Hommage à Laurent Gonon disparu le 3 septembre...
Pascal Marichalar, historien au CNRS, rend hommage à Laurent Gonon, tourneur-outilleur (1955) ; maître imprimeur 1968-1997 ; docteur en gestion (1985) ; militant communiste.
Dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 septembre 2024, Laurent Gonon est mort. Il aura marqué de son exemple et de son action généreuse plusieurs générations d’ouvriers et d’ouvrières, de militantes et de militants, d’universitaires et de juristes du département du Rhône et alentours.
Par sa personne, sa bonne humeur, son intelligence, Laurent Gonon incarnait l’idée selon lequel tant qu’il y a de la lutte, il y a de l’espoir. L’espoir de faire ressortir le meilleur en chacun, l’espoir d’une société de justice sociale et de solidarité qui garantisse à chacun les mêmes droits au bonheur.
Une partie de ce qui va suivre est inclus dans la fiche du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Le Maitron, dans une fiche rédigée par Lucien Mathieu il y a déjà une quinzaine d’années. J’y ajoute des souvenirs personnels.
Né le 31 mars 1937 à Lyon, Laurent Gonon est le fils d’une passementière et d’un imprimeur sur étoffes. Toute sa vie, il a été fier de descendre des milieux du textile lyonnais qui ont marqué l’histoire du mouvement ouvrier – par exemple, son aïeul François Bernard-Barret, éditeur de L’Écho de la Fabrique, le journal qui a accompagné l’insurrection des Canuts, ce qui rejoignait l’autre passion de Laurent, l’imprimerie. Son opiniâtreté de généalogiste avait réussi à prouver et illustrer cette filiation par un arbre impressionnant, qui était même plutôt une rosace, qui ornait l’un des murs de son bureau.
Militant dans le mouvement d’enfants proche du parti communiste, les Vaillants et Vaillantes, où il fut moniteur de colonie de vacances, il y a rencontré celle qui serait sa compagne de cœur et de lutte pour toute sa vie, Josette Briane. Josette qui l’a précédée dans la mort de seulement quelques mois (elle s’est éteinte le 19 février dernier).
Laurent a longtemps dirigé l’imprimerie du mouvement ouvrier de Vénissieux. Il a également joué un rôle important dans les commissions sur la formation professionnelle des imprimeurs. Il fut une pièce essentielle des réseaux de solidarité reliant ouvriers, responsables politiques communistes et intellectuels dans la région lyonnaise.
Laurent et Josette habitaient Givors, une ville secouée par les fermetures d’usines et restructurations à partir de la fin des années 1970. Fives-Lille, maternité de Givors, verrerie de Givors. Dans nombre de ces dossiers emblématiques dans lesquels Laurent s’est investi, en soutien aux ouvriers en lutte, apportant ses compétences précieuses en matière de comptabilité d’entreprise, de rédaction, d’impression, de prise de parole en public. C’était un intellectuel public, au sens où on parle d’un écrivain public, aux services de ses concitoyens. Par exemple, il était particulièrement fier du moment des années 1990 où, avec l’aide d’un ingénieur, il avait réussi à démontrer qu’il était possible d’étendre la verrerie de Givors en inversant les lignes de production, alors que la direction prenait prétexte de l’impossibilité d’étendre la verrerie pour la menacer, déjà, de fermeture.
Il se fixait régulièrement de nouveaux défis. Titulaire d’un CAP de tourneur, il décida dans les années 1980 de s’embarquer dans une thèse de doctorat en gestion. Celle-ci fut consacrée à un grand thème de la gauche de l’époque, l’application des lois Auroux visant à réintroduire de la démocratie dans l’entreprise, avec comme terrain d’enquête spécifique, le secteur de l’imprimerie. Malgré la taille imposante du mémoire, il était évidemment dépourvu de toute coquille typographique, car Laurent était un imprimeur perfectionniste. Il aimait aussi les blagues, et réussit à faire organiser quelque chose d’improbable : à l’issue de la soutenance de thèse, son diplôme de doctorat lui fut remis par Yvon Gattaz, qui dirigeait alors le Conseil national du patronat français.
Un autre des défis auquel il s’affronta fut celui constitué par le dossier des maladies professionnelles des anciens verriers, autour duquel je l’ai rencontré pour la première fois au printemps 2013. Comme le savent les verriers à leur corps défendant, la technicité de la matière est immense : il faut se familiariser avec le droit de la sécurité sociale, les fiches de données de sécurité en toxicologie, les enquêtes épidémiologiques. Laurent ne s’en est pas effrayé.
En 2015, son expertise était telle qu’il réussit à faire accepter un article long et détaillé intitulé « Maladies professionnelles des verriers : le déni des droits » dans le Journal de médecine légale, une revue scientifique qui reconnut ainsi sa maîtrise du sujet. Jusqu’au bout, il a été aux côtés des verriers et de leurs proches, pour leur apporter des conseils stratégiques, faire l’intermédiaire avec les avocats, mais aussi pour partager cet optimisme qui ne le quittait pas.
Chez Laurent et Josette, on mangeait sous le regard bienveillant de Jean Ferrat, dessiné par Ernest Pignon Ernest. Les fruits et légumes étaient du jardin, le vin ne venait jamais de très loin, les délicieux biscuits qui accompagnaient le café étaient faits maison par Josette. Après le repas, on regardait des émissions littéraires ou musicales, derrière la table basse sur lequel étaient empilés de très nombreux livres et les derniers exemplaires de L’Humanité. Une affiche sur la porte d’entrée proclamait l’ouverture du foyer aux invités de toutes origines géographiques et culturelles, et même dans les moments où l’extrême-droite semblait avoir le vent en poupe, Laurent faisait remarquer à ses amis tentés par ce vote qu’ils faisaient erreur et que seule la vraie gauche pouvait améliorer leur condition sociale et amener une société plus juste. Son exemple est inspirant, l’absence qu’il laisse est immense.