Ukraine : après quinze jours, l’opération de Koursk interroge toujours
Depuis l’incursion ukrainienne le 6 août en territoire russe, les doutes demeurent sur l’impact de cette initiative surprise. Les premiers succès n’ont pas desserré l’étau dans le Donbass, où l’armée Russe a conquis la ville de Niou-Iork et menace Pokrovsk.
Depuis quinze jours, la Russie a subi une incursion de l’armée ukrainienne dans la région de Koursk. Au total, les forces, parties de l’oblast de Soumy le 6 août pourraient avoisiner les 40 000 hommes. Aujourd’hui, Kiev affirme avoir pris 1 200 kilomètres carrés et près d’une centaine de localités. L’objectif d’étendre le conflit sur « le territoire de l’agresseur » et de créer une « zone tampon » est en partie rempli. La prise de territoires russes « vise à protéger nos communautés frontalières des bombardements hostiles quotidiens », a justifié le ministre ukrainien de l’Intérieur. Ces derniers jours, la destruction de trois ponts entre le sud de la rivière Seïm et le côté russe de la frontière confirme cette volonté de Kiev de réduire les possibilités de renfort pour les contingents russes et d’empêcher l’envoi de troupes vers l’Ukraine. Le but est de « détruire la logistique de l’armée russe et la vider de ses réserves », a expliqué le gouvernement ukrainien.
Un équilibre difficile entre Koursk et Donetsk
Face aux avancées de l’armée russe dans le Donbass, les Ukrainiens ont voulu démontrer qu’ils pouvaient encore déclencher des opérations. Dans sa note hebdomadaire, le général Olivier Kempf, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, pointe : « C’est le moment ou jamais de faire diversion ou, plus exactement, d’utiliser une stratégie indirecte. De poser un problème nouveau à l’ennemi. D’y consacrer des forces, quand on en dispose encore, plutôt que de laisser croire à l’inéluctable, comme cela s’installait dans les esprits depuis quelques mois. Ça ne permettra pas de gagner mais peut-être, temporairement, cela évitera de perdre. »
Dans le même temps, Kiev s’efforce de trouver un équilibre entre cette incursion coûteuse en moyens humains et militaires et la défense du Donbass, notamment la région de Donetsk. L’armée russe aurait conquis, ce mardi, l’une des plus grandes localités de l’agglomération de Toretsk : Niou-Iork. Ce gain territorial marque une progression régulière dans cette partie de l’Ukraine. L’inquiétude porte désormais sur la ville de Toretsk, à quelques kilomètres (30 000 habitants avant la guerre), et sur Pokrovsk, sous la menace désormais de l’artillerie russe.
Si ces villes venaient à tomber, des nœuds stratégiques permettant l’accès à des connexions routières et ferroviaires pour Dnipro, Kramatorsk et Sloviansk tomberaient. « Ses prises diminueraient largement les territoires de l’oblast de Donetsk encore aux mains des Ukrainiens. L’objectif final pourrait être de prendre Kramatorsk, ce qui explique la volonté de maintenir les opérations malgré Koursk, pour Moscou », analyse une source diplomatique en Russie.
Des lignes rouges encore repoussées
Face à cette difficulté de manœuvrer entre les deux fronts (Soumy-Koursk et le Donbass), Zelensky a réitéré sa demande aux Occidentaux de l’autoriser à frapper le territoire russe avec des armes à longue portée. « L’Ukraine ne peut arrêter l’avancée de l’armée russe sur le front que par une seule décision que nous attendons de nos partenaires : la décision sur les capacités à longue portée », a réclamé le président ukrainien. L’incursion en territoire russe a encore repoussé les lignes rouges. L’utilisation d’armes occidentales dans le succès de l’opération (missiles Himars, véhicule blindé Stryker et Challenger, drones) a été confirmée. Il apparait clairement que l'utilisation de ses armes n'avaient pas une vocation défensive mais offensive pour transférer la guerre sur le territoire de la Russie avec l'aval des Etats-Unis et de l'Otan.
Après l’arrivée d’avions F-16, les capitales occidentales sont-elles prêtes à franchir une étape supplémentaire dans l’engrenage ? Les doutes sont permis. Car de telles frappes sur le sol russe en feraient des parties cobelligérantes. La réponse de Moscou face à cette nouvelle étape inquiète. « Mobilisation générale, missiles stratégiques, répercussions diplomatiques… les contre-mesures peuvent être nombreuses. On est davantage dans une volonté de sortie de cette guerre et de négociations que de franchir un cap supplémentaire », juge ce même diplomate.
Les autorités russes se sont à chaque fois adaptées aux nouvelles décisions en faisant le pari de la supériorité humaine et de production militaire. L’autre analyse serait que Zelensky entend peser avant un contexte international qui lui soit moins favorable entre l’élection américaine, la lassitude des chancelleries occidentales et les problèmes économiques.
L'Ukraine fait flamber le prix du gaz
L’occupation de la ville de Soudja, point de connexion majeur dans les flux de gaz transitant de la Russie à l’Europe via l’Ukraine, a fait gonfler les prix de 12 % depuis le début du mois.
Depuis le 6 août, la vaste offensive ukrainienne, qui a permis à Kiev de s’emparer de nombreuses localités dans la région russe de Koursk, fait trembler les marchés. Le 12 août, les prix de gros du gaz ont atteint leur plus haut niveau depuis décembre, soit 42,60 euros le mégawattheure (MWh) à l’indice TTF de Rotterdam, qui fixe la tarification pour l’ensemble du marché européen. Actuellement à 40 euros/MWh, le prix s’est envolé d’environ 12 % depuis le début du mois, confirmant la tendance.
Loin de l’explosion des prix, qui tutoyait au début de la guerre, en 2022, les 250 euros/MWh, ou encore les 48 euros/MWh en octobre 2023, cette soudaine augmentation s’explique notamment par l’appréhension des spéculateurs quant à l’avenir du gazoduc reliant la Russie à l’Europe de l’Est, en passant par l’Ukraine.
Selon l’économiste de l’énergie Jacques Percebois, « ces inquiétudes se sont alourdies ces derniers jours à cause de l’intensification des combats dans la région de Koursk », où la riposte russe se poursuit pour reprendre le contrôle des 1 250 kilomètres carrés et des localités désormais revendiqués par Kiev.
L’avenir incertain de Soudja
En prenant d’assaut la petite ville de Soudja notamment, l’armée ukrainienne a ainsi mis la main sur une installation gazière cruciale : il s’agit de l’un des points névralgiques du réseau acheminant encore du gaz russe vers l’Europe par l’Ukraine. Il s’étend jusqu’à la Slovaquie et transporte le gaz vers la République tchèque, à destination de clients tels que l’Autriche ou la Hongrie.
Depuis le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 vers l’Allemagne, en septembre 2022, et la fermeture du pipeline Yamal-Europe transitant par la Pologne en mai 2022, ce tuyau est l’une des seules sources d’approvisionnement directe de gaz russe des États membres, avec le Turkish Stream qui relie, lui, la Russie à la Turquie sous la mer Noire pour approvisionner la Bulgarie et la Serbie.
La prise de la station de Soudja, dont l’avenir reste pour l’heure totalement inconnu, n’est pas le seul point d’incertitude qui déstabilise le cours du gaz. L’accord intergouvernemental de transit signé en 2019 entre la société nationale de gaz naturel de l’Ukraine et l’entreprise énergétique Gazprom, qui court jusqu’en décembre 2024, pourrait également ne pas être renouvelé, comme l’ont formulé les deux camps.
Cet accord permettait jusqu’à présent de maintenir la stabilité des flux à travers l’Ukraine, mais « son non-renouvellement pourrait décupler la volatilité des prix du gaz en Europe dans les mois à venir », note Jacques Percebois.
C’est pourquoi l’incursion pourrait avoir un impact dès l’automne sur les factures des Français, alors qu’elles se sont déjà alourdies de 12 % au 1er juillet, en vertu des recommandations de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). L’économiste relativise : la quantité de gaz russe fournie aux États membres ne représentait fin 2023 que 8 % des importations via gazoduc (14 % avec le gaz naturel liquéfié), contre 40 % en 2021. Si ce chiffre semble dérisoire, certains pays restent cependant fortement dépendants de l’hydrocarbure russe, à l’instar de l’Autriche, qui importe 98 % de son gaz de Russie.
Sources : l'Humanité