Éducation : les services du ministère étrillent Parcoursup
Il aura dormi presque un an et demi dans un tiroir ministériel : un rapport de l’Inspection générale de l’éducation dresse un bilan extrêmement critique de l’admission et de la réussite des étudiants en licence. Plus que jamais, pour arrêter le gâchis, abolir Parcoursup est une exigence non négociable.
Faire un rapport sur « l’accueil et la réussite des étudiants » en première année, six ans après la mise en place de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) et de son principal instrument, Parcoursup : excellente idée ! Réalisé par l’IGÉSR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) et rendu en mars 2023 aux ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, ce travail conséquent a été rendu public… le 15 juillet dernier.
Et cela dans une surprenante indifférence, car il dresse un constat accablant et confirme de manière officielle, même s’il faut parfois lire entre les lignes, les craintes et reproches qui s’étaient exprimés dès le début du processus.
Sélection omniprésente
Dans Parcoursup, les formations sélectives sont identifiées comme telles. Elles représentent d’ailleurs 78 % des formations proposées – mais seulement 44 % des 767 000 places.
Mais, constate le rapport, « la sélectivité d’une formation s’accompagne parfois d’un nombre important de places vacantes alors même que le nombre de candidats est important ». Et surtout, à l’inverse, certaines licences dites non sélectives refusent des candidats « en raison de leurs capacités d’accueil limitées ».
Des licences réputées accessibles aux classes préparatoires prisées, toutes les formations sont devenues sélectives. « La question du caractère sélectif a priori perd de son sens », euphémise l’IGÉSR, qui formule des recommandations quelque peu contradictoires : d’abord que toutes les formations, quelles qu’elles soient, classent les candidats – autrement dit, généraliser officiellement la sélection. Ensuite, définir les capacités d’accueil et l’allocation des moyens en fonction de la « soutenabilité pédagogique » des formations.
Accueillir plus d’étudiants, sans moyens supplémentaires
Ce qui signifie, explique Julien Gossa, maître de conférences à l’université de Strasbourg et spécialiste des transformations de l’enseignement supérieur, qu’« on ne peut accueillir de plus en plus d’étudiants à moyens constants sans détériorer la qualité des formations ».
Et, de fait, en proposant de « donner les moyens aux universités de faire réussir davantage d’étudiants » en licence, pour un coût estimé dans une fourchette de 400 millions à près de 3 milliards d’euros, le rapport prend une position qui rejoint parfaitement celle de nombreux syndicats d’enseignants comme d’étudiants.
Confrontés à une injonction contradictoire – accueillir de plus en d’étudiants tout en préservant « l’excellence », le tout à moyens au mieux constants –, les établissements d’enseignement supérieur ont fait le choix de différencier leurs licences.
Élitisme universitaire… et financier
Ainsi, « une offre plus exigeante et intensive s’est progressivement développée », observe l’IGÉSR, avec « souvent une dimension pluridisciplinaire et un caractère sélectif » (cas des doubles licences, rares voilà quelques années, aujourd’hui nombreuses), dans l’objectif « d’attirer d’excellents étudiants qui se dirigeaient auparavant vers d’autres formations ».
Le corollaire, c’est que, à moyens constants, cette différenciation entraîne une concentration des moyens sur ces filières élitistes, au détriment des autres.
Autre biais : certaines universités assortissent leurs licences de certains « à-côtés » (par exemple, des diplômes d’université) qui enrichissent les contenus, mais constituent aussi un moyen d’accroître la sélection – qui peut être financière, puisque certains de ces dispositifs s’accompagnent de frais supplémentaires.
Des étudiants « fragilisés »
Tous les responsables de formation interrogés par la mission « ont souligné l’hétérogénéité croissante du public accueilli » et ont « mis en avant l’impact de la réforme du lycée », notamment en termes d’acquis scolaires.
Les choix de spécialités au bac inadaptées aux études envisagées justifient « pour beaucoup la mise en place de modules de remédiation, en particulier dans les matières scientifiques ».
C’est, en quelques lignes, un terrible réquisitoire contre le « bac Blanquer » que formule ainsi le rapport – après bien d’autres, syndicats ou associations savantes, dont les ministres n’ont pourtant cessé de balayer les objections.
À cela s’ajoute un autre constat : celui de la « fragilisation » des étudiants, sur tous les plans, consécutive aux confinements et à un accompagnement insuffisant. L’IGÉSR insiste dans ce domaine sur l’importance de la « proximité pédagogique » entre enseignants et étudiants (que les cours en distanciel ne facilitent certes pas) et la nécessité de prendre « davantage en compte les rythmes étudiants » dans l’organisation des emplois du temps.
Le rapport formule là aussi des recommandations – travail en petits groupes, suivi individuel, moindre recours aux enseignants vacataires – dont le coût global est estimé à près de 150 millions d’euros.
Un système qui fait le lit du privé
C’est en fait la première constatation du rapport : l’explosion du nombre de formations supérieures proposées dans Parcoursup, passé de 13 000 à 21 000 entre 2018 et 2022, « traduit un mouvement de différenciation des parcours et une concurrence accrue entre formations », et « une forte augmentation de la part de l’enseignement supérieur privé ».
L’enseignement supérieur ne peut suivre ce rythme effréné, quand bien même il en a le souhait : « Cette ambition se heurte toutefois à la question des moyens », martèle l’IGÉSR. Là encore, elle ne fait que confirmer le diagnostic posé dès 2018 par nombre d’acteurs et d’observateurs du système, que l’intégration désormais quasi totale de l’offre privée dans Parcoursup permet à présent sans limites.
Avec un autre effet pervers, que note le rapport : face à cette offre inégale et faute d’une information de qualité, les néobacheliers et leur famille ne peuvent manquer de se perdre.
Et au final, le tableau dressé par les plus qualifiés des observateurs ne fait que mettre en relief cette disposition que le Nouveau Front populaire a inscrite, noir sur blanc, dans son programme : l’abrogation de Parcoursup. Étonnant, non ?
Olivier Chartrain Article publié dans l'Humanité