L’Élysée n’a jamais autant dépensé en une année...

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

Mais où passe notre fric ? Après la publication d’un rapport de la Cour des comptes sur l’explosion des dépenses de l’Élysée en 2023, Le Point a interrogé René Dosière, spécialiste de la gestion des finances publiques.

 

Avec 8,3 millions d'euros de déficit, jamais l'Élysée n'avait autant dépensé durant une année. La Cour des comptes a dévoilé dans son rapport annuel la hausse flagrante des dépenses du palais présidentiel. Entre frais de déplacement, réceptions majestueuses de chefs d'État ou encore incohérence budgétaire, l'année 2023, avec ses plus de 125 millions d'euros de dépenses, aura été coûteuse.

 

René Dosière, ancien député, spécialiste de la gestion des finances publiques et auteur de Frais de palais : la vérité sur les dépenses de l'Élysée (éditions de l'Observatoire, 2020), revient pour Le Point sur ce dérapage historique.

 

Le Point : Ce rapport est-il historique, puisqu'il révèle un dérapage sans précédent des comptes de l'Élysée ?

 

René Dosière : D'abord, je souligne que c'est un rapport dense. Il s'agit du rapport le plus épais de la Cour des comptes depuis au moins 2017, mais également du plus complet puisque ce dernier examine tous les aspects de fonctionnement de la présidence de la République. Cependant, je regrette que la Cour, qui par ailleurs a fait un très bon rapport, soit parfois tombée dans une sorte de voyeurisme en recensant le détail des déplacements et des réceptions effectués par l'Élysée.

 

Selon vous, ces détails n'auraient-ils pas dû être mentionnés ?

 

En réalité, j'ai été choqué par le fait que la Cour donne un détail du coût d'une visite d'État. Quand vous invitez quelqu'un chez vous, vous ne lui dites pas combien cela va coûter. Je pense que, quand il s'agit d'un chef d'État, le problème n'est pas de savoir la note mais bien de s'assurer que ce dernier puisse repartir chez lui en ayant une idée magnifique de la France. La restauration, les arts de la table et le service sont évidemment des synonymes de la grandeur de la France à l'international. C'est pourquoi, dans mon ouvrage, je m'étais refusé à poser la question du coût d'un repas d'État. Je considère que le faire serait pour le moins discourtois.

 

Concernant le budget de l'Élysée, avez-vous été surpris par un tel dérapage ?

 

On ne peut pas être surpris pour la bonne raison que l'Élysée lui-même avait souligné un possible dérapage pour l'année 2023 à cause de l'activité du président. D'autant moins surpris, aussi, qu'il y a deux mois, dans l'indifférence générale, l'Élysée avait rendu, comme tous les ans, son rapport sur l'exécution budgétaire. Tous les chiffres de la Cour des comptes, c'est-à-dire les chiffres globaux, y figuraient déjà. Par conséquent, il n'y a pas de surprise puisque tout cela était attendu depuis neuf mois. La simple nouveauté concerne les explications détaillées que peut fournir la Cour des comptes, qui a accès à toutes les factures.

 

Comment expliquez-vous une telle hausse ?

 

On peut l'expliquer en partie par l'activité accrue de la présidence de la République. Certes, si le président ne faisait rien, il n'y aurait aucune dépense, mais il y a malgré tout la manière. On peut se déplacer avec moins de personnes et avec moins d'avions. On peut également limiter les réceptions et inviter moins de personnes lors de ces dernières. D'ailleurs, la Cour montre très bien que l'on peut faire aussi bien dans l'exercice du pouvoir tout en dépensant moins. D'ailleurs, François Hollande le faisait. Il a été le plus économe de tous. Quand il se déplaçait, il limitait la liste des invités et prenait non pas l'avion le plus cher mais bien celui le plus adapté à son voyage.

 

Au fond, Emmanuel Macron a tendance à se comporter comme Nicolas Sarkozy, dont on avait critiqué en son temps ses dépenses ostentatoires. Le budget de l'Élysée doit être exemplaire et ce rapport montre qu'il ne l'est pas. Il existe un problème d'organisation et de direction politique. Il y a, par exemple, beaucoup d'improvisations et d'annulations faites à la dernière minute. Elles ont un coût certain.

 

Quelles seraient les pistes d'amélioration dans la gestion de ce budget ?

 

À plusieurs reprises, la Cour souligne beaucoup de progrès faits par l'Élysée dans la gestion des budgets. Mais il en reste à faire. D'ailleurs, il y a deux recommandations qui me paraissent essentielles dans ce rapport. Premièrement, la Cour préconise de remettre dans le budget révisé la totalité des dépenses qui n'y sont pas encore. À l'heure actuelle, certaines dépenses sont encore prises en charge par différents ministères. Il serait judicieux de régulariser tout cela pour tendre vers un budget plus véridique de l'Élysée. Certes, cela augmenterait le volume budgétaire, mais cela n'aurait pas d'incidence financière puisque les dépenses qui sont actuellement prises dans d'autres ministères diminueraient.

 

Deuxièmement, la Cour des comptes réclame, une nouvelle fois, que l'Élysée puisse entreprendre une comptabilité analytique du personnel. Cela permettrait de répartir les dépenses du personnel et des 800 personnes qui travaillent à l'Élysée selon leurs diverses activités. Pour donner un exemple, lors des déplacements ou des réceptions, le coût du personnel n'est pas indiqué. Seul le coût des prestations y est inscrit. Il s'agit là d'un problème.

 

La Cour rappelle également que, dans le passé, un certain nombre de remarques n'ont pas toujours été suivies d'effet. On peut notamment mentionner le fait que les policiers faisant partie du corps de sécurité de la présidence de la République ont des rémunérations qui leur sont payées deux fois : une fois par l'Élysée et une fois par le ministère de l'Intérieur. Voilà des exemples qui doivent être remis en ordre, d'autant plus que la Cour le réclame depuis plusieurs années.

 

Pour 2024, l'Élysée a demandé une rallonge de 12 millions d'euros dans son budget. Celle-ci sera-t-elle validée ?

 

L'Assemblée nationale n'a pas le droit de refuser le budget de l'Élysée. Mais, puisque l'Élysée fixe lui-même le budget qui lui est nécessaire, il est légitime que la présidence de la République dispose des sommes dont il a besoin pour fonctionner.

 

Fort heureusement, la Cour des comptes contrôle le budget après coup et fait des observations quand elle considère que les dépenses ne sont pas exemplaires. Ainsi, la majeure partie des directives émises par la Cour est ensuite suivie par l'Élysée au fil du temps pour adapter un budget sur les règles des administrations publiques. Il ne faut pas l'oublier, le rôle de la Cour des comptes est essentiel.

 

Interview réalisé et publié par le Point

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