Catherine Ribeiro nous a quittés...
La chanteuse Catherine Ribeiro est morte à l’âge de 82 ans. Inclassable, irréductible, incorruptible, elle a chanté la passion, l’amour, la révolte. Elle est restée libre, jusqu’à son dernier souffle.
Elle aurait pu suivre cette route toute balisée empruntée par nombre de ses pairs à l’aune des années soixante. Elle figure d’ailleurs dans la « fameuse » photo de Jean-Marie Périer, photographe officiel de la génération yéyé. Mais déjà, peut-être instinctivement sent-elle qu’elle n’est pas à sa place, on la devine, au dernier rang, entre Hugues Aufray et Eddy Mitchell.
À peine la reconnaît-on. Elle ne sourit pas. Catherine Ribeiro refusera de jouer la carte de la jolie jeune fille qui se tient sage. En elle, ça bouillonne, ça tâtonne. Elle cherche, se cherche et, très vite, va bifurquer, laisser les chansons de midinettes pour midinettes. Elle rentre dans aucun moule, elle déborde, belle et rebelle, sauvage jusqu’au bout des mots des poètes dont elle va s’emparer, en catimini, ceux de Bob Dylan ou de Leonard Cohen. « La beauté insoumise de Catherine et sa colère chevillée à l’âme incommodent le show-business », disait d’elle Léo Ferré. Il avait tout juste.
« une femme qui lutte contre toutes les atteintes à la liberté dans le monde »
« J’ai appris mon enfance, face aux fumées d’usines, par les chemins des grèves empruntés par mon père » chante rageusement cette fille d’ouvrier portugais née dans la banlieue lyonnaise en 1941.
Ce sont les hasards de la vie et des rencontres qui lui font croiser la route de Patrice Moullet, qui deviendra son compagnon. Ils se rencontrent en 1963 sur le tournage des Carabiniers, de Jean-Luc Godard. Entre 1963 et 1993, elle jouera dans quatre films. Ce sera tout pour le cinéma.
En revanche, elle écrit déjà des poèmes, des chansons que Patrice Moullet va mettre en musique. Au printemps 1968, alors que le pays est en ébullition. Catherine Ribeiro tente de mettre fin à ses jours comme si elle voulait définitivement tourner la page de cette époque.
De 1969 à 1980, elle a la révolte au bout de langue. Ses mots sont affûtés comme des lames. « Je ne suis pas une femme d’un parti, disait-elle, mais une femme qui lutte contre toutes les atteintes à la liberté dans le monde, où qu’elles se produisent. Et je lutterai jusqu’à mon dernier souffle ». Pendant cette décennie giscardienne, elle va réaliser avec le groupe Alpes une dizaine d’albums et enregistrer de très nombreux 45 tours.
Solitaire mais solidaire
Cataloguée « Pasionaria de la chanson », elle ne veut pas se laisser enfermer, une fois de plus, une fois encore, dans une case. « Les paroles ne sont qu’un accessoire, je préférerais qu’on en arrive presque à des onomatopées pour remplacer les paroles. On le fera peut-être ; il faudrait que la voix serve d’instrument… Ce que je cherche à faire, c’est détruire complètement la chanson classique, avec refrain et couplets réguliers », disait-elle.
C’est gonflé. Une façon de ne rien lâcher, de ne pas se soumettre, encore et toujours, et de revendiquer une poésie qui expérimente, emprunte des chemins de traverse.
Voix puissante, sensuelle, elle s’entoure de musiciens qui pratiquent un folk-rock progressif aux accents symphoniques. C’est dire qu’elle ne passera plus à la radio mais ses concerts affichent complet, où qu’elle se produise. Toute de noir vêtue, ses cheveux corbeau en cascade dessinent un bouclier sur ce visage qu’on entraperçoit à peine lorsqu’elle s’avance dans la lumière.
Elle chante sans chercher à plaire, à séduire. Elle chante désespérément, crûment la Résurrection de l’amour, cette blessure « jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque ». Solitaire mais solidaire, elle s’engage pour la Palestine, pour les réfugiés chiliens, contre la guerre au Vietnam, pour l’écologie, contre le président Valéry Giscard d’Estaing…
Elle revendique deux amitiés : Léo Ferré et Colette Magny, « Coco, ma seule amie chanteuse ». Sa reprise de Melocoton est à l’opposé de l’interprétation de Magny, comme si elle ne posait pas les points de suspension au même endroit.
Elle ne va jamais cesser de créer
Les années quatre-vingt… terribles années pour bon nombre d’artistes qui seront invisibilisés. Comme Colette Magny, François Béranger, Catherine Ribeiro disparaît des écrans radars.
Pourtant, elle ne va jamais cesser de créer. Et de chanter sur scène. En 1995, elle joue au Théâtre des Bouffes du nord un récital, « Vivre libre ». Magnifique moment de communion – païenne – avec le public qui ne l’a jamais lâchée, reniée, oubliée, n’en déplaise à l’industrie musicale.
Marie José Sirach Article publié dans l'Huamnité