Opinion de Laurent Brun entre les deux tours des législatives
La situation est dramatique et beaucoup de militants et militantes peuvent être déboussolés mais il est important de prendre tout le recul nécessaire pour analyser la situation.
Le capital craint une crise économique majeure.
A l’échelle internationale, la dé « dolarisation » est en marche, les affrontement pour contrôler l’industrie 3.0 (notamment entre Chine et USA, avec de nombreux nouveaux autres acteurs) fait rage à coup de grands plans nationaux… dans ces conditions, que vont devenir les 32 000 milliards (!!!) de dette américaine (sachant que les échanges commerciaux annuels représentent « seulement » 24 000 milliards) si la Chine prend le dessus ?
Du point de vue environnemental le pic d’extraction de pétrole a été atteint et la décroissance s’amorce, les événements climatiques extrêmes coûtent de plus en plus d’argent et de vies…
Le système n’a jamais été aussi proche de s’effondrer. L’outil militaire pour conquérir des marchés ou détruire des adversaires, l’inflation pour faire payer la décroissance financière aux pauvres, tous les outils sont utilisés par les capitalistes pour faire perdurer leur système et leur situation.
La prise du pouvoir d’Etat par des organisations autoritaires est l’un de ces outils.
En France, la stratégie financière du pouvoir (conforme aux dogmes de l’UE) accélère la désindustrialisation, conduit à l’appauvrissement du pays. Pour compenser, le patronat cherche a accroître l’exploitation du travail. La misère pour les uns, avec la répression et la culpabilisation, le déclassement des « classes moyennes » pour les autres. Quand on ne produit plus les richesses, tout le monde y perd.
Malgré la pression sur le travail, la balance du commerce extérieur n’a jamais été aussi déficitaire. La perte économique est compensée par un recours accru à la dette publique (et aussi privée). Une mauvaise dette puisqu’elle vise à maintenir l’engraissement des capitalistes (a coup d’aides et d’exonérations) et pas à créer des richesses pour le pays. Une dette que l’on essaye de limiter par une austérité permanente qui tue l’hôpital, l’école, tous les services publics et les infrastructures du pays et donne cette impression d’effondrement.
Dans le même temps la concentration du capital n’a jamais été aussi forte. Les riches profitent mais ils savent que la colère est de plus en plus forte. Ils usent donc de tous leurs relais médiatiques pour diviser la classe ouvrière. En dernier recours, ils n’hésitent pas a confier le pouvoir a des organisations répressives (Macron), voire carrément autoritaires (extrême-droite) pour écraser les velléités de révolte. La « dédiabolisation » de l’extrême-droite, l’engagement de certains média sous patronage de milliardaires, correspondent a ce moment de l’histoire.
Arrivent les élections.
Certains camarades sont déçus par le résultat du 1er tour des législatives. Pourtant il n’y a pas de quoi. Après la déception de la gauche plurielle en 1998/2002, la droite a pris le pouvoir pour 10 ans. Par rejet de la droite (Sarkozy était presque aussi impopulaire que Macron), Hollande est élu en 2012 et mène une politique de droite. Déchirure (frondeurs), scissions (LFI), la sociale démocratie est en crise et toute la gauche est ratatinée.
S’il n’y a pas de perspective de « gestion de gauche » de l’Etat (parce que la « gauche » cède a la pression du capital et a la crise du système qui imposent une politique de compétitivité libérale), alors il n’y a plus d’alternative. Macron, le Sarko de 2017/2022, prend le pouvoir sur cette débâcle. Il mène la politique du capital mais la situation sociale est immédiatement tendue car la population s’appauvrit et le conteste (mouvement des cheminots, mouvement des prisons, mouvement lycéen, gilets jaunes…). Il durcit la répression, et créait des passerelles avec les idées d’extrême-droite.
Cela facilite et accélère le travail de cette dernière sur son hégémonie idéologique sur la « spoliation » fiscale de l’Etat, l’immigration, la sécurité, les élites, le « mérite »… avec la complicité de plus en plus ouverte des média (sous le patronage de milliardaires réac).
Il n’y a pas de raz de marée, mais l’eau monte depuis des années, et de plus en plus vite. La gauche, de son côté, ne s’est pas reconstruite idéologiquement ou organisationnellement.
Du point de vue des résultats électoraux, le RN aurait dû tout défoncer et aucune autre force politique n’aurait dû s’en relever.
La dynamique du Front Populaire est réelle. Elle a contré ce hold-up. Elle n’a pas réduit l’extrême-droite, mais elle lui a opposé une force qui peut rivaliser avec elle.
L’extrême droite fait 29,25%, soit 9 377 186 voix (en progrès de 5,1 millions de voix par rapport a 2022). Elle finit de vampiriser la droite LR ou macroniste.
Le Front Populaire faire 27,99%, soit 8 974 548 voix (en progrès de 3,1 millions de voix par rapport a 2022). Il a remobilisé en seulement 15 jours !
Nous devons être fiers de cela, du travail militant accompli, de l’engagement. Le résultat final des législatives dépend largement du système politique de la 5e République : une organisation qui fait moins de 30% des exprimés va potentiellement avoir une majorité relative voire absolue a l’Assemblee. Si la règle était la proportionnelle, le RN aurait 169 sièges (ce qui est déjà énorme) alors qu’ils pourraient être majoritaires absolus dans une semaine…
Est ce qu’il ressortira un gouvernement d’extrême-droite, je n’en sait rien. Rien n’est joué.
Le RN est arrivé en tête du 1er tour dans 297 circonscriptions. Il a fait élire 39 député au 1er tour. Il reste donc 259 circo où il sera au second tour avec l’avantage. Le risque d’une majorité absolue (289) est réelle. La possibilité de l’empêcher aussi. Chaque député arraché a l’extrême droite va compter pour les éloigner du pouvoir.
Le Front Populaire a fait élire 32 députés au 1er tour. La gauche s’est désistée dans 122 circo. Malgré cela elle sera présente au second tour dans 311 circos supplémentaires. Donc même si les positions sont parfois difficiles, il est toujours possible d’avoir une majorité de gauche.
Quelque soit ce qui ce qui ressortira des urnes, notre mobilisation a été utile.
Tout en continuant cette action jusqu’au second tour, nous devons aussi penser a la suite. Il y a donc deux blocs qui s’affrontent et qui vont s’affronter de plus en plus dans les urnes et dans la société.
L’urgence c’est de renforcer le camps progressiste. 2 événements ont déjà bousculé l’histoire :
- le mouvement contre la réforme des retraites, qui a montré la puissance de la mobilisation collective et le rôle de contre-pouvoir que peuvent jouer les syndicats… un mouvement (faible mais reel) de re-syndicalisation s’est amorcé. Il ne faut pas le négliger. Depuis 15 ans, la syndicalisation baissait. Interrompre ce cercle vicieux est déjà un point exceptionnel.
- le front populaire, de l’autre côté, reconstitue une union de la gauche, et cherche a s’élargir au-delà des forces politiques en associant plus ou moins efficacement les forces sociales dans la dynamique… cela pourrait amorcer une re-politisation des citoyens.
Que cela dure ou pas, le bloc du peuple de gauche existe. Il est assez fort. Mais il est désorganisé et plein de contradictions. Il lui manque du contenu (pousser a gauche ? Voire sur des positions révolutionnaires !) et de la structure (les individus isolés, les lanceurs d’appels ou les militants d’associations qui ne s’organisent pas politiquement…).
A partir du 8 nous devrons travailler principalement a cela, a faire adhérer, notamment les jeunes, et à affûter nos positions idéologiques, a les uniformiser en interne, a se re approprier des contenus théoriques, a se doter de vocabulaire qui portent nos concepts, a faire de la subversion en externe, a créer des réseaux intellectuels, a traiter les sujets que nous évitons (UE, économie, tranquillité publique…).
Des militants pensent peut-être que nous sommes dans le trou. Moi je vois dans la situation la perspective d’un rebond, qui sera difficile, mais qui me semble avoir déjà commencé.
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