Un rapport non divulgué dresse un bilan mitigé de la réforme du RSA
Selon un rapport auquel nous avons eu accès, le gouvernement surestime les résultats de l’expérimentation de la réforme du RSA qui sera conditionné à 15 heures d’activité partout en France dès 2025.
Pour les bénéficiaires de minima sociaux, le changement de gouvernement n’aura rien changé. La stratégie en matière d’insertion de Michel Barnier s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur. Dès son discours de politique générale, le Premier ministre a confirmé que la réforme du revenu de solidarité active (RSA) entrerait bel et bien en vigueur en 2025, partout sur le territoire.
Pour rappel, la loi plein-emploi de 2023 avait acté l’obligation pour les bénéficiaires du RSA de s’inscrire à France Travail (ex-Pôle emploi) et de signer un contrat qui les engage à effectuer 15 heures d’activité par semaine en contrepartie du versement de leur allocation. La philosophie derrière ce procédé ? Ce revenu « ne doit pas être uniquement un filet de sécurité »1, résume Michel Barnier.
Mais avant que cette réforme ne soit généralisée, elle a été expérimentée dans 47 territoires. « Là où la réforme du RSA a été engagée, ça marche, comme à Marseille où, après six mois d’accompagnement, une personne sur trois est sortie du RSA », s’est félicité le chef du gouvernement. Comme Gabriel Attal avant lui, il semblerait néanmoins que Michel Barnier ait une fâcheuse tendance à embellir la réalité.
Un bilan de l’expérimentation a bel et bien été mené, mais ce rapport n’a pas été rendu public. Cette évaluation qualitative sur douze mois a été conduite par deux cabinets et s’appuie sur des centaines d’entretiens avec des professionnels, représentants d’institutions et allocataires. Or, ce document daté du mois de juillet, auquel nous avons pu avoir accès, pointe plusieurs limites de « l’accompagnement rénové » mis en œuvre par la réforme. Et en cas de généralisation du RSA conditionné, ces problèmes ne devraient pas être réglés…
1/ Un bilan mitigé sur les heures d’activité
Les 15 heures d’activité obligatoires constituent la première source d’inquiétude chez le personnel accompagnant les bénéficiaires du RSA. Non seulement le rapport souligne que l’accompagnement mis en place, du fait de sa personnalisation, est chronophage, mais également qu’il ne s’appuie pas sur un référentiel clair.
Comme nous l’expliquions déjà pour les contrats d’engagement jeune (CEJ), qui ont servi de modèle à la réforme du RSA, les activités prises en compte peuvent parfois ne pas être utiles aux personnes suivies et leurs durées peuvent être surévaluées. Ce que nous expliquait déjà une conseillère en mission locale pour le CEJ : « L’inscription sur les listes électorales, une consultation médicale, la pratique du sport ou d’une activité culturelle, ça compte pour deux heures d’activités. La réalisation du CV ou une leçon de conduite pour le permis ? Là, on est sur trois heures. »
Les bénéficiaires interrogés dans le rapport reconnaissent les bienfaits de certains ateliers pour reprendre confiance en eux, mais les professionnels qui les accompagnent craignent que ces heures d’activité ne se transforment en indicateurs de performances. C’est-à-dire que les conseillers eux-mêmes se retrouvent évalués en fonction des 15 heures d’activité, les poussant à en proposer certaines qui ne serviraient pas aux allocataires. En d’autres termes, les conseillers ont peur que cette contrepartie ne devienne une fin en soi, et non plus un moyen de remobilisation ou d’insertion pour les bénéficiaires du RSA.
2/ La crainte d’un manque de moyens
Une autre inquiétude qui transparaît dans le rapport concerne les moyens accordés pour « l’accompagnement rénové » : dans le cadre de l’expérimentation, des financements fléchés (815 000 euros en moyenne pour chacun des huit territoires étudiés dans le document) ont permis un suivi plus poussé des allocataires. Les conseillers ont également vu leur « portefeuille » d’allocataires réduit pour l’expérimentation.
Or, ces modalités plus confortables ne devraient pas être les mêmes l’an prochain, quand le RSA conditionné sera étendu à toute la France. « Pour rappel, le budget 2024 prévoyait de financer la réforme du RSA avec la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et les coupes de l’assurance chômage », précise Anne Eydoux, économiste au Cnam (Lise et CEET).
Mais la ministre du Travail a redit que l’ASS ne serait pas supprimée et les négociations doivent reprendre entre les partenaires sociaux sur l’assurance chômage. On peut bien sûr se réjouir que la réforme de Gabriel Attal, qui réduisait les droits des chômeurs, ait été mise au placard et que la suppression de l’ASS, qui aurait pénalisé les plus modestes, ne se fera pas. Néanmoins, « la question des moyens est cruciale dans la mise en place de la réforme du RSA. On ne sait plus comment elle sera financée », reprend la chercheuse.
Dans le projet de loi de finances 2025, on apprend que « France Travail bénéficiera d’une stabilisation de la subvention pour charge de service public à 1,35 milliard d’euros et d’un accroissement de + 0,16 milliard d’euros de la contribution de l’Unédic, lui assurant les moyens de mettre en œuvre la réforme ». Mais des doutes persistent, écrits noir sur blanc dans le rapport du mois de juillet : « Comme pour France Travail, les départements n’envisagent pas la perspective d’une généralisation sans augmentation des financements. »
Il faut dire qu’« avec la réforme, l’opérateur devra accompagner 1,2 million de personnes contre 40 000 aujourd’hui, détaille Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE. Je ne suis pas sûr que la promesse qu’il y ait davantage d’accompagnement puisse être tenue ». D’autant que le ministère du Travail a indiqué la suppression de 500 postes à France Travail en 2025. Faire plus, avec moins, voilà une équation bien difficile…
3/ Des résultats fragiles pour le retour au travail
Concernant l’insertion, enfin, les chiffres que présente le rapport d’évaluation sont à lire avec précaution. Au total, 42 % des bénéficiaires du RSA qui ont participé à l’expérimentation ont accédé à un emploi dans les six premiers mois suivant leur entrée en parcours, dont 16 % ont accédé à des « contrats durables » (CDI ou CDD de six mois ou plus), et 13 % à un emploi de moins d’un mois, soit des emplois précaires ou très précaires.
Des chiffres « prometteurs » selon France Travail, car ils représentent effectivement un taux plutôt élevé d’accès à l’emploi. Même s’il n’est pas évident de les comparer avec la situation qui prévalait avant la réforme, puisque l’inscription à France Travail n’était pas obligatoire pour les bénéficiaires du RSA. Selon la Dares, en 2022, c’était le cas de six allocataires sur dix. Et parmi eux, un tiers de ces inscrits a été salarié au cours de l’année écoulée.
Mais avant de sabler le champagne, plusieurs nuances sont à prendre en considération. « Du fait de participer à l’expérimentation, les travailleurs sociaux et les bénéficiaires ont pu se montrer plus motivés [en sciences sociales, on parle de l’effet Hawthorne, NDLR]. Cela peut avoir des résultats lors de l’expérimentation et disparaître lors d’une éventuelle généralisation », explique Guillaume Allègre.
Par ailleurs, l’expérimentation a pu créer des effets de déplacement, c’est-à-dire le fait que des bénéficiaires du RSA accèdent à un emploi au détriment d’autres individus qui auraient eu le poste, en l’absence du dispositif. Or, « si on généralise l’accompagnement des allocataires du RSA, ils vont tous se faire concurrence pour un même volume d’emplois », alerte Anne Eydoux. Et le bilan en termes d’emplois pourrait être moins encourageant.
Le rapport indique en outre que 82 % des bénéficiaires présentent au moins un frein périphérique à l’emploi, souvent deux (43 % liés à la mobilité, 29 % à un état de santé, 25 % à des contraintes familiales, 20 % au logement). Et conditionner le RSA n’apparaît pas comme une solution face à ces difficultés. « Ce sont des contraintes qu’il faut absolument résoudre en amont », résume Force ouvrière.
Malgré ces réserves, le gouvernement n’a pas prévu d’attendre les évaluations finales pour généraliser le RSA sous conditions. Ce qui n’étonne pas Anne Eydoux : « C’était déjà le cas avec l’entrée en vigueur du RSA après tout. Le gouvernement avait décidé de le généraliser avant la fin des expérimentations, les résultats avaient été instrumentalisés et finalement, l’évaluation du dispositif généralisé a montré qu’il n’y avait aucun impact sur le taux de retour à l’emploi. »
Les réformes se multiplient, mais les erreurs se répètent…