Les interventions de Frédéric Boccara au CN du PCF des 12 et 13 juillet
Première intervention
Avant le début des débats, je demande que soit désignée une commission pour prendre en compte les amendements proposés sur la résolution politique, afin qu’ils soient traités collectivement, comme c’est l’usage dans le parti, et non par une seule personne, comme c’est malheureusement devenu le cas depuis un ou deux ans.
Deuxième intervention
Concernant la proposition d’Huguette Bello. Je ne la connais pas, mais Fabien a eu pleinement raison de proposer son nom. En revanche, je ne suis pas pour que le parti, en tant que tel, reprenne cette proposition et la vote, car cela risque de nous enfermer, y compris par rapport à des exigences que nous devons avoir. Cela, en outre, majore beaucoup trop la question du 1er ministre au détriment d’exprimer des exigences de fond et d’éclairer le mouvement populaire dessus. Je m’abstiendrai donc, s’il y a un vote.
Troisième intervention
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Ce qui s’est exprimé par le vote aux législatives
-Le rejet de Macron et de sa politique, avec deux questions majeures : le type d’exercice méprisant du pouvoir et la réforme des retraites, mais au-delà, l’austérité, sur laquelle nous devons insister car elle fait système et fédère
- La montée de l’extrême-droite et du fascisme, car c’est bien de cela qu’il s’agit, même si 10 millions de voix pour l’extrême-droite, cela ne veut pas dire 10 millions de fascistes, mais c’est toujours ainsi que le fascisme se développe et s’installe
- Un sursaut considérable de notre peuple pour rejeter l’extrême-droite
- avec un Nouveau Front populaire imposé par la pression populaire, et qui recèle une dynamique bien différente de celle de la NUPES, avec en particulier l’implication du mouvement syndicale, la non-hégémonie de LFI et la relativisation de la personne de Jean-Luc Mélenchon, même si de façon contradictoire le PS et les éléments social-démocrates non gauchistes, voire socio-libéraux, pèsent plus lourd…
- Par ailleurs on a un début de remontée du clivage gauche-droite, ce qui est une bonne chose, sans négliger ce qui se passe du côté de personnalités comme D. de Villepin.
- Enfin, la remontée du débat économique ― notamment sur la faisabilité du programme du NFP et sur les impôts ― est une chose que nous devrions saisir, car elle exprime une volonté de cohérence, de la part des gens, de sortir des promesses en l’air. Et nous devrons voir à quel point nous sommes bien placés pour relever ce défi.
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Il faudra analyser la « séquence » électorale (législatives et européennes) et nos décisions.
Il faudra analyser cela au regard de nos 38è et 39ècongrès, dont somme toute le contenu est largement passé à la trappe. Il faudra aussi analyser le fonctionnement de nos directions, notamment de la Direction nationale.
Une conférence nationale est nécessaire. Dans un format large, de type « assemblée des animateurs de section », à 700-800 délégués, précédée d’un large débat dans le parti, par un maximum de communistes.
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La situation actuelle.
Une dynamique est possible mais elle sera difficile. Il faut être déterminé pour changer et en même temps ne pas faire monter d’illusions. L’enjeu, c’est donner la priorité au mouvement populaire, favoriser l’intervention.
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Mettre la pression sur Macron
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Qu’il insiste sur ce qui compte, non seulement les exigences sociales mais les moyens et pouvoirs démocratiques nécessaires à leur mise en œuvre
Il ne faudrait pas retarder une fois de plus les transformations politiques nécessaires sur les moyens financiers, au risque d’échouer gravement et de laisser le mouvement populaire sans boussole.
J’ai apprécié que nos interventions publiques insistent sur le besoin de développer le NFP et sa dynamique. Ne nous lançons pas dans des zigs-zags et la préparation de retournements d’alliances : restons sur le NFP, et si on va au-delà en termes de périmètre politique, c’est pour appliquer le programme du NFP.
Il nous faut coller au « mouvement » et notamment à la volonté de changement. Pour cela, je pense qu’il faut clarifier les exigences, non pas dans le sens de choisir au sein du programme mais dans le sens des « premières mesures »
Si notre priorité est le mouvement social, ce que je crois, nous ne devons pas seulement lister des exigences sociales (salaires et pensions, loi retraites, services publics, loi migration) mais surtout ― c’est notre rôle de communistes ― insister sur le besoin d’une cohérence entre ces exigences et des moyens financiers et institutionnels (pouvoirs nouveaux).
Plus précisément, (1) la grande question du changement de comportement des entreprises et de leur gestion, pour lesquels le levier financier est décisif (banques et aides publiques à réorienter), en lien avec des pouvoirs démocratiques, (2) du pouvoir sur les entreprises, avec des nouveaux pouvoirs à l’intérieur et des institutions nouvelles de planification sociale et écologique, démocratiques, à partir des territoires, jusqu’au niveau national (3) les services publics et leur financement, pour l’emploi et la formation, (4) l’international et l’Europe, dont la question de la BCE.
Ces éléments sont dans le programme du Nouveau Front populaire ! Donc raison de plus pour les mettre en avant, en montrant la logique implicite du programme du NFP.
Il faut y ajouter la conférence sociale sur les salaires, l’emploi, la formation et le travail. C’est fondamental. Elle est dans le programme du Nouveau Front populaire, mais en plus elle peut permettre de nourrir une dynamique et de mettre fortement en selle le mouvement syndical et associatif, ce qui est ultra-décisif !
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Il faut donc développer le débat économique
Le début de montée du débat économique est une chose que nous devons soigner. Ce n’est pas neutre. Elle exprime, pour une part, le refus populaire d’accepter des promesses bidon et donc de savoir comment tout cela serait financé et viable.
N’oublions pas non plus que l’expérience de gauche de 1981-82 s’est fracassée sur la montée des déficits extérieurs, la « compétitivité » internationale et les gestions des entreprises pourtant nationalisées. Et les gens le savent. D’ailleurs c’est aux européennes de juillet 1984 que Le Pen réalise une percée historique, en grimpant d’un coup à presque 11% et notre parti tombe à 11%, alors que nous n’osons pas dénoncer les difficultés économiques du gouvernement de gauche, en pointer les enjeux de fond, faire monter la pression et, tout en manifestant la veille avec les sidérurgistes lorrains, nous proclamons au contraire que le bilan du gouvernement de gauche est « supérieur au Front populaire et à la Libération réunies », ceci malgré les alertes de la CGT qui par la voix d’Henri Krasucki « sonne le tocsin » depuis janvier, en restant sur la réalisation d’objectifs sociaux, sans pointer précisément leur financement, ni la domination de la gestion des entreprises nationalisées par la rentabilité financière.
Le débat a porté tout particulièrement sur la question des impôts : une fiscalité excessive a été dénoncée et a été un des éléments importants de la campagne de nos adversaires, qui a freiné le Nouveau Front populaire.
Précisément peut-on tout financer par la fiscalité ? Nous pensons que c’est d’une part négliger le rôle décisif des banques, pour faire des avances. C’est d’autre part négliger le rôle de la croissance du PIB (donc de la production, y compris l’activité des services publics) pour « avaler » en quelque sorte la dette et les avances : par une croissance importante disposer d’une masse de revenus beaucoup plus importante pour prélever les ressources mais aussi amoindrir le poids de la dette dans le ratio Dette/PIB. Précisément, le groupe de travail sur le chiffrage, auquel Denis, Nicolas Sensu et moi avons participé, n’a pas voulu malgré notre insistance chiffrer le PIB supplémentaire qu’amènerait la mise en œuvre du programme, ni les créations d’emploi1. Or, nous (commission économique) le chiffrons à environ 600 Md€ de PIB en plus en 5 ans, donc au moins 200 Md€ les deux ou trois premières années… ce qui allège bien des choses. Même à type de fiscalité inchangée… C’est une des conséquences majeures du refus de l’austérité qui est porté par le NFP2 !
Plus généralement, plutôt que de se centrer sur les impôts, la logique que nous proposons ― et qui est présente aussi bien dans la logique du programme ― est : une forte impulsion de « demande » (injection de revenus par des avances massives) ; des transformations « structurelles » (des pouvoirs et des financements, avec un volet de négociations européennes et internationales) pour s’assurer que cette demande est bien orientée (vers les capacités humaines, baisse du coût du capital, services publics, production écologique et sociale) ; elle génère son revenu par une production (une « offre ») écologique et sociale, efficace économiquement et s’enclenche un processus qui commence à s’auto-entretenir et à résorber, ensuite, le poids de la dette.
La mobilisation populaire est absolument nécessaire pour cela. Et ceci à chaque étape. Comment aide-t-on à cette intervention populaire ? Et à lui donner les éléments clés dans les mains. Ce doit être cela notre boussole.
Or, je dois donner au CN une information sur la conférence de presse du NFP sur sa logique économique et son chiffrage. Nous avions gagné plusieurs choses importantes sur la logique dans les négociations, où Denis et moi représentions le parti, avec N. Sansu. Y compris sur le sujet du SMIC et des PME, mais aussi le rôle des banques ou des nouveaux pouvoirs des travailleurs, ou encore la baisse du coût du capital et les entreprises. La direction du parti (qui ? et pourquoi ?) a interdit aux négociateurs communistes d’intervenir à cette conférence de presse, alors que pour les trois autres (LFI, Verts, PS) ce sont les négociateurs qui ont participé ! Ils ont chacun apporté leur vision de la logique économique. Mais l’intervention du parti, par I. Brossat, ne l’a pas fait, ce qui invisibilisé les enjeux principaux, n’apportant pas grand-chose. Alors qu’il était possible et nécessaire de donner notre éclairage communiste de façon unitaire et constructive. Outre le fonctionnement qui interpelle, ainsi que la façon dont sont traités les camarades, c’est une forme nouvelle d’effacement du parti qui se poursuit : l’effacement de ses idées ! C’est grave. Et cela n’augure pas bien de la façon dont nous continuons à nous comporter au sommet dans les alliances.
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Aider à l’intervention populaire
Notre priorité et notre boussole, ce doit être d’aider à l’intervention populaire. En conséquence :
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Je propose de changer l’esprit de la déclaration en donnant à l’intervention une toute autre importance et en commençant par elle
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Nous devons faire monter les exigences sociales, et à leur appui nos propositions. Je demande
- que soit organisé un travail collectif de la direction nationale et d’un certain nombre de secteurs, dont la commission économique, pour identifier les premières mesures nécessaires et formuler la cohérence qui les rend viables
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une conférence de presse pour présenter ceci
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que nous organisions un dialogue public avec les organisations syndicales, à une échéance à déterminer, pour donner à voir et mettre en scène ces exigences sociales et les exigences de financement et de pouvoirs nouveaux permettant leur viabilité
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Je propose que soit lancée une campagne de débat dans le pays et de formation des communistes sur les exigences pour une réussite du programme social du Nouveau Front Populaire, pour une clarification. Est-ce le support d’une campagne positive du parti sur L’emploi et la formation (ou sur la SEF), sur le coût du capital, sur la mondialisation ou sur la dette ? Cela reste à voir. Je n’ai pas d’opinion arrêtée.
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Je demande que notre déclaration appuie les manifestations du 18 juillet, à l’appel de la CGT
Concernant la participation communiste à un gouvernement. Si la question est posée, il faut d’une part que cela soit avec le périmètre ― au moins ― de l’ensemble du NFP. Et il nous faut poser des exigences fortes sur le social (salaires, retraites, abrogation de la loi immigration), sur le pôle public bancaire, pour les services publics, contre les licenciements et la loi sur l’assurance chômage, pour engager des négociations européennes sur l’austérité et internationales sur les traités de libre-échange.
Quatrième intervention : débat sur le parti et les suites
Il faut je crois repartir du 38è congrès. Les communistes ont exprimé de façon majoritaire l’exigence d’une réorientation du parti contre son effacement. Et en fait, nous avons progressé en visibilité du parti en tant que sigle et étiquette politique, avec notamment notre présence à la présidentielle. Mais l’effacement des idées du parti a encore progressé. Tout particulièrement sur les questions que nous jugeons centrales, comme l’expriment nos congrès, comme celles de la Sécurité d’emploi ou de formation, celle d’une autre utilisation de l’argent, celle de la contestation de la logique du capital avec la conjugaison d’autres pouvoirs dans les entreprises et d’un autre rôle des banques.
Les 38è et 39è congrès ont pourtant exprimé des contenus. Contenus auxquels on semble avoir tourné le dos, quand on écoute notre discours public médiatique (le discours aux militants c’est autre chose).
La campagne des élections européennes en a été une illustration tragique ! Alors que lors des réunions du CN, comme lors de notre « conférence européenne », l’expression majoritaire a été de récuser le souverainisme en se prononçant en faveur d’une nouvelle souveraineté, notre tête de liste n’a eu de cesse de formuler l’option du parti comme étant « souverainiste » ! Or c’est assez grave d’utiliser ce mot dans cette période. De même, il s’est déclaré « protectionniste ».
Enfin, je ne citerai qu’un autre point, mais qui me semble déterminant. Alors qu’on nous a affirmé en CN, ici même, avec de grands effets de manche, de Ch. Picquet par exemple, que notre proposition de Fonds européen pour les services publics est une proposition absolument « majeure et centrale », elle n’a pas du tout été portée publiquement dans la campagne par notre tête de liste. Aucun dispositif n’a d’ailleurs été mis en place permettant de l’appuyer et l’outiller en ce sens. Pourtant l’austérité et les services publics étaient centraux, y compris dans le vote d’extrême droite.
En ce sens, pourquoi n’avoir pas cherché à montrer que Macron, la droite et l’extrême-droite ont en commun de préconiser l’austérité ? Ce n’est pas faute d’avoir fourni de l’argumentaire et du décodage en ce sens. De même nous pouvions travailler la gauche et le débat à gauche sur cette question de l’austérité. Il s’agissait de nous placer d’abord en contestation de Macron et de sa politique, parce que c’est lui qui avait les manettes du pouvoir, et ensuite de dénoncer les escrocs de la question sociale, voire d’autres. Sans parler de l’orientation fort défaillante sur la paix et l’Ukraine.
Nous avons pourtant été nombreux à « mouiller la chemise » loyalement. Un appel national a été même lancé, à l’occasion d’une réunion publique à Antraigues sur Volane en Ardèche, pour les services publics. Il a été signé par plus de 4.000 personnes, y compris des syndicalistes et élus significatifs, et des intellectuels. Il a publié en toute fin de campagne par l’Huma, qui a eu raison. Mais, s’il témoigne du potentiel existant, c’était bien trop tard.
Revenons à notre parti. La question du travail collectif et du fonctionnement des directions me semble cruciale. Tout particulièrement celui de la direction nationale.
Alors se pose bien sûr une question d’identification du PCF. Mais quand dans une élection nationale on ne porte pas les questions de fond du Parti, celles qu’adopte le parti, y compris à ses congrès, cela pose question. Cela renvoie à l’électoralisme, qui fait que pour cause d’élection et avec une vision à courte vue, on fait ― comme par le passé ― passer les alliances et les illusoires possibilités d’élus devant les contenus, devant la bataille politique de fond et l’intervention populaire. Mais une élection, cela ne devrait-il pas être pour nous d’abord un grand moment de pédagogie populaire ? Un moment de pédagogie populaire visant l’intervention.
Le 38è et le 39è portent une ossature d’idées pour un nouveau parti communiste français, un PCF du 21è siècle. Il faut en tout cas une novation communiste dont beaucoup d’éléments de fond existent, n’en faisons pas table rase, d’autant plus que, comme on dit, cela n’a jamais encore été essayé. Il faut se l’approprier et ne pas traiter la question uniquement par l’angle des « pratiques » militantes, même si c’est un sujet réel.
Alors, il va y avoir une consultation des communistes. Il n’est pas réaliste, à mon sens vu les calendriers de date du prochain congrès et des échéances municipales, d’organiser un congrès extraordinaire, même si cela pourrait se justifier. Je souhaite en tout cas qu’elle débouche sur une conférence nationale « grand angle » et nombreuse, de type « assemblée nationale des animateurs de section, à 700-800 participants. Mais ce ne peut être qu’un aboutissement, il faut auparavant un processus de débat large dans le parti, favorisant l’implication de chaque communiste.
Tout un ensemble de questions doivent être examinées.
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Mais quels sujets de fond et de contenu ?
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De même, quelle campagne de renforcement du PCF ? Elle demande des « gestes d’orga ». Mais ce ne peut être une simple campagne « d’orga » voire administrative. Elle doit être portée par une campagne de fond.
Sur quoi doit porter cette campagne de fond ? La SEF < (sécurité d’emploi ou de formation) ? Cette question est centrale dans les orientations que nous avons adoptées et elle relève les défis du 21è siècle, sans rien lâcher sur la contestation du capital, et donc sur l’exigence révolutionnaire. Mais, disons, il y a façon et façon d’engager une telle campagne. La campagne pourrait plutôt être « l’emploi et la formation pour répondre aux difficultés du pays ». Et sur cette base on avance la SEF, la question du coût du capital, etc. Et l’on peut déboucher sur des actions possibles, ou l’organisation d’actions. D’où l’intérêt de prendre sa carte au PCF. Cela demande un effort précis et rigoureux de formation des communistes en vue d’une telle campagne.
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Le fonctionnement et l’organisation de nos directions doit lui aussi être discuté.
Bref, pour moi, face à une nouvelle société qui se cherche et vieux capitalisme travaillé par le neuf, il faut répondre « novation du PCF » !
1 Nos partenaires ont considéré que la seule prévision attendue était une prévision de dépenses et recettes de l’Etat, s’enfermant à l’avance pour le débat qui allait venir et ne voyant pas, de surcroît, l’enjeu majeur des entreprises et des banques. Cependant, sur l’enjeu des entreprises et des banques, même s’ils n’en ont pas tiré toutes les conséquences, nous avons obtenue des avancées intéressantes dans le document qui présente la logique économique du programme du Nouveau Front Populaire.
2 Et de la bataille d’idées qui n’a pas été menée aux élections européennes