassif-Debs