Législatives 2024 : tribune collective de scientifiques

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Législatives 2024 : tribune collective de scientifiques

Nous sommes des chercheur·es, enseignant·es-chercheur·es issu·es d’instituts de recherche et d’universités de toute la France et de toutes disciplines scientifiques. Un aspect de notre mission est de porter dans l’espace public les consensus scientifiques : l’origine humaine du réchauffement du climat, les causes de l’effondrement de la biodiversité, la gravité des pollutions de l’eau, du sol et de l’air et leur impact sur le vivant et nos sociétés humaines, l’effet des politiques publiques sur la hausse des inégalités et de la précarité (santé, alimentation), en sont des exemples.

 

Seulement, nous ne pouvons concevoir notre mission indépendamment du respect de certaines valeurs au nom desquelles nous nous exprimons aujourd’hui. Au-delà du respect de l’ensemble du vivant, nous sommes profondément attaché·es à l’humanisme, à l’équité, à la solidarité entre personnes et avec les générations futures ; nous rejetons toutes les oppressions, notamment celles à caractère racial ou genré, et défendons une recherche au service de l’intérêt général.

 

Alors que l’extrême droite occupera plus de 40 % des sièges d’eurodéputé·es français·es à l’issue des élections du 9 juin, alors qu’elle est d’ores et déjà annoncée à plus de 30 % d’intentions de vote pour les législatives anticipées du 30 juin, nous l’affirmons clairement : l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National (RN), un parti politique d’extrême droite, menace les valeurs auxquelles nous sommes attaché·es.

 

Elle ferait non seulement peser des risques graves sur la recherche et l’enseignement, sur la place accordée aux faits scientifiques dans le débat public, mais elle menacerait surtout le modèle même de société auquel nous aspirons : une société démocratique où les décisions émergent de débats collectifs, ouverts, libres, respectueux et bien sûr informés.

 

On n’a jamais essayé ?

 

Un grand nombre d’électeurs et d’électrices relayé·es par les médias assurent que « l’extrême droite, on n’a jamais essayé ». C’est factuellement faux. Nul besoin de remonter au régime de Vichy et à la Seconde Guerre mondiale : l’expérience récente de leur arrivée au pouvoir dans d’autres pays, y compris voisins, suffit à démontrer que les partis d’extrême droite ne peuvent être considérés comme des partis comme les autres. Hongrie, Pologne, Brésil, Italie, États-Unis et plus récemment Argentine nous montrent quelles constantes se dégagent lors de leur exercice du pouvoir.

 

Le RN jouit aujourd’hui d’une image bien travaillée le faisant passer pour moins violent et plus ouvert que d’autres partis de la même tendance politique. Comme le soulignent de nombreux politologues, le Rassemblement National a orchestré, tout au long de son histoire, différentes phases de « dédiabolisation » qui consistent à transformer son discours et remplacer une partie de ses membres pour se rapprocher du pouvoir. Au fil de ces mutations, facilitées par l’appui de certains partis politiques et médias, le RN n’a pour autant jamais renoncé à sa ligne fondatrice hostile envers l’immigration, l’islam, les questions de genre et les droits LGBTQIA+.

 

Aujourd’hui, en dépit de cette « dédiabolisation », l’examen des votes RN à l’Assemblée Nationale, des déclarations de ses membres, ou bien de ses annonces, suffit à démontrer que sur toutes les thématiques que nous allons évoquer, le RN est bien une extrême droite comme les autres.

 

L’extrême droite sape les bases de l’État de droit et les contre-pouvoirs

 

Une fois au pouvoir, l’extrême droite mine l’État de droit et les contre-pouvoirs en s’attaquant au pluralisme de l’information et en mettant la Justice au service des dirigeant·es : les pays dirigés par Trump, Bolsonaro, Orbán, Morawiecki et Meloni en ont tous fait les frais. Le système démocratique des États-Unis n’a échappé que de justesse à un coup d’État électoral de Trump le 6 janvier 2021. Les libertés publiques sont également menacées : le premier décret pris par le gouvernement Meloni a rendu passible de 6 ans de prison l’organisation de rassemblement « pouvant constituer un danger pour l’ordre public ».

 

De fait, l’attaque des contre-pouvoirs et de l’État de droit est bien dans les cartons du RN : sous prétexte d’économies, le RN a confirmé vouloir privatiser l’audiovisuel public, manière de restreindre encore le pluralisme médiatique en livrant un espace médiatique supplémentaire à un énième milliardaire.

 

Du côté du fonctionnement des institutions, le RN, associé au parti Les Républicains (LR), a dénoncé un « coup de force des juges » après que le Conseil constitutionnel ait censuré des articles de la loi dite immigration. Les professionnels du droit craignent par ailleurs que le RN ne s’en prenne à l’indépendance de l’autorité judiciaire : « Aujourd’hui, nos règles institutionnelles font qu’il n’y aura pas beaucoup de choses à changer pour que le RN – s’il arrive au pouvoir – puisse prendre le contrôle, notamment de la carrière des procureurs » estime Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature.

 

Alors que la Ve République donne beaucoup de pouvoir à l’exécutif, quelle confiance peut-on avoir dans la résistance de l’État de droit sous un régime d’extrême droite ? Pour nous, il est hors de question d’essayer l’extrême droite « juste pour voir », et parier sur le fait qu’elle quitte le pouvoir après s’être décrédibilisée en gouvernant.

 

L’extrême droite opprime et discrimine

 

L’extrême droite s’est construite, y compris en France, autour d’une idéologie raciste. Celle-ci demeure au cœur des politiques et des discours des gouvernements d’extrême droite récents, qui s’attaquent aux migrant·es sous prétexte de contrôler l’immigration et stigmatisent les étrangers. Ces discours et politiques permettent de véhiculer une haine décomplexée des étrangers qui infuse dans la société. En témoignent la vision exacerbée de l’immigration comme une menace aux États-Unis, ou le retour d’un fascisme décomplexé en Italie.

 

Aux États-Unis, en Pologne et en Italie, les partis d’extrême droite ont multiplié les attaques contre l’accès à l’avortement pour asseoir ainsi un contrôle du corps des femmes. Les eurodéputé.es RN étaient absent·es ou se sont abstenu·es lors du vote sur l’inclusion du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Lors de la constitutionnalisation de l’avortement en France, près de la moitié des élu·es RN ont voté contre, se sont abstenu·es ou étaient absent·es.

 

Alors qu’ils prétendent défendre le peuple contre les élites, les gouvernements d’extrême droite démantèlent systématiquement les services publics (éducation, santé) et ciblent en premier lieu les plus démuni·es : suppression de l’équivalent du RSA en Italie, augmentation de 11 points de pourcentage du taux de pauvreté en Argentine. Le RN, lui, compte supprimer l’Aide médicale d’État aux étrangers en situation irrégulière. En plus de représenter une attaque insupportable à un principe fondamental de l’humanisme, cette mesure conduirait à une dégradation générale de la santé publique, notamment lors d’épidémies. Enfin, le RN s’est opposé à la mise en place d’un salaire minimum en Europe, prouvant, s’il le fallait, que la réduction des inégalités n’est pas sa priorité.

 

Enfin, les extrêmes-droites représentent une menace pour les droits des personnes LGBTQIA+. Non seulement elles répriment leurs mobilisations (comme en Pologne), mais elles légitiment la haine et la violence homophobes et transphobes. La victoire du RN aux Européennes a déjà conduit à une agression homophobe le 13 juin. Alors qu’il réclame toujours plus de sévérité contre les délinquants, le RN s’y oppose lorsqu’il s’agit de protéger les personnes LGBTQIA+, comme le démontre l’examen de leurs (non)-votes au Parlement européen.

 

L’extrême droite, si elle peut paraître aujourd’hui plus respectable qu’au XXe siècle, dissimule un projet assez homogène entre les différents États où elle a le pouvoir : celui d’instaurer une société fortement inégalitaire, oppressive et discriminante, fidèle aux principes mêmes de ce mouvement qui a toujours voulu opérer un tri entre les individus. Les votes de ses député·es et son programme laissent présager que le RN ne ferait pas exception en cas d’accès au pouvoir en France.

 

L’extrême droite nie la gravité de la situation environnementale

 

Une autre constante des extrêmes-droites est leur déni des alertes scientifiques concernant l’urgence climatique et écologique. Certaines assument clairement leur climato-scepticisme, comme le président de l’Argentine, qui affirme que « toutes ces politiques qui accusent l’Homme d’être responsable du changement climatique sont bidons » ; d’autres adoptent une rhétorique plus insidieuse pour justifier leur inaction ou même leurs actions anti-climatiques.

 

Le résultat est le même : une politique qui nous mène tout droit vers un monde invivable à +3 °C voire +4 °C. Aux États-Unis, on a assisté sous la présidence Trump à la sortie de l’Accord de Paris, à des coupes drastiques des financements en faveur du climat, et à la nomination d’un climato-sceptique à la tête de l’Agence de protection de l’environnement. On peut aussi citer une déforestation sans précédent au Brésil ou la suppression du ministère de l’environnement en Hongrie.

 

Le RN, quant à lui, se défend de tout climato-scepticisme, mais persiste dans le climato-rassurisme en relativisant les rapports du GIEC. Plus précisément, le RN s’oppose au déploiement des énergies renouvelables, alors que les scénarios des ingénieurs de RTE montrent que tout miser sur le nucléaire ne permettrait pas de respecter de l’Accord de Paris à l’échelle française. Pire, le RN s’oppose à toutes les mesures écologiques : taxes sur les énergies fossiles, électrification des transports, sauvegarde de la biodiversité, diminution des pesticides, ralentissement de l’artificialisation des sols, limitation du transport routier.

 

C’est un monde bétonné, goudronné, pollué, en surchauffe et sans vie que nous promet le RN. Pourtant, selon ce parti, toute mesure écologique est « punitive ». De quel côté est la punition ?

 

L’extrême droite confond fait scientifique, opinion et croyance

 

Enfin, l’attachement des scientifiques aux faits est toujours gênante pour les extrêmes-droites, qui ont un rapport très distancié avec la vérité. Au Brésil ainsi qu’aux États-Unis, on a assisté à des baisses drastiques de budgets dans l’éducation et la recherche, qui ont fait peser de graves menaces sur l’indépendance scientifique. Le gouvernement de Viktor Orbán a remis en question l’indépendance d’institutions académiques pour s’assurer qu’elles ne remettent pas en cause son idéologie. La défiance de Donald Trump envers la science durant le Covid-19 a littéralement entraîné des milliers de morts.

 

Plus généralement, les extrêmes-droites développent la défiance envers les résultats de la recherche scientifique et adoptent une posture de post-vérité, où les dirigeants délivrent leurs propres « faits alternatifs », sous couvert de liberté d’opinion. Pour nous, la vérité n’est pas une opinion ou une position exprimée par une autorité. Être scientifique, c’est avant tout se plier à l’exercice du débat critique duquel ressort un consensus, c’est aussi lutter contre l’obscurantisme et la démagogie, et pour la diffusion des connaissances et le développement de l’esprit critique nécessaires à la démocratie.

 

Mobilisons-nous !

 

La société et les valeurs dans lesquelles nous nous inscrivons seraient gravement compromises dans un pays aux mains du Rassemblement National. À l’instar de nombreuses personnes, de collectifs et d’associations citoyennes, nous pensons que le moment est grave et nous invitons à une large mobilisation face à cette menace dans les urnes les 30 juin et 7 juillet prochains. Nous dénonçons le discours dominant qui présente contre toute évidence le Nouveau Front Populaire comme une menace pour la République, étouffant ainsi toute possibilité de débat démocratique et d’alternance, et favorisant de manière irresponsable l’accession au pouvoir de l’extrême droite.

 

Au-delà du vote, nous appelons à lutter activement sur le long terme contre tout ce qui constitue le terreau de l’extrême droite : l’augmentation des inégalités, le sentiment de déclassement et de déconnexion entre les politiques et les citoyen·nes, la fracture dans l’accès aux services publics, la main-mise des intérêts privés sur les médias et réseaux sociaux, et la récupération électoraliste des obsessions de l’extrême droite par d’autres partis politiques.

 

Cette mobilisation s’enracine dans les valeurs qui nous sont chères et que nous appelons à défendre : humanisme, équité, solidarité, respect du vivant, émancipation et confiance dans les citoyen·nes pour élaborer des solutions basées sur des débats approfondis.

 

Pour notre part, en tant que scientifiques et citoyen·nes, nous aspirons à contribuer pleinement à cette lutte et au débat démocratique à la hauteur des enjeux.

 

Une version longue de cette tribune, publiée dans Le Club de Mediapart ainsi que la liste complète des signataires sont disponible sur le site de la tribune.

 
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