Japon : échec des conservateurs aux élections législatives !
Japanese Communist Party (JCP) Chairperson Tomoko Tamura and former Chairman Kazuo Shii (left) attend a press conLa présidente du Parti communiste japonais (PCJ) Tomoko Tamura et l'ancien président Kazuo Shii (à gauche) participent à une conférence de presse après le congrès du Parti communiste, le 18 janvier 2024 à Atami. © Takeo Maeda / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun via AFP
La droite conservatrice perd sa majorité à la Chambre des représentants, à la suite des élections législatives anticipées de ce dimanche. L’archipel va connaître sa troisième coalition gouvernementale en 70 ans.
Ils perdent une majorité absolue vieille de quinze ans. Les conservateurs du Parti libéral-démocrate (PLD, droite) viennent de subir une sévère défaite lors des élections législatives anticipées qui se déroulaient ce dimanche 27 octobre. Le parti du nouveau premier ministre Shigeru Ishiba obtient 191 sièges à la Chambre des représentants, la chambre basse de la Diète japonaise. C’est beaucoup moins que les 258 sièges de 2021, et surtout moins que les 233 nécessaires à la majorité absolue, dans un hémicycle de 465 sièges. « Nous avons reçu un jugement sévère », a-t-il avoué à la télévision japonaise, la mine déconfite.
Principal parti d’opposition, le Parti démocrate constitutionnel (PDC, centre) est le grand gagnant du scrutin, glanant quelque 150 représentants, contre 99 en 2021. Le Komeito, allié principal du PLD, en obtient 24, et le Parti communiste japonais (PCJ) n’obtient que 8 élus, après en avoir eu 10 en 2021.
Désaveu pour Shigeru Ishiba
Les Japonais ont donc mis fin au règne quasiment sans partage des faucons conservateurs depuis 1945. C’est un sérieux désaveu pour Shigeru Ishiba, élu lors d’un vote interne au PLD en septembre dernier. Il avait dissous dans la foulée la Chambre des représentants et convoqué ces législatives anticipées pour tenter de surfer sur la vague.
Pari perdu pour les conservateurs, privés de leur domination pour la première fois depuis 2009, et qui ne tiendront désormais leur majorité absolue qu’avec l’alliance des droites et du centre. « Le Parti libéral-démocrate a changé de président, mais rien ne change au sein du PLD », prévenait la présidente du Parti communiste, Tomoro Tamuka, durant la campagne. De nombreuses circonscriptions, dont certaines étaient considérées comme des fiefs de la droite, ont ainsi sanctionné la formation au pouvoir.
Plusieurs facteurs expliquent que le PLD n’ait pu retrouver la confiance des Japonais. Cette dernière a d’abord été perdue après les scandales des dons de campagne perçus illégalement par le parti. Cette fraude électorale avait poussé de nombreux ministres à la démission, et le chef du gouvernement d’alors, Fumio Kishida, à renoncer à se représenter. Le parti conservateur est également déchiré par la lutte entre ses « factions », les différents courants qui l’animent.
Les Japonais ouvrent les yeux
Lors de l’élection interne de septembre, le libéral Shigeru Ishiba ne l’a emporté que d’une courte tête devant Sanae Takaichi, partisane d’une ligne réactionnaire, nationaliste et révisionniste quant aux crimes de guerre de l’empire japonais. Et pour séduire sa frange extrême, Ishiba n’a pas hésité, le 17 octobre dernier, à faire des offrandes au sanctuaire de Yasukuni, où reposent criminels de guerre, officiers de la Kenpeitai – la « Gestapo japonaise » – et autres auteurs d’expériences et de sévices sur des êtres humains.
À l’échelle du pays, la mauvaise santé économique et l’inflation provoquées par un libéralisme toujours plus poussé des dirigeants ont ouvert les yeux du peuple japonais. La jeunesse de l’archipel, notamment, manque cruellement de perspectives, et commence à remettre en cause une société basée essentiellement sur le travail.
Le capitalisme effréné du Japon a amené à la plus la plus grande menace à laquelle il doit faire face, et qui est identifiée depuis les années 1990 : la baisse de la natalité. Le pays a l’un des taux les plus bas au monde, avec 1,2 enfant par femme, et moins d’un dans la capitale, Tokyo. Chaque année, l’archipel bat son record du plus bas nombre de naissances, et est depuis quelques années en phase de dépopulation.
Une militarisation à outrance
Enfin, la militarisation effrénée du Japon, au mépris de sa Constitution pacifique héritée de la Seconde guerre mondiale, effraie la population, qui craint d’être entraînée dans un conflit régional entre les puissances impérialistes états-unienne et chinoise. Shigeru Ishiba a en outre laissé entendre que le Japon pourrait se lancer dans la construction de l’arme nucléaire. « Il est inacceptable que le premier ministre du seul pays ayant reçu la bombe atomique prône l’armement nucléaire », s’est interloquée Tomoko Tamura.
C’est d’ailleurs sur l’opposition à cette militarisation qu’une alliance entre le PDC et le PCJ aurait pu voir le jour. Un temps avancé par les deux partis, elle a finalement battu de l’aile, une dizaine de circonscriptions mises à part, à la suite de nombreuses invectives entre des candidats centristes et communistes que presque tout oppose. Désormais, les négociations pour former un gouvernement de coalition vont avoir lieu entre la coalition PLD-Komeito et le PDC, car ce dernier « n’élimine aucune possibilité », de l’aveu de son secrétaire général Junya Ogawa.
Kazuo Shii, du Parti communiste japonais : « Nous voulons sortir de ce cercle vicieux guerrier »
Kazuo Shii, président du Comité central du Parti communiste japonais, aborde pour l’Humanité les mois cruciaux à venir. En plus des élections générales de 2025 et de la politique de la droite conservatrice au pouvoir, il évoque un plan de paix pour la région et contre la militarisation sino-américaine.
Sa détermination n’est toujours pas entamée. Kazuo Shii a accepté de répondre à nos questions, malgré un enchaînement de rendez-vous européens pour la délégation du Parti communiste japonais. L’ancien président du PCJ et actuel président du Comité central est en tournée pour présenter ses « propositions pour la construction de la paix en Asie de l’Est ». Écrit en collaboration avec l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), ce texte promeut la démilitarisation de la région et l’opposition aux visées impérialistes états-unienne et chinoise.
Kazuo Shii ne connaît que trop bien les dangers de l’alignement sur Washington. Plus de 50 000 soldats américains sont basés au Japon, à Okinawa notamment, et la droite au pouvoir ne cesse de détricoter la Constitution pacifiste du pays pour suivre la course à l’armement des deux superpuissances. Alors qu’un nouveau premier ministre prendra le pouvoir à la fin du mois, les communistes souhaitent réunir le plus largement possible autour de leurs idées, avant les élections générales de 2025.
Le premier ministre Fumio Kishida a annoncé qu’il laisserait le pouvoir, fin septembre, à un autre cadre du Parti libéral-démocrate (PLD). Que pensez-vous de cette situation ?
La démission de Fumio Kishida intervient après un gigantesque scandale de fraude fiscale. Le journal Akahata (l’organe de presse du PCJ – NDLR) était l’un des premiers à alerter sur ce sujet. La colère a progressivement gagné la population, choquée. Mais aucun des autres candidats du PLD n’a de réflexion pour résoudre ce problème. Le fond de ce scandale tient du néolibéralisme, de la déconnexion à la vie quotidienne des gens.
Ce changement de dirigeant intervient à quelques mois des prochaines élections générales. Vous êtes alliés avec le Parti démocrate constitutionnel (PDC, centre). Comment vous y préparez-vous ?
En plus de réinstaurer la confiance des Japonais, nous devons aborder la question de la militarisation de l’archipel. Celle-ci a énormément augmenté sous l’influence des États-Unis. En matière de politique intérieure comme de diplomatie, le PLD nous mène à une impasse.
Nous avons des liens avec le PDC, et avons gagné plusieurs fois grâce à cette alliance. Mais la campagne anti-communistes est de plus en plus forte contre la coalition, notre coopération est donc plus limitée. Notre objectif principal est de s’efforcer de concentrer nos efforts pour gagner en sièges et en influence. Nous visons 6,5 millions de voix, alors que nous en avons eu 4,1 millions en 2021. C’est une différence importante, mais notre ambition l’est aussi.
En France, en Inde ou ailleurs, les communistes forment aussi des coalitions avec les sociaux-démocrates. Pensez-vous que ces alliances soient indispensables ?
Il faut des alliances pour changer de politique, oui. Mais il y a des différences avec la France, par exemple, où l’on assiste à une union de la gauche. Au Japon, nous nous sommes efforcés de construire une alliance jusqu’aux partis conservateurs. Le PDC a ses propres positions, mais nous sommes d’accord sur la lutte contre la militarisation menée par le parti au pouvoir.
À Okinawa, il y a eu plusieurs affaires de viol par des soldats américains. Cela a ranimé le mouvement de contestation contre les bases états-uniennes sur l’île…
Le PCJ a longtemps été influent au sein de la préfecture d’Okinawa, qui est occupée par des bases militaires américaines. De tout temps, les incidents ont été légion. Beaucoup de crimes ont été commis par les soldats états-uniens, dont des viols de jeunes filles japonaises. Les deux pays veulent construire une nouvelle base, sur la baie de Henoko (à l’est). Mais nous avons continué de mener la contestation contre ce projet auprès de la population en colère. J’espère vraiment que la communauté internationale prête attention à ce mouvement de contestation à Okinawa.
Vous avez justement rédigé des propositions de paix en mer de Chine orientale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous ne pouvons tout simplement pas tolérer l’attitude hégémonique de la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale. Mais, dans le même temps, nous sommes fortement opposés à l’attitude du parti au pouvoir qui veut corps et âme une augmentation des bases militaires américaines.
Nous voulons sortir de ce cercle vicieux guerrier. C’est pour cela que nous avons publié nos propositions en faveur d’une paix régionale.
Axel Nodinot Articles publiés dans l'Humanité